Par Paul Tormenen, juriste ♦ Afin d’enrayer la propagation du coronavirus par la circulation des individus, la fermeture des frontières extérieures de l’Europe et des contrôles plus stricts aux frontières nationales ont été annoncés récemment. Ces annonces, si elles peuvent être à première vue rassurantes, ne doivent pas cacher la réalité : les entrées légales et illégales en Europe et en France continuent, crise sanitaire ou non.
Alors que la période de confinement ne doit durer que quelques semaines, le gouvernement vient de prolonger de six mois les autorisations de séjour sur le territoire aux extra-Européens et applique un régime d’exception aux demandeurs d’asile.
L’illusoire fermeture des frontières
Les frontières extérieures de l’Europe
Les médias ont largement relayé l’annonce par la Commission européenne de la fermeture des frontières extérieures de l’Europe. Cette décision, aussi spectaculaire soit-elle, de « fermeture » prise le 16 mars « pour au moins 30 jours » est toute relative. Si un contrôle systématique aux différents points des frontières extérieures de l’Europe est bien prévu, les extra-Européens munis d’un titre de séjour sont, selon la décision de la Commission européenne, et quoi qu’en dise le ministre français de l’Intérieur, toujours autorisés à entrer sur le territoire européen (1). Des refus d’entrée peuvent être prononcés si les résidents de pays tiers présentent des symptômes de maladie ou une menace pour la santé publique.
Ces mesures ne sont pas assorties de l’obligation d’effectuer des contrôles sanitaires systématiques, comme des relevés de température et des tests de dépistage. Ne parlons pas d’une période de quarantaine, comme la Pologne l’a mise en place pour les étrangers arrivant sur son territoire (2). La réduction des risques sanitaires liés à l’immigration est donc toute relative avec ces mesures.
L’immigration illégale vers l’Europe
Il ne suffit pas de décréter un strict contrôle des frontières pour que l’immigration illégale s’arrête. Encore faut-il l’appliquer. Les chiffres des arrivées illégales par la mer et la terre en Europe recensées depuis le début de l’année par les Nations unies et l’agence de gardes-frontières Frontex montrent que le business des passeurs continue, en dépit de la grave crise sanitaire que nous connaissons.
Frontex recense au 16 mars 16 900 entrées illégales sur les deux premiers mois de l’année (3). Du 1er au 18 mars, ce sont près de 1 800 clandestins qui seraient arrivés en Grèce (4).
Le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies recensait quant à lui le 16 mars 17 311 entrées illégales en Europe depuis le début de l’année (9 369 en Grèce, 2 708 en Italie et 5 234 en Espagne).
Ces chiffres sont à prendre avec prudence : les clandestins qui entrent illégalement en Europe sont probablement bien plus nombreux, car ils cherchent à échapper à tout contrôle ou tentative de « recensement ». Par ailleurs, de nouvelles voies d’immigration clandestine voient le jour, en passant par exemple par les îles Canaries (5).
L’immigration illégale pourrait toutefois baisser pendant la période de confinement (enfin une bonne nouvelle) : l’activité des bateaux des organisations non gouvernementales qui croisent en Méditerranée entre la Libye et l’Italie aurait cessé vers le 20 mars, « pour raisons sanitaires » (6). Il faudra voir si, comme cela s’est vérifié dans le passé, cet arrêt de l’activité des O.N.G. dans l’assistance à l’immigration clandestine va également se traduire par une baisse du nombre de morts en Méditerranée, en dissuadant les départs de Libye sur des embarcations de plus en plus précaires (7).
En Turquie, après avoir fait conduire des milliers de migrants à la frontière grecque, le président Erdogan a annoncé, le 18 mars, contrôler de nouveau la frontière avec la Grèce et la Bulgarie. Ce nouveau revirement ne semble pour le moment pas mettre un terme aux véritables assauts contre les douaniers grecs. Le directeur de Frontex soulignait le 19 mars la présence de casseurs organisés et de nombreux Afghans impliqués dans des « incidents » violents (8).
L’immigration en France
Les frontières nationales
Comme la présidente de la Commission européenne, le président de la République française est resté cramponné jusqu’au dernier moment aux règles de libre circulation de l’espace Schengen. Si Ursula von der Leyen a reconnu avoir sous-estimé la gravité de la crise sanitaire en cours, le ministre français de l’Intérieur a tout au plus annoncé le 17 mars mettre en place des « contrôles des déplacements transfrontaliers non nécessaires » (9).
Cette annonce se heurte à deux écueils :
– les effectifs des douaniers français ont été réduits de façon drastique dans les dernières années (4 000 postes en moins entre 1993 et 2015), ce qui limite la portée de l’annonce du ministre de l’Intérieur (10) ;
– l’absence de dépistage systématique de la contamination au coronavirus aux frontières, alors que nous payons cette grave défaillance quand l’ampleur de l’épidémie était connue en Chine. Sans parler de l’absence de mise en quarantaine, alors que celle-ci est imposée de fait aux Français.
L’immigration légale
Le tropisme pro-migrants du gouvernement français continue à s’exprimer pendant la crise sanitaire.
Alors que le confinement des Français n’a été mis en place, à l’heure où nous écrivons ces lignes, que pour 15 jours, la durée des titres de séjour des étrangers originaires de pays tiers (extra-européens) arrivant à échéance pourra, sans démarche particulière, être automatiquement prorogée jusqu’à 180 jours (11).
