Il y a toujours eu deux 14 Juillet. La Fête nationale commémore une autre fête qui eut lieu en 1790, la Fête de la Fédération qui s’est déroulée sur le Champ de Mars un an après la prise de la Bastille. Le Roi revenu à Paris depuis octobre la préside. La Fayette est le grand homme du jour. Il commande la garde nationale de Paris et c’est lui qui organise ce rassemblement des fédérations des gardes nationales venues de toute la France. Il prête serment à la Nation, à la Loi et au Roi qui lui même jure fidélité à la Constitution. Talleyrand célèbre la messe. La France est devenue une monarchie constitutionnelle. La famille royale est acclamée avec une ferveur qui semble unir les Français dans cette adhésion à une France nouvelle. A quelques jours près, l’année suivante, La Fayette et Bailly, le premier maire de Paris, font tirer sur la foule au même endroit. Le pays descend la pente vers la Terreur, dont les germes étaient apparus l’autre 14 Juillet, celui de 1789, lorsque après la reddition de la prison-forteresse, la foule avait massacré le gouverneur De Launay, tandis que l’on assassinait le prévôt des marchands De Flesselles, les têtes de l’un et de l’autre étant ensuite « promenées » dans la ville au bout d’une pique. Quand en 1880 cette date devint celle de la Fête Nationale, la gauche y voyait la commémoration de la révolte populaire qui commença la révolution conduisant à la république. La droite, au contraire, voulait que ce soit la célébration de l’union nationale dans un pays ayant retrouvé un équilibre de ses institutions. Les uns pensaient à 1789, les autres à 1790.
Cette dualité française a subsisté. Il y a eu cette année deux 14 Juillet : celui de la cérémonie officielle circonscrite à la Place de la Concorde, et celui de la manifestation de la Place de la République qui a entraîné des heurts avec la police. Il y avait des soignants des deux côtés, ceux que l’on mettait à l’honneur à la Concorde, et ceux qui manifestaient pour réclamer des moyens et protester contre un pouvoir qui les méprise, à la République. Le spectacle d’affrontements entre manifestants et Forces de l’ordre un jour de Fête Nationale est choquant. La réduction de la Fête officielle, habituellement marquée par un grand défilé militaire propre à stimuler la fierté nationale, à un spectacle plus composite et plus intime, s’inscrit dans la « réinvention » annoncée. Sans véritable public, il tenait à la fois de la remise des prix, pour récompenser les « premiers de corvée » du COVID-19, et de la page d’histoire afin de récupérer comme prévu la silhouette du Général de Gaulle pour rehausser l’image du titulaire actuel de la présidence. Peut-on en même temps se mettre dans l’ombre du Général qui voulait la grandeur de la France et rapetisser la manifestation qui chaque année la rappelle ? La voix doucereuse et même parfois éteinte de M. Macron lors de l’interview à laquelle il a cette année condescendu participait du même changement. Jupiter avait entamé son mandat sur un ton péremptoire, en premier de cordée méprisant et parfois transgressif, entouré de ses amis socialistes « progressistes ». Avec un nouveau gouvernement lesté d’opportunistes venus des Républicains, il se veut davantage le grand frère qui vient en aide à sa famille dans le malheur, donneur de conseils de prudence, presque « Père Noêl » pour les annonces généreuses de celui qui aime et ne compte pas, et pas du tout Père Fouettard pour les impôts. Mais les deux journalistes complaisants n’ont pas eu l’indélicatesse d’insister sur la contradiction.
En somme le 14 Juillet 2020 a réuni une Fête de la fédération rabougrie et tristounette, et un petit désordre bien de chez nous avec ces éternels insoumis qui ont toujours des Bastilles à prendre pour soigner leur vide intérieur. Dans le fond, c’était une Fête Nationale au rabais. On remarquera que Poutine, s’il a changé la date, n’a, lui, rien retiré au faste habituel du grand défilé sur la Place Rouge, destiné à montrer au monde entier que la Russie s’est réinvitée parmi les grands du monde. Pour cause de pandémie, la France militaire a été priée de se faire plus discrète. Ni la Fête de la musique, ni les rassemblements racialistes et antinationaux n’ont subi de restriction, comme si les activités privées ou revendicatives étaient désormais plus importantes que les célébrations nationales. Pour Macron, la France est un pays de 66 Millions d’habitants, non une nation de citoyens. Pas un mot d’ailleurs de politique étrangère : alors que la Turquie marque des points et se fait de plus en plus provocante et offensive, la France se tait sur un monde arabe où elle a accumulé les fautes et les déconvenues. Le 14 Juillet permet une démonstration de puissance et de volonté. Il n’a été cette année que la fête d’une nation qui se recroqueville sur ses problèmes de santé.
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