Macron a pourtant été ministre de Hollande. Et ne l’eût-il pas été qu’il aurait pu mieux s’informer sur Dame Merkel. Comment peut-il prendre pour une victoire personnelle le fait que la chancelière allemande, à la suite de la menace de la Cour de Karlsruhe de déclarer contraire à la constitution allemande le rachat d’obligations publiques en raison de la baisse des taux d’intérêt pour les épargnants allemands, se soit prononcée devant le Bundestag, le 13 mai, en faveur d’une plus grande « intégration » de la zone euro, allant même jusqu’à parler d’une nécessaire « union politique » ? Lors de la conférence de presse conjointe du 18 mai avec Macron, pour présenter la proposition franco-allemande d’un plan de relance de 500 milliards d’euros, elle a même ajouté : « Nous sommes convaincus que les Etats nations ne s’en sortiront pas seuls. »
Qu’importe à Macron, qui buvait du petit lait, que la chancelière n’ait pas précisé le sens qu’elle donnait à une « intégration » plus grande de la zone euro ? Ne suffisait-il pas qu’elle ait repris devant le Bundestag les mots de l’ancien président français de la Commission européenne de 1985 à 1994 : « Nous ne devons pas oublier ce que Jacques Delors disait avant l’introduction de l’euro : il faut une union politique, une union monétaire ne suffira pas. » Et Macron, rêvant tout éveillé, de surinterpréter aussitôt les propos de la chancelière : « La réponse, comme le dit Angela, c’est le rêve européen l’idée démocratique. il ne faut rien céder à nos principes ». D’autant que « les extrêmes » et « les marchands de haine » — suivez mon regard … en direction de l’est — profiteraient de la pandémie pour remettre en cause ces principes, et de faire allusion autant aux sacro-saintes valeurs de l’Union européenne qu’à celles, tout aussi vénérées, du Conseil de l’Europe… Il conviendrait de défendre « ensemble, contre les nationalistes […] les piliers de notre union », a poursuivi Macron, tout à ses obsessions anti-souverainistes, avant de conclure que c’est le moment de « prendre des risques […] sur le chemin européen », puisque « rester où nous sommes c’est prendre le risque de reculer ».
Oui, Macron risque de prendre ses désirs pour la réalité ! Au lendemain même de l’élection de François Hollande, le 14 juin 2012, devant son parlement, Angela Merkel martelait déjà la nécessité d’accélérer l’intégration politique : « L’Allemagne est forte, l’Allemagne est le moteur économique et l’Allemagne est le pilier de la stabilité en Europe. Je dis que l’Allemagne met sa force et son pouvoir au service du bien-être du peuple, pas seulement en Allemagne mais aussi pour aider l’unité européenne et l’économie mondiale. ». Comme le notait un peu plus tard Jean-Michel Quatrepoint, « Angela Merkel a exposé son plan dans un entretien à cinq journaux européens [en 2012] : “Au fil d’un long processus, nous transférerons davantage de compétences à la Commission, qui fonctionnera alors comme un gouvernement européen pour les compétences européennes. Cela implique un Parlement fort. Le Conseil qui réunit les chefs de gouvernement formera, pour ainsi dire, la deuxième chambre. Pour finir, nous avons la Cour européenne de justice comme Cour suprême. Cela pourrait être la configuration future de l’Union politique européenne.” ll s’agit tout simplement de la transposition à l’échelle européenne du modèle allemand. Au sein de ce Parlement, le poids de l’Allemagne et de ses alliés sera prépondérant. Tout comme il le serait, grâce à ses alliances au sein de la deuxième chambre, sorte de Bundesrat. » [1]
Jamais depuis la dernière guerre, un chancelier allemand n’avait été aussi sûr de lui. Huit ans plus tard, et rassurée, en fait, par la décision de la Cour de Karlsruhe qui lui permet de faire de la communication européenne et d’enivrer le benêt eurôlâtre de l’Elysée sans prendre aucun risque, puisque, contrairement au Conseil constitutionnel français, la Cour de Karlsruhe assume sa fonction suprême, qui est de protéger la souveraineté de l’Etat, Merkel fait passer le même message aujourd’hui, sans être aussi précise, certes, à l’occasion de son plan de relance : « ils » se saignent pour « notre » monnaie, donnez toujours plus de votre souveraineté pour mériter d’entrer dans l’Europe allemande, bienfaitrice des peuples. Car le plan de relance proposé par le « couple » franco-allemand (qui n’a jamais existé) ne sera pas gratuit. Avec l’Allemagne, rien n’est jamais gratuit. Certes Merkel reconnaissait en 2012 que son projet fédéraliste était une « tâche herculéenne », mais c’était pour ajouter aussitôt qu’elle était « inévitable » : Hercule, pour Merkel, est un demi-dieu allemand…
Elle a, depuis maintenant huit ans, face à elle, des demi-portions. Par faiblesse constitutive, Hollande, faisant du sous-Mitterrand, se soumettait à Merkel pour mieux, croyait-il, la neutraliser. Macron, lui, est un idéologue. Sincèrement antipatriote, comme Jean Monnet, indifférent à la France, comme Sarkozy, cosmopolite comme ceux dont il est la créature, il a immédiatement exhibé son talon d’Achille : l’absence totale du sens des réalités, dissimulée derrière une morgue verbeuse, qui a achevé de le ridiculiser au plan international. Dans son face à face avec Merkel, patriote allemande, Macron ne compte que ce que compte, encore, la France.
François Marcilhac
[1] Causeur, janvier 2014, n°9, L’Europe a besoin d’une pause, par Jean-Michel Quatrepoint, pp.45-46