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Vie, mort et résurrection de l'extrême gauche La maladie infantile du communisme

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On croyait l'extrême gauche en soins palliatifs, sinon morte, Par implosion, autodissolution et reniements successifs. Mais elle a soudainement ressuscité au milieu des années quatre-vingt-dix, sur les ruines du mur de Berlin et du Moloch soviétique. Les courbes électorales du PCF et de l'extrême gauche se sont alors croisées. On assistait à la revanche des gauchistes et au retour du fantôme de Trotski.

L’extrême gauche soulève un problème de géographie électorale. Où la situer sur un atlas politique ? À la gauche de la gauche ? Certes ! Mais personne ne siège à la gauche du PCF à l'Assemblée nationale. Au plafond ? Comme Lamartine, qui répondait quand on lui demandait où il siégeait à la Chambre : « Au plafond, car je ne vois pas de place pour moi dans aucun groupe ». Là haut, rien ne pouvait venir troubler sa pureté. Où alors ? Dans les nuées et dans les caves de la société ? Les deux sûrement, tant l'extrême gauche réunit un mélange détonnant de théorie froide, de chimère politique et de violence endémique. Longtemps d'ailleurs, la question qui venait à l'esprit lorsqu'on évoquait la gauche radicale, c'était combien de munitions ? Et non pas : combien de divisions ?

C'est moins le cas aujourd'hui, où l'extrême gauche ne rassemble plus que les débris de la IVe Internationale, fondée par Trotski en 1938, devenue au fil des ans un magma touffu, qui a recyclé ces antiquités idéologiques que sont le maoïsme, le conseillisme, le spartakisme et quantité d'autres « ismes ». Une nébuleuse ou un archipel éclaté, selon que l'on recourt à la métaphore gazeuse ou solide. Avec un mode de reproduction à la fois complexe et primitif : le scissionnisme congénital. Ou, pour parler biologie, la scissiparité : la reproduction d'un même organisme qui se scinde à l'infini en autant de groupuscules et de corpuscules. Difficile d'y voir clair, même au microscope.

Un Jurassic park marxiste

En gros, l'extrême gauche réunit, ou réunissait, tout ce qui se situait à la gauche des partis communistes officiels. Des renégats, donc, aux yeux des marxistes-léninistes. On connaît d'ailleurs le mot de Lénine sur le gauchisme (ce qu'on appelle aujourd'hui communément l'extrême gauche) : c'est la maladie infantile du communisme. À quoi Daniel Cohn-Bendit et les soixante-huitards répliquaient qu'une telle maladie était le remède à la maladie sénile du communisme.

Infantile ou sénile, le communisme se rattache à la famille des maladies dégénératives. On connaît bien la tumeur maligne - le communisme -, moins la tumeur bénigne (faute d'avoir pu se développer). Olivier Rolin nous en a laissé un portrait prodigieux dans Tigre en papier (en « Points » Seuil), qui retrace l'aventure de la Gauche prolétarienne (la GP) dans les années soixante-dix, les plus riches heures de l'extrême gauche. Un voyage au bout de la nuit révolutionnaire à travers les avatars des maos, de loin les plus virulents (même si leurs méfaits ont été brefs). Ils avaient l'onction de Sartre et de l'intelligentsia - la révolution ayant souvent été une affaire de khâgneux et de Normaliens. Ils ont tout essayé les tracts à Billancourt, l'aventure en usine, l'action directe. Et tout avorté. La révolution ? « Un polar à petit budget », dit Rolin. Sordide, poisseux, délirant. En lisant son livre, on a l'impression de rouvrir un chapitre de la préhistoire, avec des fossiles du Crétacé. Un mélange de diplodocus, d'autogestion, de cols Mao, d'Albanie d'Enver Hodja, de fumisteries conceptuelles, de conspirationnisme maladif, de bâtons de dynamite, d'infiltration de la CIA. La barbe de Marx, le bouc de Trotski et la barbichette du Che. La sainte famille pileuse.

