Éclipsée par la pandémie de Covid-19, la « crise migratoire » ou plutôt la tentative d’invasion de la Grèce par des cohortes de migrants instrumentalisés par Erdogan n’en constitue pas moins un défi majeur pour l’ Europe. L'UE y répond par la lâcheté, quelques nations par la solidarité.
La « crise migratoire » à la frontière grecque a fait de brefs passages dans les journaux début mars, avant d'être chassée des écrans par l'arrivée d'un autre ennemi, invisible, celui-là, le coronavirus. Pourtant, la menace que fait planer la Turquie en lâchant sur les frontières européennes des dizaines de milliers de migrants agressifs est au moins aussi tangible, déstabilisatrice et mortelle que celle de la pandémie de Covid-19. C'est en tout cas ce qu'affirme le ministre turc de l'Intérieur, Sûleyman Soylu : « Les réfugiés qui traversent l'Europe seront bientôt un million, les gouvernements européens tomberont, leurs économies seront déstabilisées, leur bourse s'effondrera, ils ne pourront rien faire. »
Fin février donc, après avoir subi des revers en Syrie, où ses troupes interviennent aux côtés des djihadistes opposés à Assad, Erdogan décide de réactiver le chantage aux migrants pour arracher à l'Union européenne et à l'OTAN un soutien direct à son entreprise expansionniste. Ankara déclare « ne plus pouvoir garder les migrants » et en lâche donc 75 000 sur la frontière grecque. Rapidement, l'opération apparaît pour ce qu'elle est : l'envoi organisé et planifié d'une troupe de supplétifs pour agresser un pays voisin. Ankara a réquisitionné des cars pour acheminer lesdits migrants aux portes de la Grèce, notamment au poste-frontière de Kastanies, leur faisant miroiter un eldorado européen, menaçant - de l'aveu des intéressés - les plus récalcitrants.
Allah Akbar et cocktails Molotov
Les « migrants fuyant la guerre », composés comme d'habitude de 80 à 90 % d'hommes seuls en âge de se battre, trouvent cependant porte close. Depuis la crise de 2015, Athènes a physiquement renforcé ses frontières et rapidement, les « réfugiés » se transforment en horde agressive. Ils tentent de forcer les barrages au cri de Allah Akbar se heurtent aux policiers grecs, les attaquent à coups de cocktail Molotov et de pierres. En plusieurs endroits de la frontière, les policiers grecs subiront même des tirs d'arme à feu.
Ils répliquent à coups de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc. En mer, au large de l'île de Lesbos, la situation est aussi tendue, les Zodiacs des migrants subissant des tirs de semonce. Pas de chance pour les défenseurs habituels des « malheureux fuyant la répression d'Assad », 96 % de ceux qui réussissent à passer et se font arrêter ne sont pas Syriens, mais Afghans, Iraniens, Pakistanais, et aussi de nombreux Maghrébins. Il faut dire qu'Erdogan conserve les Syriens sunnites pour ses plans de peuplement des zones kurdes prises à la Syrie ou l'Irak.
Plus grave, cette tentative d'invasion est militairement appuyée par le gouvernement turc. Le 5 mars, Ankara annonce officiellement l'envoi de 1 000 hommes des forces spéciales « pour empêcher la Grèce de repousser les migrants », mais depuis le début des affrontements, on voit des policiers turcs tirer grenades lacrymogènes et balles en caoutchouc sur leurs homologues grecs. Plus grave, on verra dans la nuit du 7 mars un blindé turc tenter d'arracher les clôtures grecques au grappin.
Policiers, blindés, vedettes, avions turcs en soutien aux « migrants »
Sur mer les vedettes turques tentent d'intimider les navires des garde-côtes grecs, tandis que dans le ciel, ce sont des FI 6 qui font des passes à basse altitude pour chasser les hélicoptères grecs de leur ciel, autant d'actions qui pourraient être qualifiées d'actes de guerre.
La Grèce réagit en renforçant depuis lors sa frontière en hommes, matériel et barricades, appuyée par sa population on a vu ainsi des tracteurs épandre des pesticides pour chasser les « migrants » des clôtures ou constituer une deuxième ligne de défense derrière la frontière. Les ONG de soutien aux migrants seront aussi chassées de la zone de conflit, notamment à Lesbos. Certains pays européens ont affiché leur soutien à la Grèce en envoyant des renforts de policiers Plus de 600 gardes-frontières, ainsi que des véhicules militaires et de police allemands, portugais, hongrois, polonais ou autrichiens sont arrivés à Kastanies. Chypre va envoyer une vingtaine d'hommes, la Slovaquie a promis de participer à l'effort.
L'agence européenne Frontex, elle, envoie une centaine d'hommes, dont le patrouilleur français Kermorvan, dans une mission « d'assistance aux migrants ». Un geste dans la lignée de la politique habituelle de l'UE. Si cette dernière a affiché une certaine fermeté - soutenant même la Grèce -, dans les faits, elle a poursuivi sa politique de compromission avec Erdogan. Ce dernier a été reçu à Bruxelles le 8 mars pour « tenter de dénouer la crise migratoire ». Dans les faits, le sultan a obtenu 500 millions - en plus des six milliards déjà versés au titre de l'accord sur les migrants - et un assouplissement des visas pour ses ressortissants. S'il ne va pas cracher sur le chèque, cette nouvelle capitulation en rase campagne ne risque pas de le calmer, tant il est dans une logique jusqu'au-boutiste.
D'ailleurs à ce jour, la frontière grecque est encore prise d'assaut quotidiennement. Dans cette nouvelle version de la bataille des Thermopyles, combien de temps tiendront encore les Grecs, rempart de l'Europe ?
Richard Dalleau Monde&Vie 31 mars 2020