La France a vécu depuis une semaine à peine comme si brusquement au monde réel, habituel, s’était substituée une autre réalité. Il y avait une épidémie menaçante, et il y avait des élections municipales. Le pouvoir en place, en grande difficulté dans l’opinion, emberlificoté dans la réforme des retraites qui accentuait l’hostilité d’un grand nombre de Français à son encontre, semblait vouloir faire de la réponse au risque sanitaire l’occasion d’une remontée dans les sondages. Les aveux étonnants de l’ex-ministre de la santé, Mme Buzyn, parus dans Le Monde d’hier, jettent à la fois une ombre sur le comportement de l’exécutif et de la clarté sur la chronologie de cette étrange période
Jeudi 12 Mars, la longue allocution présidentielle changeait le décor de notre pays : le risque sanitaire était réel, les écoles seraient fermées dès le lundi suivant, mais les élections auraient quand même lieu le dimanche précédent. Le matin même, le ministre de l’Education Nationale avait annoncé qu’elles ne le seraient pas. Ces deux contradictions avaient surpris, mais on pouvait les mettre sur le compte de l’évolution de la maladie en Europe, et des consultations, des scientifiques, d’une part, des politiques, de l’autre. Les Français avaient donc voté dans une ambiance électorale surréaliste, avec une abstention majoritaire inhabituelle pour les municipales, atteignant parfois 75% et plus des inscrits. Cette élection du premier tour mais du troisième type avec ses bureaux équipés pour maintenir les distances, éviter les contacts, et procéder à la désinfection salutaire, commençait à évoquer des scénarios de films-catastrophe. Mais, le lundi, une nouvelle longue intervention élyséenne faisait passer la France dans un autre monde qui n’était plus du cinéma : confinement contraint et généralisé, limitation drastique des déplacements personnels sous contrôle policier, report du 2e tour des élections, aide massive aux entreprises pour résister à cette mise à l’arrêt du pays. Le Président, plus martial que jamais, déclarait la guerre à la peste, appelait à la solidarité et repoussait la panique. Que s’était-il passé entre le 12 et le 16 Mars ? L’épidémie s’était propagée, mais cela était prévisible et d’ailleurs annoncé par de nombreux médecins.
Mme Buzyn, manifestement ulcérée par sa défaite électorale parisienne, vient de cracher le morceau : l’exécutif n’a cessé de mentir depuis Janvier ! La Ministre de la Santé avait alerté le Président de la République le 11 Janvier ! Elle avait déclaré au Premier Ministre le 30 Janvier que les élections municipales ne pourraient sans doute pas avoir lieu… mais le 24 Janvier, elle lâchait, pour tous les Français : « le risque de propagation du virus est très faible », et le 17 Février, elle quittait son ministère pour se lancer dans la bataille municipale. Certes, elle dit regretter sa phrase et avoir pleuré en désertant son poste alors que le « tsunami » arrivait, mais on ne peut voir là qu’une inconséquence indigne des fonctions occupées, ou plutôt une duplicité criminelle du pouvoir à l’égard de la population. C’est malheureusement la seconde hypothèse qui se vérifie lorsqu’on se penche cette fois sur la chronologie de la geste présidentielle : il est donc averti du danger par son ministre de la santé dès le 11 Janvier, mais le 6 Mars, il se rend au Théâtre avec son épouse, et le 11 Mars, dans un discours, il clame : « Nous ne renoncerons à rien… Surtout pas à rire, à chanter, à penser, à aimer. Surtout pas aux terrasses, aux salles de concert, aux fêtes de soir d’été. Surtout pas à la liberté. Surtout pas à notre esprit de résistance qui fait la République si grande, la France si forte. »
Certes, il s’agissait là d’un autre risque, celui du terrorisme, mais cet hymne à l’insouciance alors que l’heure était à la rigueur, à la discipline et à la sobriété des comportements, comme cela se profilait dans la plupart des pays, était totalement irresponsable. Les terrasses des cafés, les parcs publics et les berges du Canal Saint-Martin ont été envahis davantage que les bureaux de vote ce dimanche. Edouard Philippe, paternaliste, sermonnait alors les Gaulois : « Après les annonces du président, je suis sorti et chacun a pu faire cette expérience : nous avons vu trop de gens dans les cafés, dans les restaurants. Cela me réjouirait en temps normal parce que c’est la France que nous aimons tous mais pour quelques semaines ce n’est pas ce que nous devons faire ! » Puis ce fut au tour de Mme Macron de se déclarer choquée que les Parisiens continuent à se promener sur les quais. Celle-ci s’est dite « stupéfaite d’y croiser autant de monde ». Lundi soir, le Président s’y mettait : « Nous avons vu des gens se rassembler dans des parcs, des marchés bondés, des restaurants, des bars, qui n’ont pas respecté les consignes de fermeture, comme si au fond la vie n’avait pas changé. À tous ceux qui, adoptant ces comportements, ont bravé les consignes, je veux dire ce soir très clairement : non seulement, vous ne vous protégez pas vous … mais vous ne protégez pas les autres… ». Dix jours plus tôt, le couple allait au théâtre… pour montrer l’exemple ? « Emmanuel et Brigitte Macron au théâtre pour inciter les Français à sortir malgré le coronavirus » titrait BFM !
Comment expliquer ces contradictions ? L’avis des scientifiques ? Non, puisque Mme Buzyn avait alerté dès le 11 Janvier ! Ce ne sont pas les conseillers scientifiques qui sont prioritaires mais les conseillers en communication. M.Macron s’est pris les pieds dans le « en même temps », et plutôt que de viser l’ennemi qu’il prétend aujourd’hui combattre, il a simplement demandé à son miroir quel serait le visage le plus opportun : jeune président progressiste, dynamique et décomplexé, celui qui accueille les rappeurs à l’Elysée ou chef de guerre et protecteur de la nation. Le temps mis à choisir le costume aura peut-être coûté la vie à des Français ! L’ex-ministre prévoit des milliers de morts !