Il Corriere della Sera: Que pensez-vous de l'exode des Parisiens, qui ont quitté la capitale pour rejoindre la province?
Michel Onfray: Depuis Philippe Le Bel, c'est-à-dire depuis le XIV° siècle, l'État français est centralisé. De ce fait, il y a toujours un peu de mépris pour la province quand on la regarde de Paris. Elle est la périphérie des choses et du monde. C'est le lieu des ploucs, des pécores, des paysans, des ruraux, des gens mal dégrossis, des incultes. Peu importe que ces Parisiens soient souvent des provinciaux "montés à Paris", comme on dit, parce que c'est la ville où se concentrent tous les Rastignac et qu'ils cherchent à réussir à la Capitale... Seulement c'est à la province que Paris demande depuis des siècles de quoi manger, y compris sous l'occupation, c'est à la province qu’on demande également d'accueillir les migrants quand ils arrivent massivement, c'est à la province qu'on impose les quarantaines d'expatriés français ramenés de Chine par l'État français. Et c'est à la province qu'on va ces temps-ci se protéger des miasmes de la capitale quand la pandémie menace... La province est bonne fille...
CDS: Vous êtes né en Normandie et vous-y habitez. Quel sera l’accueil de la population locale?
MO: Je ne peux présumer d'un accueil global... Il y aura autant d'accueils qu’il y aura de cas particuliers... Mais le repli provincial des gens descendus de Paris s'effectuera dans des maisons de campagne, des résidences secondaires, des maisons de famille, ce qui veut dire que la lutte des classes se manifestera ici aussi: les pauvres qui vivent dans de petits espaces en région parisienne y resteront pendant que les autres, qui en auront les moyens, ou qui auront les relations, prendront un peu de vacances dans des demeures accueillantes.
DCS: On a l’impression de revoir toutes les étapes du scénario italien: l’alerte initiale, les invitations à vivre quand même, à nouveau l’alerte, le confinement, la fuite vers d’autres régions, seulement avec plusieurs jours de retard. Est-ce que le gouvernement français aurait pu mieux profiter du cas italien, et en tirer des leçons?
MO: Oui bien sûr. Emmanuel Macron a exposé la majorité du peuple français en rapatriant illico la minorité d'expatriés qui vivaient en Chine avant de les confiner, sans en demander l'autorisation aux maires concernés, d'abord dans un village du sud de la France, puis en Normandie. Je vous rappelle qu’il est probable que le premier personnage touché par le coronavirus en France soit un militaire ayant procédé à ces opérations de rapatriement car ces militaires n'ont pas été placés en quarantaine, comme on aurait pu l’imaginer, mais ils sont partis tout bonnement en permission! Emmanuel Macron a ensuite refusé de fermer les frontières nationales, sous prétexte que "le virus n'avait pas de passeport", avant de finir par consentir à fermer les frontières de Schengen une fois la contamination généralisée dans le pays qu’il est censé gouverner donc protéger. Il a exposé les Français au virus par idéologie européiste.
DCS: Est-il possible qu'Emmanuel Macron ait voulu préparer graduellement la population à cause des tensions sociales qui traversent le Pays depuis longtemps (gilets-jaunes, retraites, 49-3)?
MO: Je ne crois pas... Macron n'a pas de colonne vertébrale personnelle. Il avance au jour le jour sans vision historique. Il est le pion de l'État profond et des marchés, il est l'homme lige de l'Europe maastrichtienne qui n'aspire qu'a détruire les nations afin de fabriquer une Europe conçue comme le premier maillon d'un État universel dont le projet sera le triomphe du capitalisme absolu qui fera l'économie des peuples et donnera le pouvoir à de prétendus techniciens -en fait les fortunes planétaires concentrées.
DCS: Comment les Français réagiront-ils au confinement? Comme les Italiens ou de façon différente ?
MO: Là aussi, là encore, je crois qu’il n'y aura que des réactions individuelles. L'État français n'existe plus, il n'a plus les moyens de se faire respecter depuis bien longtemps, la quantité de territoires perdus de la République, plus d'une centaine, témoigne en ce sens. Quiconque aura compris cela saura qu'en France, le pouvoir est à prendre... Et il ne manque pas de gens à le savoir.
Michel Onfray