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L’émeute comme tactique, par Philippe Germain.

La prétendance du duc de Guise, Jean III de Jure, mérite toute notre attention car ce Prince timide, qu’on disait ne pas être préparé et ne pas croire à la restauration monarchique s’est paradoxalement singularisé stratégiquement. D’abord par la nature originale de sa prétendance et ensuite par son adhésion au modèle novateur du «  recours  ».

​D’abord le président du conseil Aristide Briand, conscient que, fin 1925, la IIIeme république était fragilisée et l’A.F. au sommet de sa combativité, chercha sans succès à amener Guise à ne pas faire acte de prétendant. Mieux, dès son exil en Belgique, Jean III ne retint pas l’option d’une prétendance d’affirmation du principe impliquant l’inaction pure et simple. Il fut frappant de constater que Jean III acceptait son rôle de prétendant sérieusement afin de préparer l’installation de son fils Henri sur le trône de France. Implicitement, suivant la terminologie de l’historien des droites Bertrand Joly, Jean III s’orientait vers l’option de l’aventure, celle de l’aventure capétienne. Ainsi, cela expliqua son agacement de ne pas voir l’Action française aux ordres et de mal tolérer de la voir incarner le royalisme depuis 1914, même consécutivement au choix d’une prétendance «  d’attitude  » (affirmation du principe !) par Philippe VIII.

Dès 1929, Jean III titre le prince Henri comte de Paris et suite au refus de Georges Valois, amène au manoir d’Anjou Charles Benoist, un précepteur stratège arrivant avec le projet d’une «  restauration rénovatrice  ». En alternative au modèle anglais du Monk préconisé par Maurras, Benoist propose à la famille de France, le mécanisme espagnol de restauration d’Alphonse XII (1874), réalisée par Canovas del Castillo. Benoist l’adapte à la France sur la ligne «  anarchie ou monarchie  »  ; cette dernière étant la dictature naturelle instaurable à l’occasion d’une situation paroxystique du pays. Ce mécanisme du recours comprend trois phases  : 

– Avant  : Avoir une doctrine et un personnel de gouvernement-administration ou une organisation partisane totalement dévouée. 

– Pendant  : Etre accepté de l’opinion et être prêt à saisir toutes les occasions sans paraître hésiter. – Après  : Etre assez clément pour permettre les ralliements. Par dessus tout «  il faut que le prince veuille fortement  » et se comporte en machiavélien.

​Pour la nécessaire doctrine que le choix de ce modèle impose, Jean III s’appuie sur celle du néo-royalisme, mais fait occuper par le Dauphin le terrain délaissé par l’orthodoxie maurrassienne  : celui des questions sociales et de la question religieuse. Pour cela Henri bénéficie de l’allégeance des dissidents comme Jacques Valdour sur le corporatisme et Jean de Fabrègues pour les maurrassiens-spiritualistes (suivant l’expression de Bruno Goyet).

​Pour constituer un personnel de gouvernement, Jean III utilise les réseaux mondains, comme celui de la reine Amélie du Portugal. Leurs salons sont le conservatoire des mœurs du passé mais surtout un lieu politique de fusion des élites. Dans ces salons féminins, se rencontrent sénateurs, députés, politiciens, intellectuels, préfet de police et représentants des nouvelles ligues. Le point d’articulation de cette politique par les femmes, à travers la séduction mondaine, est la duchesse de Guise. L’experte politique de Jean III rabat des talents issus des réseaux académiques et du parlement  : 22 députés et sénateurs monarchistes ou tièdement républicains mais aussi droite autoritaire, droite catholique et avec un certain succès le centre, composé de notables troublés par le Cartel de gauche. 

​La phase «  Pendant  » du modèle espagnol suppose un Dauphin accepté par l’opinion. D’où la recherche d’une presse touchant un public plus large que l’A.F.  Patronnant l’Association professionnelle de la presse monarchique et catholique des départements, Jean III réactive les anciens Comités royalistes et les charge de la propagande auprès des journaux conservateurs. Il cherche l’appui du Figaro de François Coty où signe Georges Bernanos. Il soutient La Prospérité nationale des dissidents corporatistes de l’A.F. Le Dauphin lui, s’intéresse aux revues de la Jeune Droite (RéactionLa revue du siècle, Latinité, Cahiers d’Occident) pour préparer Questions du jour, son propre organe. Cependant, la plus grosse opération d’image de marque est en 1931, le grandiose mariage du Dauphin à Palerme, où les Orléans sont accueillis par le régime mussolinien. La ferveur du millier de militants d’A.F  invités par Jean III, a réactivé son espoir d’une organisation partisane totalement dévouée, pour la phase «  avant  » de sa stratégie espagnole. 

