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Sur le blog de Michel Onfray : des nouvelles de Radio-Paris.

Je ne sais où en est le journalisme français dans le classement international mais, avec l’épidémie de coronavirus, il me semble qu’il doit maintenant bientôt faire jeu égal avec celui de la Corée du nord…

Reporter sans frontière a donné un classement mondial de la liberté de la presse en 2019: la France était déjà trente-deuxième et l’on trouvait, avant elle, hors pays européens, la Jamaïque (8ème), le Costa-Rica (10 ème), l’Uruguay (19 ème), le Surinam (20 ème), Samoa (22 ème), la Namibie (23 ème), le Cap-Vert (25 ème), le Ghana ( 27 ème) et, juste avant, l’Afrique du sud (32 ème). C’est dire l’état de la démocratie française!

Le récent discours du président de la République a été vu par trente sept millions de téléspectateurs. Chacun aura pu mesurer l’indigence d’une prise de parole de presque une demi-heure dans laquelle l’information majeure était que le confinement, si les citoyens ont d’ici là été sages et soumis, et non si le gouvernement s’est montré intelligent et performant, pourrait être levé le 11 mai. En dehors de cela, du vent, de la bise, du zéphyr, de l’aquilon, de l’autan, du mistral, comme il en soufflait sur les tréteaux du théâtre scolaire de madame Trogneux. Mais, pitoyable jusqu’au bout, ce vent était même un faux fabriqué par les ventilateurs de communicants. Tiens d’ailleurs, puisque je parle de ventilateurs communicationnels, où est donc passée Sibeth Ndiaye depuis sa sortie sur les profs qui ne fichent rien depuis qu’ils sont confinés et feraient mieux d’aller ramasser les gariguettes chez les maraîchers?

J’ai regardé le monologue présidentiel sur BFMTV. Mais comme il n’y avait rien à dire sur ce qu’il a feint de dire, je me suis dit que le plus intéressant serait de me demander comment les journalistes présents sur le plateau toute la soirée (!) qui a suivi allaient bien pouvoir commenter ce courant d’air verbal.
 J’ai cru avoir changé de chaîne avec une fesse distraite qui aurait écrasé ma télécommande et m’aurait redirigé vers Groland. Car, assistant à ce que dans les écoles de journalisme on nomme le débriefing, et qu’on devrait bien plus tôt nommer l’enfonçage de clou, ou bien encore, avec un terme plus adéquat encore la propagande, je me suis demandé si je n’étais pas sur une soirée «spécial 1er avril».

Qu’on en juge [1]:

Alain Duhamel, diplômé l’Institut d’études politiques de Paris: «C’est son meilleur discours (sic) depuis le début, le plus humain (sic). Un discours plus modeste (sic), précis (sic). Il y avait un ton, des réponses, un calendrier».

Ruth Elkrief, diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris et du Centre de formation des journalistes: «Une date, un ton, l’humilié (sic), l’empathie (sic). Une allocution très carrée (sic), très précise (sic).».
Apolline de Malherbe, diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris: «C’était un ton extrêmement (sic) humble (sic), assez naturel. Il était assez franc, assez vrai. Ensuite, l’humilité pour lui-même et sur l’avenir (sic). On a le sentiment du Paul Valéry qui dit que les civilisations sont mortelles. C’est une étape extrêmement (sic) importante (sic)».

Anna Cabana, diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris et dont Wikipédia nous dit qu’elle est entrée «à Marianne sous la houlette de son mentor Nicolas Domenach» [2]: «Dans la tonalité, l’espoir renaît. Dans les précédentes allocutions, il était très tragédien (sic). Là, il nous parle des jours heureux à venir. C’est du lyrisme souriant (sic)».

Faut-il en pleurer ou bien en rire?

Un discours modeste chez cet homme qui nous a dit qu’il y a peut-être eu des disfonctionnements depuis le début de l’épidémie, mais pas plus dans le pays qu’il dirige que partout ailleurs sur la planète? Faut-il parler de l’Allemagne, juste de l’Allemagne, par exemple pour lui faire honte? Ou de Taïwan? Pas question pour lui de reconnaître une seule erreur, il n’en commet jamais aucune – comme ses amis journalistes d’ailleurs dont certains se mettent à dire du bien du souverainisme, du protectionnisme, des frontières, de l’Etat et de la nation après avoir copieuse traité de fascistes pendant des années tous ceux qui défendaient ces dispositifs politiques ayant fait leurs preuves depuis des siècles[3].

Un discours humain chez cet individu qui , dans le ton d’une distribution des prix ou d’un laïus de sous-préfet en comice agricole, remercie les Français modestes qui font fonctionner le pays alors qu’il les méprise depuis le début de son quinquennat et devrait bien plutôt leur présenter ses excuses pour les avoir humiliés depuis deux ans en les traitant d’alcooliques et d’illettrés, de Gaulois réfractaires, d’égoïstes plutôt intéressés par la fin du mois que par la fin du monde , de fumeurs de gitanes qui roulent au diesel, comme disait son ami Griveaux, qui avait alors la formule plus heureuse que la main, sinon d’antisémites, de racistes, d’homophobes, de misogynes et de phallocrates quand ils se contentaient juste de demander le maintien de l’Etat protecteur français – dont chacun constate aujourd’hui la faillite?

