L’histoire de l’union européenne est jalonnée de crises qui, à plusieurs reprises, l’ont mise en péril. Dès les années soixante avec la politique de la chaise vide sous De Gaulle. On notera au passage que la Monnaie vient d’éditer une nouvelle pièce de 10 euros… avec le portrait de de Gaulle, ironie de l’histoire ! Puis, après la crise pétrolière ce furent les dévaluations successives des monnaies, et après 2008 la crise des dettes souveraines, bref on ne compte plus les accidents dont elle s’est toujours tirée par une fuite en avant. Par exemple l’euro, dont Jacques Delors pensait qu’il allait rassembler les pays. Il lança l’union monétaire au début des années 1990 en partant de l’hypothèse qu’elle serait le fédérateur, conduisant – par le biais des crises – à une union fiscale et politique complète.
C’est tout le contraire qui se produisit. Lui - même, dénonçant aujourd’hui, la paralysie de la réponse de l’Europe à la plus grande crise depuis la Seconde Guerre mondiale comme un « danger mortel » pour le projet européen. Mais il devrait songer que cette paralysie est consubstantielle à son « œuvre » et nous sommes dans le déni de responsabilité. En revanche il pense toujours qu’une bonne crise est nécessaire à la poursuite de l’Union, comme en matière médicale, un virus produisant des anticorps, coïncidence la crise est provoquée par un virus, mais il arrive que le virus triomphe.
L’UE en panne de légitimité
Cette fois, c’est l’heure de vérité. L’histoire, la grande, frappe à la porte et l’on sait combien celle-ci peut -être tragique. L’UE a d’ailleurs toujours fonctionné comme un euphorisant pour les peuples ,à coup de subvention, elle achetait les nouveaux entrants et endormait les entrés, bien avant Fukuyama, elle s’acharnait à proclamer la fin de l’histoire et voilà qu’un minuscule organisme est en train de ravager la construction européenne par ses conséquences économiques qui révèlent sa nature ,à dire vrai, sa contre nature politique.
Aujourd’hui la légitimité de l’UE est clairement en cause par son absence de réactivité dans la pandémie, elle n’a pas fermé les frontières, Schengen apparaît pour ce qu’il est, un artifice frontalier virtuel et ce sont les états quand il le voulaient (sauf la France et son président criminel aveuglé d’idéologie sans-frontiérisme) et qui l’ont fait au bénéfice de leurs peuples.
Corona bonds un marqueur de la désunion européenne
Mais c’est l’édifice économique qui branle sérieusement sur son socle. On sait qu’une fois de plus, et je l’avais annoncé avant la réunion des chefs d’état européens suivis par la Commission européenne (divisée sur le sujet) du jeudi 26, L’Allemagne a refusé la mise en place des fameux eurobonds, rebaptisés pour la circonstance, corona bonds. De quoi s’agissait-il en effet, l’expression d’une « solidarité » européenne dans le financement de la crise par l’emprunt commun et la garantie qui l’accompagne. (Mais impliquant d’aller vers un budget commun, des impôts et, qui sait, un ministre des finances communs). Ce fut un Nein catégorique de la part des Allemands. La cour constitutionnelle d’Allemagne a statué que les euro-obligations nécessiteraient une modification de la constitution allemande – ce qui est impossible vu les divisions politiques des partis allemands.
« Ne faites pas une erreur tragique. L’ensemble de l’édifice européen risque de perdre sa raison d’être », a déclaré le premier ministre italien, Giuseppe Conte, en réclamant un plan Marshall géant financé par des fonds communs de l’UE afin de relancer le système productif après la crise sanitaire. Mais le premier ministre a implicitement indiqué que, de la part de la sœur latine, un tel refus conduira inévitablement le pays à ne plus accepter la contrainte et la surveillance de l’UE (déjà acquise en matière de dépassement du déficit budgétaire) pouvant aller jusqu’à utiliser « ses propres instruments politique souverains » (ici c’est , en termes sous-entendus ,le retour à la lire par le moyen de l’émission de « mini-bots », des bons du Trésor de faible montant et sans date de remboursement.) Cette idée, promue par Claudio Borghi, l’un des économistes en chef de la Ligue est une voie vers la sortie de l’euro annoncée prophétiquement en 2018, dans l’ouvrage publié par le journaliste Sergio Rizzo : La Notte che uscimma dall’euro (littéralement, « 2 février 2020. La Nuit où nous sommes sortis de l’euro », éd. Feltrinelli).
Sergio Rizzo est un proche de Salvini. Il serait plaisant si la situation n’était pas si tragique, d’entendre M. Conte parler de légitime défense face à l’UE comme son adversaire Salvini ! « Nous le ferons seuls » a-t-il ajouté, cette phrase faisant écho (involontaire ?) à une ancienne formule : « Italia fara da se » utilisée par… Mussolini pendant la crise des années 30.
La crise pour faire avancer l’Europe ?
A Jacques Delors et tous les européiste qui pensent que la crise fait avancer l’Europe, il faut rappeler que, lors de la crise des dettes souveraines en 2011-2012 qui révélait le caractère inopérant de l’euro, les états ( créanciers) du nord ont bloqué les initiatives en faveur de l’émission conjointe de dettes et un proto- budget commun ( union bancaire + impôt commun).
Voici donc bientôt 20 ans que l’hypothèse Delors ne marche pas et malgré l’hélicoptère monétaire (le QE) la Banque Centrale européenne ne peut pas sauver l’euro, elle le compromet même par sa logique de planche à billet. Il n’y a pas une Europe de l’euro mais deux Europe, celle du nord, l’Europe hanséatique contre les « sudistes » sans compter celle de l’Est de plus en plus dissidente. Monsieur Delors et son zélé petit élève, Macron feraient sans doute mieux de se garder de déclarations prophétiques. Le but du président français étant clairement d’exploiter la pandémie pour établir l’union fiscale prélude à un budget européen, perseverare diabolicum ! Les trois mois à venir vont être décisifs pour la survie de l’euro partie la plus menacée de l’édifice.
L’UE repaire de chacals et de serpents (Matteo Salvini)
Delors et le président français Emmanuel Macron profitent des événements pour concrétiser leurs ambitions intégrationnistes. Mais ils se sont heurtés aux vues tout aussi arrêtées des « économes » du bloc hanséatique dont Mark Rutte , le représentant néerlandais le plus radical déclare : « Nous sommes contre, mais ce n’est pas seulement nous, et je ne peux pas prévoir de circonstances dans lesquelles nous changerions cette position ». Jeudi 26, l’Italie et l’Espagne ayant refusé de signer les conclusions du sommet européen après six heures de discussions. Ils ont lancé un ultimatum donnant à Bruxelles dix jours pour trouver une solution ou faire face à des conséquences désastreuses. Paradoxe de cette union latine qui demande plus d’intégration européenne !
Écoutons ces latins au verbe enflammé, ce qui peut se comprendre quand, le drame italien, n’a reçu pour son soutien en matériel sanitaire que l’aide de … la Russie. Tandis que la France et l’Allemagne condamnaient le marché unique en restreignant leurs exportations de matériel sanitaire. Voilà qui va rester dans les mémoires. Le premier ministre portugais de son côté, a déclaré que les exigences néerlandaises en matière de conditions strictes pour toute ligne de crédit étaient « scandaleuses » tandis que Matteo Salvini, a qualifié l’UE de « repaire de serpents et de chacals », avertissant que la rage croissante allait bientôt exploser en une révolte nationale italienne.
Après le brexit, l’Italexit ? Peut-être pas, mais une Union Européenne condamnée à l’immobilisme.
Olivier Pichon