Résumé : En 2017 la technocrature à pris le pouvoir pour sauver la démocratie disqualifiée par son élite politique. Ne pouvant se satisfaire de la dénonciation complotiste de l’ultragauche, ni du référentiel populiste, l’Action française analyse la technocrature comme un phénomène de physique sociale. Utilisant la loi historique « du développement d’oligarchies nouvelles », elle découvre que Bonaparte a crée une nouvelle classe de privilégiés, nommée suivant les époques : Oligarchie ou Nomenklatura ou Pays légal. Cette classe est soudée par l’enrichissement résultant de le maîtrise de l’appareil d’Etat.
Qui compose cette nouvelle classe/nomemklatura créée à partir de 1795 ? En fait Bonaparte prend des gens de tous les milieux, avides de faire « une fortune immense », dira l’ancien évêque M. de Talleyrand. Ce sont des prêtres jureurs à la constitution civile du clergé, des membres de la vieille noblesse et des jacobins, des margoulins enrichis grâce à l’achat des biens nationaux, des commerçants grassement rétribués par les fournitures aux Armées. Ces « habiles en finance » constituent le noyau thermidorien de la nouvelle classe de privilégiés dont le grand l’historien de la Révolution Hyppolyte Taine précise « Désormais tous les Français jouissent, en théorie, du droit commun ; par malheur, ce n’est qu’en théorie. En fait, dans la cité, les nouveaux venus s’approprient la place, les prétentions et plus que les privilèges des anciens occupants. » Au noyau thermidorien s’agrège légitimement les éléments les plus performants des « anciens déshérités de l’histoire » dont la condition était la plus basse sous l’Ancien-Régime « les juifs, sorte d’étrangers, à peine tolérés, et les calvinistes, non seulement privés des droits des plus humbles, mais encore, depuis cent ans, persécutés par l’Etat ». Pour ces habiles, Bonaparte crée immédiatement la Banque de France et lui accorde le privilège exclusif d’émettre des billets. Pour l’historien Éric Bungener, « autour des régents de la Banque de France sous l’Empire s’est construit le mythe d’une HSP, “haute société protestante”, constituée d’un tout petit nombre de familles, très riches, se mariant entre elles ». Voilà l’origine du concept des « 200 familles » inventé par Edouard Daladier au congrès radical de 1934, puis largement repris par la gauche pour justifier l’échec du Front populaire de 1936. Les régents de la BdF symbolisent l’élite financière forgée par Bonaparte et dont nombre de descendants sont aujourd’hui parmi les « super-riches » au service desquels agit le Président Macron. Parmi les quatre-vingt-onze milliardaires recensés, on repère aussi les profiteurs de l’après-guerre et quelques rares fortunes nouvelles.
A l’élite financière, Bonaparte ajoute une élite politique émanant de la nature même de son « Régime moderne » (H. Taine) basé sur une société à la fois militarisée et européanisée. La maçonnerie issue de la Grande Armée devient son armature, important dans les loges civiles la tendance laïque et anti-papale des loges militaires. Nombre de maréchaux sont francs-maçons, car Napoléon transforme la maçonnerie en institution quasi officielle et instrument d’influence majeur du pouvoir. La Terreur de Robespierre n’avait pas épargné les maçons mais Bonaparte place les survivants aux principales fonctions de l’Etat, les faisant ducs ou princes, les dotant de sénatoreries d’un bon rapport, leur permettant surtout, par une guerre qui épuise la nation, de poursuivre des malversations. La nomemklatura comprend des généraux et maréchaux dont explique Taine « en guise de dédommagement, on tolère qu’ils pillent, qu’ils lèvent des contributions et s’enrichissent ». Il ajoute : « S’il les a dotés magnifiquement, c’est en domaines découpés dans les pays conquis. » Cette Europe moderne, révolutionnaire, obtient sur place le ralliement de notables, de hauts fonctionnaires gagnés aux Lumières (Auflarung) et d’entrepreneurs enrichi par l’élargissement des marchés et la protection de la concurrence anglaise. Ces ralliés, explique le professeur Etienne François, se retrouvent « dans les mêmes loges et les même cercles, où les mariages mixtes sont fréquents…où s’accélère une dynamique d’intégration tacite à la France ». Decette Europe révolutionnaire, les collaborateurs locaux participant au pillage refluent avec la Grande Armée en 1814 et tous ces Hollandais, Germains et Italiens s’agrègent à la nomenclature française. Ainsi est assurée le vivier d’une élite politique, caractérisée par une très forte stabilité du personnel parlementaire et ministériel comme de la haute administration. Ce personnel de « politicards » fut à partir de 1986, la cible du discours « Tous pourris » lepéniste, mais la normalisation du nationalisme électoral a transféré cette contestation vers le populisme de la mouvance Gilets Jaunes.
