Il n’était pas peu fier, Gérald Darmanin, de revêtir, samedi, son écharpe de maire, à Tourcoing. Il n’est pas besoin d’être un adepte de la physiognomonie, chère à l’époque de Balzac, pour lire sur son visage l’expression du parfait contentement de soi. Il faut dire qu’il y a de quoi ! Il a obtenu l’autorisation exceptionnelle de cumuler la fonction de maire avec celle de ministre de l’Action et des Comptes publics. Mais rassurez-vous, il a annoncé qu’il « versait son indemnité de maire à la SPA ».
Selon le JDD, le feu vert lui aurait été donné par le chef de l’État et le Premier ministre, qui avait pourtant rappelé, il y a un an, que, « lorsqu’on est ministre, on ne peut pas cumuler avec la tête d’un exécutif ». L’un de ses proches remarque que François Hollande avait déjà accordé cette faveur à Jean-Yves Le Drian, à la fois ministre de la Défense et président de la région Bretagne. De quoi gonfler encore plus d’orgueil ce jeune ministre de trente-sept ans : c’est bien connu, les personnalités hors du commun sont aptes à occuper deux emplois à plein temps !
Cette exception à la règle a surtout une signification politique. Dès l’annonce de sa candidature aux municipales, Gérald Darmanin avait laissé entendre que, si on le forçait à choisir entre Bercy et Tourcoing, il choisirait Tourcoing. Une façon non seulement de signifier à ses électeurs son engagement pour sa ville, mais aussi de faire pression sur l’exécutif. Ils ne sont pas nombreux, les ministres qui peuvent se targuer d’avoir remporté une élection haut la main, dès le premier tour ! Le cumul de ces deux fonctions résulte de son poids politique et vient le renforcer.
Il est vrai qu’il a le profil idéal pour réussir en politique. Il suffit de jeter un coup d’œil sur son parcours pour s’apercevoir qu’il a toujours été plus fidèle à lui-même qu’à ses idées. Il a pris sa carte au RPR à seize ans, il a travaillé avec plusieurs personnalités de droite, plus au gré de ses intérêts, apparemment, que de ses convictions. Il soutint la candidature de Nicolas Sarkozy, aux primaires de 2016, avant de soutenir celle de François Fillon, puis de l’abandonner dans l’épreuve. Finalement, il passa dans l’autre camp et se retrouva dans le gouvernement d’Édouard Philippe. Il n’oublie pas de rappeler régulièrement, comme un brevet de proximité avec le peuple, que sa mère est « femme de ménage ».
Connaissant le bonhomme, il est probable qu’Emmanuel Macron s’en sert tout en s’en méfiant. Si on lui proposait Matignon, après le départ de plus en plus prévisible d’Édouard Philippe, il délaisserait sans doute sa ville. Notre Président pourrait lui faire miroiter les honneurs du pouvoir, tout en flattant sa compétence : de quoi séduire sa vanité. Sans compter la possibilité de récupérer une partie de l’électorat de droite, ce qui n’est pas négligeable en ces temps difficiles. Bien sûr, l’autre occupant de Bercy, Bruno Le Maire, sera aussi sur les rangs : il a de l’ambition et ne se laissera pas prendre pour un pigeon. On peut s’attendre à un combat de coqs en coulisses.
« Je veux peser », a confié Gérald Darmanin au JDD. Il pèse effectivement : le piston dont il bénéficie en est l’illustration. Mais qu’il se garde de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ! Macron n’a pas plus de scrupules que lui. Quant à l’opinion publique, il n’est pas sûr qu’elle apprécie son personnage et ses perpétuelles fluctuations.
Philippe Kerlouan
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