Ces prorogations vont permettre à des extra-Européens de rester légalement plusieurs mois supplémentaires sur le territoire indépendamment de toute condition (ressource, travail). Elles concernent tant les visas et titres de séjour que les démarches effectuées visant à obtenir une régularisation du séjour en France : demande d’asile, demande de titre de séjour. Après la baisse de la taxe sur les titres de séjour en début d’année, c’est selon les propres termes du Premier ministre un nouvel « irritant » qui vient d’être supprimé pour les extra-Européens (12).
Le sénateur Stéphane Ravier le faisait remarquer lors d’un débat au Sénat le 21 mars, « le confinement n’est que de 15 jours, mais vous prolongez leurs droits de 6 mois […]. Pour les Français c’est : restez chez vous, pour les étrangers, c’est : restez chez nous ! » (13).
L’immigration illégale
Si les contrôles aux frontières nationales sont renforcés, la lutte contre l’immigration illégale est néanmoins entravée. Un haut fonctionnaire confiait récemment que les contrôles étaient limités aux zones frontalières (14). Il est vrai qu’arrêter des clandestins perd de son sens. À la suite de plusieurs jugements de cours d’appel, les centres de rétention administrative sont progressivement vidés des clandestins qui y résident. À Rouen, Bordeaux, Paris, etc., des raisons tant juridiques (délai pour l’éloignement) que sanitaires (concentration en dortoirs) sont mises en avant pour remettre dans la nature des clandestins destinés à être raccompagnés dans leurs pays (15). Ils ne devraient pas rester à la rue : des chambres d’hôtel sont ouvertes pour les personnes sans abri pour permettre le « confinement » (16). Une mesure dont bénéficieront probablement les 500 migrants présents au nord de Paris dont la mise à l’abri prochaine a été annoncée par le gouvernement (17).
Comme si cela ne suffisait pas, alors que les préfectures ont arrêté l’accueil physique des usagers, la préfecture d’Auvergne-Rhône-Alpes le maintient exclusivement pour les demandeurs d’asile (18).
On assiste à des scènes surréalistes, comme ce regroupement massif devant la plate-forme d’accueil des demandes d’asile (SPADA) de France Terre d’asile, boulevard Ney à Paris. Des attroupements bien compacts se formaient encore le 19 mars, au mépris des consignes de sécurité du gouvernement (19). Dans le prolongement, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, a pour sa part annoncé lundi 16 mars la suspension de toutes les procédures d’accueil du public… en dehors de la procédure d’asile (20).
Le directeur de Frontex le reconnaissait récemment, l’Union européenne est insuffisamment « équipée » en matière de contrôles sanitaires aux frontières. Si la fin des incessantes rotations de bateaux des ONG en Méditerranée est une bonne nouvelle, les passeurs commencent déjà à s’adapter à la situation. Dans ces conditions, la libération progressive de clandestins de centres de rétention et la longue prorogation des titres de séjour des extra-Européens sont de mauvais signaux envoyés aux aspirants migrants. Plus que jamais, le message à faire passer est : « Restez chez vous ! »
Paul Tormenen 25/03/2020
(1) « Covid-19. Guideline for border management mesures ». Commission européenne. 16 mars 2020.
(2) « La Pologne ferme ses frontières aux étrangers et enregistre un deuxième décès ». La Dépêche. 13 mars 2020.
(3) « Migratory situation in February – Detections down from previous month ». Frontex. 16 mars 2020.
(4) « Trafic de migrants. Les réseaux criminels s’adaptent très vite ». Ouest-France. 19 mars 2020.
(5) Ibid.
(6) « Coronavirus : en Méditerranée, plus aucun navire humanitaire n’est présent ». InfoMigrants. 20 mars 2020.
(7) « Migrants : à qui profite le drame ? ». Causeur. Octobre 2018.
(8) Cf. note (4).
(9) « Mesures prises pour endiguer la propagation du Covid-19 ». Intervention du ministre de l’Intérieur. 17 mars 2020.
(10) « Question 19628 de Mme J. Corneloup ». Assemblée nationale. 6 août 2019.
(11) « Durée de validité des titres de séjour ». Communiqué du ministère de l’Intérieur. 18 mars 2020.
(12) « Édouard Philippe : nous voulons reprendre le contrôle de notre politique migratoire ». Canal +. 6 novembre 2019.
(13) Intervention de Stéphane Ravier. Sénat. 21 mars 2020.
(14) « Coronavirus : la libération des clandestins placés en rétention paraît inévitable ». Le Figaro. 18 mars 2020.
(15) Cf. note (13).
(16) « Coronavirus : le gouvernement réquisitionne des chambres d’hôtel pour les sans-abri ». Le Figaro. 19 mars 2020.
(17) « Coronavirus : 500 migrants d’un bidonville francilien vont être mis à l’abri ». Le Figaro. 19 mars 2020.
(18) Tweet de la préfecture d’Auvergne-Rhône-Alpes. 16 mars 2020.
(19) Tweet de Jean-Yves Le Gallou. 19 mars 2020.
(20) « Coronavirus : informations importantes ». OFII.
Crédit photo : Domaine public
https://www.polemia.com/pendant-la-pandemie-de-coronavirus-limmigration-continue/