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La querelle du paganisme et du christianisme 1/5

Il y a un "esprit" rivarolien, il n’y a pas de doctrine rivarolienne. Depuis leur fondation, Rivarol et ECRITS DE PARIS fédèrent des lecteurs issus de courants très divers. Nos détracteurs nous définissent volontiers tels les vaincus de 1945 , ce qui n'est pas tout à fait faux, s'il est vrai que Rivarol et ECRITS DE PARIS incarnent ce courant d'idées animant la vraie droite. Mais qu'est-ce que la droite ? De Joseph de Maistre à Mussolini, de saint Thomas d'Aquin à Donoso Cortès, de Bossuet à Franco, de Maurras à Julius Evola, de la monarchie légitimiste au national-socialisme, des catholiques intégristes (toutes tendances confondues) aux néo-païens, il y a des différences doctrinales telles que l'on peut se demander parfois si l'identité de l'esprit rivarolien n'est pas une sensibilité réactive réduite à la dénonciation d'ennemis communs, mais sans unité intrinsèque. On peut toutefois avancer une définition consensuelle. Mérite d'appartenir à la famille des rivaroliens toute personne posant au principe de ses choix politiques la thèse suivante : l'Europe charnelle et territoriale, chargée de son héritage spirituel et ethnique, ainsi prise en ses composantes germanique, celtique et gréco-latine, constitue l'élément intellectuel et physique en lequel la condition humaine accède à la pleine conscience d'elle-même, et par là prend son sens et justifie son existence, et cela doit être tenu pour vrai non seulement pour les Européens, mais pour tous les peuples de la terre. Reste à se demander ce en quoi consiste cet héritage européen, lequel s'explicite en nations européennes chacune dotée d'un génie propre et insubstituable. Abordons aujourd'hui la question suivante le christianisme est-il consubstantiel - non seulement de fait mais en droit - à l'identité européenne ? Un problème aussi lourd ne saurait sans ridicule être traité en quelques lignes. Ne seront développées ici que quelques suggestions.

Le désir le plus profond de l'homme, induit par sa différence spécifique (animal raisonnable), est le désir de connaître. Comme le faisait observer - bien avant Heidegger - Arthur de Gobineau dans son fameux « Essai sur l'origine de l'inégalité des races humaines » (livre I) notre civilisation occidentale « a poussé loin l'esprit compréhensif et la puissance de conquête, qui en est une conséquence : comprendre tout, c'est tout prendre ». Il n'est aucune force créatrice, aucune culture, qui ne s'enracine dans le désir de connaître, lequel culmine dans la contemplation de l'être en tant qu'être. Toute culture est projection d'un idéal expressif de ce que l'homme a à être, après Pindare (Les Pythiques, 2, 72), même un Nietzsche (Le Gai Savoir § 270) invitait son prochain à devenir ce qu'il est (« du sollst der werden, der du bist »), devenir ce qu'on est, c'est se conformer à son essence. Mais ce que l'on nomme l'essence d'un être, son paradigme, sa raison d'être, cela désigne une participation à l'acte d'être, c'est-à-dire une modalité dans l'être, ou encore une certaine manière d'être un être. Or c'est de l'acte d'être que l'essence tire son être d'essence et son intelligibilité : l'essence dit le possible, par opposition à l'existence qui dit la réalité, mais même le possible doit avoir une existence de possible pour être dit possible, à peine de n'être rien; aussi la représentation culturelle de l'essence humaine sera-t-elle d'autant plus exacte que sera plus développée la spéculation sur l'être en tant qu'être. Quand on a tout dit d'un être, il reste à se demander ce que c'est que d'être de l'être, et ce que l'on sait de cet être est en dernier ressort suspendu à la compréhension de ce qu'est l'être en général. On dira qu'être de l'être; c'est tout simplement n'être pas du néant, et qu'il n’y a pas lieu de s'interroger longuement sur une chose aussi évidente, que ces spéculations sont oiseuses. Le problème est que le néant tient sa définition de celle de l'être dont il n'est que la négation. « Pourquoi y a-t-il de l'être et non pas plutôt rien ? », se demandaient Leibniz et Heidegger. L'homme est immergé dans un monde dont il est solidaire, c'est-à-dire dans un ensemble d'êtres dont l'acte d'exister ne s'impose pas de lui-même, et la recherche du "pourquoi" du monde enveloppe le souci du sens de l'existence de l'homme.