​Coté Action française, l’empilage des crises Valois, Rome et dissidence des cadres, a inauguré une nouvelle période. Plus question désormais, d’un mouvement organisé en vue d’un coup d’état. Pour l’État-major, l’imminence de la prise de pouvoir, disparaît au profit d’un prophétisme pessimiste. Cette misère stratégique est pourtant masquée par l’intelligence de Maurras dont les idées vraies possèdent un surprenant pouvoir d’attraction. D’où le miracle renouvelé d’un mouvement de surface se reconstituant, à chaque génération, en dépit des coups terribles l’accablant et même de ses fautes. Comment  ? Comme toujours, l’État-major s’appuie sur la fougue et l’imagination de l’organisation étudiante pour redresser l’image de marque de l’A.F.  Souvent Maurice Pujo est à la manœuvre avec une méthode éprouvée. D’abord on attend la rentrée universitaire parisienne pour structurer les étudiants arrivés de province, par la vente du journal, les collages et les conférences de l’Institut d’Action Française. Ensuite Pujo identifie le fait d’actualité et le monte en épingle dans le journal afin que les étudiants exploitent «  le coup  » dans la rue avant la période des examens. Chahuts et manifestations sont suscités et entraînés par le journal qui oriente l’activité militante. • Hiver 1930-1931 c’est d’abord la campagne contre le ministère Steeg où les Camelots inventent la première interdiction de film en intimidant les gérants des cinémas qui passent un appel du président du Conseil. Puis ils emboîtent sur une pièce allemande et tous les soirs organisent des chahuts obligeant le préfet de Police Chiappe a décider son interdiction.  • Hiver 1931-1932, lors du congrès du Désarmement international, les Camelots font l’actualité, en jonction avec les Croix de Feu. La police ne peut les empêcher d’interdire le meeting, ce qui fait grand bruit dans la presse et pendant quelques mois, la rue appartient aux royalistes. • Hiver 1932-1933, la dette de guerre envers les États-Unis arrive à échéance et au cri de «  Pas un sou pour l’Amérique  !  », étudiants et camelots organisent des manifestations permettant à Georges Calzant de masser une foule autour d’une Chambre des députés protégée par 6.000 policiers, mais qui rejette le paiement à l’Amérique. • Ainsi, en trois hivers, par son activisme, l’A.F.  a refait une nouvelle génération de garçons des faubourgs et du Quartier Latin. Ils sont prêts lorsque le 24 décembre 1933 leur quotidien est le premier à annoncer une arrestation à Bayonne puis, le 29, que l’Affaire Stavisky menace de prendre de grosses proportions et surtout le 3 janvier où Pujo publie deux lettres compromettantes du ministre Dalimier. Tout est prêt pour les émeutes étudiantes d’hiver 33-34 mais cette fois-ci la clé se trouve au Manoir d’Anjou chez le prétendant.

​Le 5 janvier 1934, Jean III convoque d’urgence, l’Etat-major de l’Action française qui découvre stupéfait, une Maison de France ayant élaboré sa propre stratégie. Elle repose sur l’analyse de la conjoncture politique et sociale mené par le Prince Henri convaincu de l’exploitation du pays réel par les habiles du pays légal constitués en une nouvelle féodalité d’argent, de plus en plus concentrée (aujourd’hui on parle d’oligarchie). Depuis janvier 1933, les classes moyennes du pays réel, structurées dans les organisations d’anciens combattants et de contribuables,  en prennent conscience et se rebiffent par un antiparlementarisme très virulent. Pour le Dauphin la IIIeme République agonise à force de ministère renversés, de surenchères fiscales, de scandales financiers et de corruptions parlementaires. Nul doute pour Jean III et lui, la France traverse l’une des crises les plus sérieuses de son histoire et à tout moment la République peut basculer. L’affaire Stavisky naissante permet à l’A.F. dont les troupes ont régné en maître dans la rue depuis trois années, de la tenir pour renverser le régime. Pour cela elle doit s’allier avec les ligues nationalistes et groupements d’anciens combattants.  Un Comité d’union nationale, intégrant les paysans, les commerçants, les contribuables et les conseillers municipaux de Paris sera crée pour spontanément recourir au Prince qui répondra alors, non à l’appel d’un parti royaliste mais à celui des forces représentatives du Pays réel. Maurras, Pujo et l’amiral Schwerer sont stupéfaits de ce scénario très concret du modèle espagnol. Effectivement les revendications étudiantes mettent le Quartier Latin en état de siège sous la houlette des étudiants d’AF. Effectivement, la Ligue des Contribuables prône la grève de l’impôt, avec ses 700.000 adhérents derrière Marcel Large qui les a déjà fait marcher avec les camelots sur le parlement jusqu’à des affrontements très sérieux. Effectivement, les 30.000 petits paysans  regroupés derrière Dorgères, ancien étudiant royaliste de Rennes, se rebellent au cri de «  Haut les fourches  » contre l’État républicain, peu respectueux des structures traditionnelles. Effectivement, les anciens combattants se regroupent contre la réduction de leurs pensions. Ils sont 900.000 à l’Union Nationale des Combattants dont le président Georges Lebecq développe un rejet de la démocratie tandis que les Croix de Feu rassemblent 30.000 combattants «  de l’avant  »  derrière le colonel François de la Roque dont deux frères conseillent le Dauphin. Pourtant assure Maurras, jamais les responsables de ces groupements n’accepteront de «  marcher  » pour le roi et seul reste valable son modèle du Monck. Impossible pourtant à l’État-major  d’A.F sans stratégie, de refuser le scénario du «  recours  » des Princes. Pujo accepte donc, sans conviction, de le déployer avec tout le savoir faire tactique du mouvement.