Après la chute de Napoléon en 1815, les deux élites financière et politique se sont ralliées à Louis XVIII pour sauver les meubles. Puis elles ont liquidé en 1830 Charles X, devenu dangereux, et en 1848 Louis-Philippe, qui cherchait à s’appuyer sur les notables. Comme Marx l’a expliqué, Napoléon III fit la part belle, très belle à la nouvelle classe. En revanche, pour prospérer au maximum grâce à l’Etat, cette nouvelle classe préfère un Etat faible. Elle va donc trouver son port d’attache avec la IIIe République, lorsque son élite politique prend la totalité du pouvoir en 1879.
Quoi de mieux pour la nomenklatura que le système représentatif, dans lequel les citoyens élisent des députés en leur abandonnant le soin de décider de la loi à leur place. Une fois élus, les députés échappent complètement à leurs électeurs, décidant de la loi sans avoir de compte à rendre. Pour conserver le pouvoir, l’élite politique doit donc contrôler l’opinion du pays réel, d’où le besoin d’un quadrillage médiatique de la société. Ainsi apparait la troisième élite, celle du « parti médiatique » selon l’expression d’Antonio Gramsci, reprise par Régis Debray et Marcel Gauchet. A suivre Bernard-Henri Lévy, ses hommes ont pour origine le « parti intellectuel » crée à l’occasion de l’Affaire Dreyfus. Ils transforment la presse en outil de propagande avec la guerre de 14-18, abusent de l’usage photographique et inventent la « peoplisation » en faveur de Paul Painlevé qui, sous le Cartel des gauches, élabore le « coup médiatique ». Le paysage médiatique est profondément bouleversé à la Libération où tous les médias sont considérés coupables de soumission. Comme les biens nationaux de la Révolution, quantité d’immeubles, d’installations et de machines sont alors vendus à bas prix. Les héritiers du « parti intellectuel » nationalisent le secteur radiophonique et l’agence de presse Havas, qui devient l’Agence France-Presse (AFP). Ils deviennent surpuissants avec l’arrivée de la télévision dans les familles. L’élite médiatique obtient alors facilement le consentement du pays réel au dogme fantasmagorique de la « souveraineté populaire », permettant ainsi à l’élite politique de se maintenir au pouvoir. Le pays réel accepte ses chaînes car il est persuadé de choisir librement ses gouvernants en écoutant naïvement les responsables des rédactions, journalistes, présentateurs vedettes, éditorialistes migrateurs allant de chaîne étatique en radio privée, économistes et autres responsables de services politiques, tous sélectionnés sur l’intériorisation du politiquement correct conforme à l’institution démocratique. Aucun complot dans les stratégies mises en place sans concertation préalable, mais conséquence de l’uniformité des conceptions du monde découlant des intérêts de la l’oligarchie. Depuis 2017, l’ultragauche indigéniste de « La France Insoumise » s’est appropriée la dénonciation du « parti médiatique » — jusqu’alors terrain de la droitiste presse de réinformation –, et de sa petite poignée de milliardaires maîtrisant les médias pour entretenir avec l’Elite politique des relations incestueuses à base de subventions somptuaires et de passe-droits fiscaux.
L’ analyse maurrassienne de physique sociale amène à presque admettre la conception marxiste de l’Etat émanant des classes dominante. Pour l’Action française, le pays légal est constitué par trois élites — groupes sociaux — en situation dominante dans la société, mais dont la position et même l’existence, sont déterminés par la forme du régime politique. Le pays légal prend pratiquement la forme d’un système oligarchique circulaire ou chaque élite joue un rôle. L’élite politique, par la maitrise du pouvoir législatif favorise l’enrichissement sans risque de l’élite financière au travers des moyens de l’Etat et au détriment de celui-ci. En contrepartie l’élite financière acquiert les grands groupes de presse au profit de l’élite médiatique dont le personnel est idéologiquement sélectionné. L’élite médiatique aliène alors l’électorat du Pays réel en propageant la fantasmagorie de la souveraineté populaire pour permettre à l’élite politique de garder la maîtrise du pouvoir législatif. La boucle est bouclée. La préservation de ce système circulaire fondé sur l’intérêt financier implique le souci permanent de destruction des moyens de défense organiques du pays réel face au régime représentatif. C’est la clef de la démonstration maurrassienne de la distinction entre le pays légal et le pays réel.
Pourtant ce système très efficace a été mis à mal en 2017 par l’apparition d’une quatrième élite ; celle de la technocratie. Pourquoi ? Qui compose la technocrature ? Quel est son rôle ?