Du Grand Soir aux petits matins blêmes

On vivait alors dans l'attente du Royaume. La terreur devait en hâter la venue. Un langage apocalyptique - la guerre des classes - et un messianisme - une société sans classe. Moyennant quoi, le « Grand Soir » ne manquerait pas d'advenir, hic et nunc, ici et maintenant. C'était écrit d'avance. La théorie le proclamait - Hegel, Marx, Engels -, l'intendance suivrait, bon gré mal gré. Or, rien ne s'est produit. Pas de révolution mondiale, rien qu'une « révolution trahie » à Moscou. Et des désillusions partout ailleurs.

Trotski avait laissé un « héritage sans mode d'emploi », comme l'a dit Daniel Bensaïd, le théoricien de la LCR. Cet héritage, LO, les lambertistes et bien sûr la Ligue s'en disputeront les dépouilles. Un demi-siècle de guerres picrocholines. LO reste un monstre antédiluvien, paléomarxiste, vivant toujours dans la semi-clandestinité. C'est le troglodytisme ouvrier. Sa championne, si l'on peut dire, est, ou était, Ariette Laguiller. Un vieux gramophone des années quarante auquel on avait fini par s'attacher. Les lambertistes (du nom de feu Pierre Lambert, pseudonyme de Pierre Boussel) ne valent pas mieux. Ils se sont toujours abrités derrière de multiples appellations (l’avant-dernière étant le Parti des travailleurs). C'est une PME prospère, qui a pratiqué avec succès l'entrisme à FO, au PS, dans la franc-maçonnerie, mais qui n'a pas de repreneur. À force d'entrer, on finit par sortir complètement, comme eût dit Monsieur de La Palice.

Mais l'extrême gauche ne serait pas grand-chose s'il n'y avait les militants de la LCR, de loin les plus actifs. On les retrouve dans les syndicats SUD, au DAL, à Ras l'Front, AC chômage, chez les Verts. La LCR est moins psychorigide que ses consœurs trotskistes. Elle a su changer de peau, sans renoncer à sa structure ADN. C'est elle qui a le mieux intégré les nouvelles demandes sociales et les mutations du capitalisme contemporain (comme elle avait jadis été plus sensible au chahut libertaire). Elle s'est lancée dans une vaste entreprise de relookage. De nouvelles têtes - Besancenot - et un nouveau parti : le NPA, Nouveau parti anticapitaliste. On dirait du Chaban-Delmas, avec son éphémère « Nouvelle société ». Et le NPA est bien parti pour l'imiter (ce n'est pas nous qui nous en plaindrons).

Peau neuve et vieux démons

Mais il ne faut pas se tromper, l'extrême gauche est en phase avec l'évolution récente du monde. Elle est dans les vents porteurs, le « mainstream », le courant principal, comme disent les Anglo-Saxons. Son internationalisme de principe a anticipé le mouvement de mondialisation. Alter-mondialisme et globalisation néolibérale jouant le seul air qui compte, celui de la déstructuration des antiques cadres communautaires. L'histoire est pleine de ces alliances à fronts renversés, ruses de la Raison chères à Hegel. Du pacte germano-soviétique à l'actuelle complicité des libéraux et des libertaires.

Si l'extrême gauche demeure le parent pauvre du marxisme, c'est son seul ayant droit, depuis la chute de la maison mère. L'héritage est grevé de dettes, mais il reste auréolé de son ancien prestige, surtout dans les médias. L’extrême gauche sait en jouer. On la retrouve derrière toutes les causes à la mode, des sans-papiers aux sans-logis. Il ne faut ni la surestimer, ni la sous-estimer. Elle est électoralement marginale, politiquement divisée, mais omniprésente médiatiquement. Elle a relégué sa violence sur son « ultra-gauche », à des groupuscules d'« autonomes » plus proches du hooliganisme que de l'insurrection armée. Chemin faisant, elle s'est normalisée, s'ouvrant à un public d'intellectuels ratés et d'intermittents du spectacle. C'est la bobolchevisation du trotskisme. Ainsi le fantôme de Trotski n'a pas fini de hanter le monde, pareil à Ahasvérus, le Juif errant, tour à tour maudit et célébré, prêchant le déracinement de tous et l'indifférenciation universelle. Contre les peuples et les nations.

François Bousquet Le Choc du Mois octobre 2009

À lire : Christophe Bourseiller, À gauche, toute ! Trotskistes, néo-staliniens, libertaires, « ultra-gauche », situationnistes, altermondialistes... CNRS éditions, 2009.

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