​Bientôt socialistes et communistes vont brandir l’épouvantail d’un complot fasciste imaginaire mais en revanche il faut bien nommer «  conspiration à ciel ouvert  »  la longue préparation royaliste du climat prérévolutionnaire, tout au long de janvier 34, par une succession de bagarres de plus en plus rudes, qui commenceront au Quartier Latin pour se rapprocher du Palais Bourbon, à mesure que le nombre de combattants augmentent. Si l’ambiance de ce janvier royaliste est particulièrement bien décrite par un des meneurs étudiants Henry Charbonneau dans ses mémoires et dans celles du collégien Jean-Louis Foncine, on peut suivre le détail des opérations tactiques chez l’américain Eugen Weber. De son coté, l’historien Jean-François Sirinelli s’est attaché à comprendre pourquoi l’A.F. s’est dès son origine décidée de faire du quartier latin son terrain d’action privilégié  ? Comment le contrôle-t-elle  ? Et, surtout, comment peut-elle parvenir, avec un but précis et à un moment donné, à le porter à incandescence  ? Finalement de cette conspiration royaliste de janvier 1934 on doit retenir• Que les manifestations commencent dès le retour du manoir d’Anjou.• Elles ont pour objectif la chute du Gouvernement Chautemps.• Elles se déroulent presque tous les jours sous le commandement de Pujo.• Elles entraînent individuellement les militants des ligues nationalistes.• Du stade des manifestations on passe à celui des émeutes. • Les manifestants descendent non «  contre  » Stavisky mais «  pour  » l ‘A.F.• Le 27 janvier la manifestation, d’une grande violence, est finalement arrêtée devant le Palais-Bourbon et Chautemps donne sa démission. C’est la première fois dans l’histoire de la

IIIeme République qu’une majorité capitule et son gouvernement abandonne le pouvoir sous le menace de la rue. L’État-major d’A.F. prenant la mesure des succès tactique de Pujo, envisage alors sérieusement la possibilité de renversement du régime. Ainsi Jean III avait vu juste…

​Après Janvier 34, le mois de la conspiration royaliste, s’ouvre  la révolte des honnêtes gens de février 34. De fait, la tactique d’alliance du scénario de la Maison de France n’est absolument pas jouable car devant le succès de l’A.F. , les dirigeants des ligues (Taittinger et La Rocque) estimant une restauration possible reprennent  leurs militants en mains pour éviter d’aider au «  service du roi  ». C’est pourquoi, Mangin mort, Lyautey réticent de longue date au «  coup  » et Franchet d’Esperey de santé instable, Maxime Réal del Sarte est chargé de retourner le préfet de police Chiappe – compréhensif vis à vis de l’A.F. – pour en faire le Monk du modèle maurrassien. Pendant plusieurs jours les tractations sont menées par l’intermédiaire d’Horace de Carbuccia le directeur du journal Gringoire. Au départ réceptif, Chiappe, rencontre Réal del Sarte mais décline car le nouveau Président du conseil semble vouloir le garder en poste. Pourtant Daladier révoque Chiappe le 3 février, provoquant ainsi la colère des honnêtes gens, en fait les anciens combattants et des ligues nationalistes. De là s’explique la grande émeute du 6 février, ses 15 morts et 50 blessés graves ou l’A.F. tente vaille que vaille de jouer le scénario du recours. Réal del Sarte est devant l’Hôtel de Ville avec une formation de camelots placé discrètement sur le quai voisin, car il sait que les Jeunesse Patriotes envisagent la proclamation d’un Gouvernement avec les Conseillers municipaux. Rien ne se passe et il est blessé en tentant d’entraîner les conseillers vers le Palais Bourbon tandis que Georges Gaudy lance un assaut avec l’Association Marius Plateau pour entraîner les anciens combattants. Daudet lui, revient du Manoir d’Anjou ou il a demandé au Dauphin de prendre la tête de l’émeute, mais Henri sait que La Rocque s’oppose et juge que son père Jean III n’est pas assez accepté de l’opinion ni perçu comme prêt à saisir toutes les occasions. Il refuse après avoir hésité. Maurras est à l’imprimerie, son poste de combat  ; le même que celui de Lénine en 1917. Il faut le reconnaître tout ceci est réalisé  à «  l’arrache  » avec des responsables de ligues qui censés être des alliés jouent finalement «  à contre  ».

​Février 34 sera la grande peur de la gauche et entrera dans la mythologie d’Action française, même s’il a mis en évidence que bonne tacticienne, elle s’est révélée mauvaise stratège car se reposant sur Maurras incarnant certes l’intelligence mais sans les qualité du chef nécessaire à l’aventure capétienne attendue par Jean III. De là une déception princière qui dans les années à venir va creuser un fossé en Maurras et la Maison de France.

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