Méditer sur l'être en tant qu'être, tel fut bien l'effort sublime de la pensée universelle, en Orient et en Occident, et à peu près à la même époque, en rupture avec cette pensée mythique qui faisait le berceau intellectuel de l'humanité. Mais c'est en Grèce, et seulement en Grèce que la philosophie est née; c'est ainsi par le souci philosophique que se définit d'abord l'esprit occidental. Les premiers penseurs de la Grèce, contemporains à peu près du brahmanisme puis du bouddhisme (6e et 5e siècles, les Upanishad furent composées entre le 8e et le 6e siècle) se sont demandé, comme physiologues, quelle est la nature profonde du réel. Thaïes de Milet disait que la nature profonde des choses (et ce qu'il y a de plus profond en elles, c'est bien qu'elles sont de l'être) est eau. Pour Anaximène, elle était air, pour Anaximandre, elle était "apeiron" (l'infini au sens d'indéfini); pour Démocrite elle était atome, pour Empédocle d'Agrigente elle était les quatre éléments (eau, terre, feu, air) combinés par l'Amour et la Haine; pour Pytnagore elle était nombre. Pour les Orientaux elle était "Brahma", puissance absolue immanente au monde en lequel elle se manifeste, et associée, comme chez Empédocle, à deux principes contraires (Vishnou qui conserve et Çiva qui détruit), dans une confuse intuition païenne de la Trinité, à l'Est comme à l'Ouest. Puis, s'approfondissant, la pensée universelle a compris que les êtres donnés à notre expérience sont en devenir, que le devenir semble constituer ce qu'il y a de plus commun aux êtres (qui tous naissent et périssent), que l'être en général est aussi ce qui est commun à tous, qu'ainsi l'être en tant qu'être peut être identifié à l'universel devenir (Heraclite). Cependant, ils se sont promptement avisés du fait que devenir consiste à se contester, ainsi à n'être pas ce qu'on est, que donc ce qui est devenir n'est pas le paradigme de ce qui est vraiment, et que l'être en tant qu'être est irréductible à ce qui devient. Dès lors, ce qui est, ce ne sont pas les choses qui sont en devenir, c'est l'essence immobile des choses mobiles, c'est leur concept ou leur idée : ce triangle tracé dans le sable s'effacera, mais non l'idée de triangle et ses propriétés logiques. Ce qui est vraiment, c'est l'idée de ce qui est, c'est l'idéal dont le réel mobile n'est que la réalisation contingente et illusoire, à tout le moins structurellement inadéquate. Or l'idée en général, c'est ce qui est pour la pensée, ce qui subsiste dans la pensée, de sorte que ce qui est, c'est la pensée de l'être, c'est elle qui est être véritablement; être et pensée ne font qu'un, comme l'enseignera Parménide dans son poème. « Pantarei », dit Heraclite, mais le philosophe qui saisit le devenir n'est pas lui-même en devenir, au moins quant à sa pensée, puisqu'elle peut se l'objectiver, ainsi s'en émanciper, afin d'attester qu'il n'est pas ce qui mérite le nom d'être. Cela dit, penser est penser qu'on pense, sans quoi, ne sachant même pas que quelque chose lui est donné à penser, le moi ne penserait pas. Aussi la pensée, qui est l'être saisi dans son fond, est aussi cogito, l'être en tant qu'être est un cogito. Et c'est à partir de maintenant que se produit une césure qui décide de la dualité du développement de l'Orient et de l'Occident. À l'Est comme à l'Ouest, on prend conscience du constat suivant : l'être en tant qu'être est pensée, ainsi cogito, mais le cogito est duel, sujet et objet, scindé, il consiste dans l'acte d'être pour soi-même un autre; or l'absolu est simple, parce que, s'il était composé, alors il requerrait un principe de composition qui lui serait antérieur, et alors il ne serait pas l'absolu. La décision orientale est la suivante : l'absolu, étant simple, est au-delà de la pensée, et de ce fait il est au-delà de l'être même, de cet être que les premiers penseurs tenaient pour l'absolu. L'absolu est au-delà de l'être, au-delà de l'essence entendue selon son étymologie au-delà de l'étance ou étoffe de ce qui est en tant qu'il est, et que les philosophes (moment platonicien, puis aristotélicien, de la pensée universelle) avaient désignée telle la cause (transcendante, puis immanente) de ce qui est, à savoir son essence (au sens devenu classique de quiddité), ainsi son idée. Et si l'absolu est au-delà de l'essence, il est au-delà de l'intelligible, il échappe à tout concept, et tel est bien le constat de penseurs aussi divers que le Platon du livre 6 de la République, de Plotin, de Maître Eckhart, de Descartes (les essences sont créées par un Dieu fantasque qui, tel le dieu de l'islam, décide du vrai et du faux en les créant), de Pascal (notre raison n'est bonne qu'à nous faire prendre conscience de notre misère et de notre finitude), mais aussi de Kant, maître de la modernité, pédagogue du mondialisme démocratique : l'être, dans sa différence d'avec son apparaître, échappe au concept, il n'est connaissable que comme phénomène construit, ainsi « pour nous » mais non « en soi ». L'absolu est au-delà de notre souci d'intelligibilité : tel est aussi le constat - horresco referens du saint Thomas d'Aquin de la « Somme théologique » (question 3 article 5) Dieu n'est pas substance, car tout genre (dont la catégorie de substance) est composé, or Dieu est simple, et ainsi Dieu échappe à tout genre, il échappe à nos catégories et, parce que Dieu est l'être même (celui dont l'essence est d'exister), alors l'être échappe à nos catégories. Qu'est-ce à dire, sinon que, au rebours de l'aristotélisme, les catégories de notre pensée sont des catégories de la pensée de l'être et non point de l'être que la pensée pense ?

À suivre

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