Échange nocturne surréaliste, digne de l’Ancien Régime une heure moins le quart avant la Révolution, sur une page Facebook dédiée aux habitants de Versailles… question intriguée : « Vous entendez ces détonations au loin ? » Réponse candide : « Ce sont les Grandes Eaux du château, non ? » Sauf que le spectacle tant prisé des touristes, qui se termine traditionnellement, dans le parc, par un feu d’artifice au-dessus du bassin de Neptune a été évidemment, coronavirus oblige, annulé cette année.
N’ont pas été annulées, en revanche, de toute évidence les festivités des cités, qui n’entendent pas, elles, se priver de leurs Menus-Plaisirs.
C’est donc dans la très bourgeoise ville de Versailles, rue Hector-Berlioz, près du stade, au sein du quartier sensible de Jussieu, qui jouxte celui très résidentiel de Montreuil, que les policiers, appelés pour des blocs de béton déplacés et des poubelles en feu, sont tombés dans un guet-apens : ils ont essuyé des tirs de mortier (les feux d’artifice !), tandis qu’un véhicule était incendié et qu’une entrée de parking commençait, elle aussi, à être la proie des flammes (source policière).
Un bilan moins grave, me direz-vous, que dans d’autres banlieues – 26 voitures brûlées et 9 interpellations rien que pour la région parisienne -, mais qui montre l’avancée du phénomène et devrait sonner comme une alerte rouge dans la tête de tous ceux qui se croient loin de « tout ça », la cote immobilière prohibitive ceignant leur « chez-eux » tenant sans doute lieu, dans leur esprit, de barrière sécurisée. Il y a encore peu de temps, certaines villes cossues étaient en effet totalement épargnées ; aujourd’hui, la mixité sociale à marche forcée a porté ses fruits et certains y verront, du reste, une forme de justice immanente pour un électorat trop candide : toutes les forces de l’ordre le confirmeront, personne ne peut s’imaginer « à l’abri ».
Pour y mettre un terme, on ne compte plus sur Christophe Castaner, bien plus efficace dans la traque et la verbalisation des autres Versaillais, ceux qui ont déserté la ville pour rejoindre leur résidence secondaire – dûment achetée, pourtant, à la sueur de leur front, avec la conviction naïve qu’en tant que propriétaire, ils pourraient en profiter à leur guise -, mais sur la figure barbue quasi christique sur son lit de douleur – la vidéo postée par son avocat tourne en boucle dans les médias – du délinquant multirécidiviste par lequel l’émeute est arrivée, et qui aujourd’hui « appelle au calme » ses troupes improvisées en même temps qu’il porte plainte. Ce saint homme peut vraiment être loué, seul lui peut nous sauver !
« Fort avec les faibles, faible avec les forts ! » Cette pleutre devise devrait être décidément frappée sur le fronton du ministère de l’Intérieur. On apprend de la bouche de Monseigneur Aupetit, sur Radio Notre-Dame, qu’un prêtre qui célébrait sa messe dans le VIIIe arrondissement de Paris (Saint-André-de-l’Europe) avec, en tout, 7 personnes pour l’assister, a vu la police débarquer en armes dans son église, ce qui est formellement interdit, sauf demande expresse du curé lui-même. L’archevêque de Paris, d’un tempérament pourtant plutôt pacifique, a fortement réagi : « Il n’y avait pas de terroristes ! Il faut garder la tête froide et arrêter ce cirque ; sinon on va […] aboyer très fort. »
Dans cette crise du coronavirus, le gouvernement ne peut guère se prévaloir de beaucoup d’exploits. Il aura quand même réussi ce prodige de mettre en pétard une population éduquée depuis son plus jeune âge à battre sa coulpe, tendre l’autre joue et se faire instrument de paix. Chapeau, l’artiste ! Sans compter que si Emmanuel Macron persiste, avec un brin de condescendance, à ne pas envisager de reprise du culte avant le mois de juin, à l’instar de commerces aussi indispensables à la vie intérieure que les salons de coiffure ou les bars à ongles, la gronde pourrait monter…
Gabrielle Cluzel