Un discours d’humilité et d’empathie chez un chef de l’Etat qui, comme l’a montré un dessin génial ayant beaucoup tourné sur le net, se trouverait dans la tour de contrôle et annoncerait à l’avion qui se précipite au sol que tout va bien, qu’il veille, qu’il maîtrise la situation, qu’il est là, qu’il faut avoir confiance dans ce Clemenceau en culotte courte, puisque les gilets de sauvetage ont été commandés et qu’ils arriveront sans faute à la fin du mois?

Un discours à la Paul Valéry? Mais jusqu’où faudra-t-il aller dans la courtisanerie, la flatterie, l’adulation, la flagornerie, pour gagner le trophée du journaliste le plus servile, le plus misérable ? Car, soit Apolline de Malherbe connaît les pages de Paul Valéry, ce que j’ignore, elle a eu tellement de choses à lire pour se trouver là où elle est, alors quelle bassesse de convoquer ce magnifique discours sur le destin des civilisations pour le mettre en relation avec la verbigération présentielle qui n’a rien à voir avec l’un de ces discours qu’on trouvait aussi chez Malraux sur ce qu’est une civilisation et comment, quand on est chef de l’Etat, on peut agir pour en infléchir le cours! Soit elle ignore ce texte, alors il lui faut cesser de faire croire qu’elle en connaît plus qu’elle n’en sait et demander à présenter la météo où l’on ne risque pas d’avoir à citer Spengler ou Toynbee pour obtenir de l’avancement ou de l’augmentation.

Un discours lyrique souriant ? Cette dame dont le maître est Domenach fils, c’est dire, estime que l’avenir est formidable parce que le président de la République annonce une date probable de déconfinement ! Je ne sais si cette journaliste transcendantale a des enfants et si elle ira, guillerette et chantante, gazouillante et lyrique, les conduire au matin du 11 mai dans l’école où des centaines d’enfants et des dizaines d’adultes se retrouveront du jour au lendemain dé-confinés mais surtout dans une totale promiscuité sanitaire puisque tout le monde sait que le virus sera toujours actif! L’intervention présidentielle n’a servi qu’à annoncer le prolongement du confinement jusqu’au11 mai et la reprise de l’école à cette date. Il faut bien du talent journalistique pour faire de cette annonce présidentielle une occasion de lyrisme souriant! Pour ma part j’y verrai, bien plutôt, dans l’esprit d’Emmanuel Macron, de l’improvisation, du tâtonnement, du pari, disons-le en un seul mot: du bluff.

Résumons-nous: humanité, modestie, précision, humilié, empathie, franchise, vérité, lyrisme souriant, l’intervention du président de la République française fut, selon cette brochette de journalistes, un sommet de morale et d’intelligence, de vertu et de justesse. Bizarre, sans le secours et le concours de ce genre de lumières, je ne m’en serais pas rendu compte…
Michel Onfray

[1] Ces citations que j’ai voulu retrouver sur le net sont toutes dûment et judicieusement répertoriées par @SamGontier. Révolution jaune média.

[2] «"DoMNack", comme elle dit. Ses yeux se mouillent, et la voix s’éclaircit quand elle en parle » peut-on lire dans Les Inrocks, 13.IV.2016.

[3] Raphaël Glucksmann affirme dans L’Obs, c’est d’ailleurs le titre du papier : «Ce qui doit primer, ce n’est pas l’idéal européen, c’est la nécessité d’être souverain» (sic). Qu’en pense-t-on chez les socialistes dont ce jeune homme accort est devenu le porte-drapeau? Combien seront-ils dans les temps futurs, parmi ce qui reste de socialistes, à venir manger le chapeau de Mitterrand? Et que se passe-t-il dans les cerveaux pensants de l’hebdomadaire du système en publiant un texte qu’il y a un mois, aurait valu à son auteur les épithètes les plus infamantes? Mais que fait donc Eric Aeschimann? Ou bien encore, avec une eau du même tonneau, un certain DSK, expert en confinements divers, qui affirme, cynique puisqu’avec les socialistes il a contribué à marche forcée au pire qu’il affecte de dénoncer aujourd’hui: «Nous constatons, éberlués, qu’une bonne part de nos approvisionnements en médicaments dépend de la Chine. En laissant ce pays devenir "l’usine du monde" n’avons-nous pas renoncé dans des domaines essentiels à garantir notre sécurité?» in Politique internationale, 5 avril 2020. Le journaliste de Russian Today qui commente cet article écrit quant à lui : «Plus étonnant, [DSK] admet que les "doctrinaires", estimant que la mondialisation est le "stade suprême du capitalisme", ou que les "idéalistes", qui voient l'une des causes de la pandémie dans "l’absurdité écologique de faire transiter vingt fois des marchandises d’un bout à l’autre de la planète qui était en cause" […] avaient partiellement raison». Il ajoute : «Il est fort probable que la crise conduise à des formes de relocalisation de la production.» 

http://lafautearousseau.hautetfort.com/archive/2020/04/18/sur-le-blog-de-michel-onfray-des-nouvelles-de-radio-paris-6230958.html#more

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