Le 14 Juillet célèbre la Nation dans son identité et sa continuité. C’est pour cela que l’événement commémoré n’est pas la prise de la Bastille mais un an plus tard la Fête de la Fédération qui célébrait autour du Roi la nouvelle monarchie constitutionnelle avant que les extrémistes ne conduisent la France à la guerre et à la Terreur. D’une certaine manière, le nouveau Président de la République a le mérite de souligner cette profonde unité de notre pays.
Il n’aura échappé à personne que le rehaussement de la fonction présidentielle aura beaucoup utilisé les monuments de l’Ancien Régime : le Louvre, Versailles et les Invalides. La laïcité n’aura pas non plus été affichée avec ostentation. Notre Dame a accueilli Mmes Trump et Macron pendant que leurs époux travaillaient ensemble. Personne ne peut nier la justesse de la démarche. Elle présente trois aspects positifs et recèle deux dangers.
D’abord, l’accueil de Vladimir Poutine et de Donald Trump de façon à la fois amicale et protocolaire dans des cadres prestigieux permet à la fois de redonner à la France sa place dans le concert des nations. A travers des lieux connus du monde entier, c’est l’image de la France qui est restaurée alors que les attentats ou les violences urbaines l’avaient grandement détériorée. Très concrètement, les reportages réalisés seront sans doute bénéfiques au tourisme dans notre pays et donc à notre économie. En second lieu, Emmanuel Macron sait que les premières semaines d’une Présidence pèsent sur la suite. En occupant l’espace médiatique en tant que Chef de l’Etat très tourné vers la gestion des affaires du monde, il fait coup double : il redore la fonction et il démontre que celle-ci lui convient, qu’il est « à la hauteur ». Enfin, et c’est le plus inattendu pour un homme issu de la gauche, il paraît tourner une page, et même plusieurs, par rapport à ses prédécesseurs, comme si la dignité et ce qu’il faut de distance avaient retrouvé leur place dans le comportement présidentiel.
Tant de soins et d’intelligence dans la mise en scène laissent toutefois percer deux soupçons. Le premier s’inquiète légitimement d’une dérive vers l’Etat-spectacle. Concrètement, Macron n’a rien obtenu ni de Poutine, ni de Trump. On a simplement vu qu’il était à l’aise avec eux et avait même été chaleureux avec le Président Américain, ce qui ne manque pas d’un certain courage. Pour autant, la France va-t-elle transformer cet essai de relations publiques en influence politique ? Rien n’est moins sûr. Auparavant, un pays affaibli et un Président discrédité se permettaient de donner des leçons à la Russie, d’exiger le départ d’Assad ou de souhaiter l’élection d’Hillary Clinton. Macron échappe à ce ridicule, mais on ignore les buts de sa politique pour l’avenir de la Syrie. Combattre le terrorisme, ne plus faire de l’élimination du Président syrien une priorité, brandir la menace d’une intervention militaire aérienne, en cas de recours aux armes chimiques, constituent des signaux. Ils ne désignent pas un cap. La vanité n’est pas absente de la mentalité française, surtout à droite. C’est cette dernière que le locataire de l’Elysée vise, retournant la stratégie de l’ouverture à gauche de Sarkozy, mais avec plus de finesse. Ce sont quelques ministres de « droite » récupérés, mais c’est surtout une mentalité flattée. Depuis Orléans et le Puy du Fou la stratégie est en marche. Beaucoup de Français « de droite » sont friands de gloriole au point d’avoir un jour porté au pouvoir le neveu de celui qui avait fini son aventure à Waterloo parce qu’il avait aussi gagné Austerlitz, dont la France n’a tiré aucun bénéfice. Le résultat, ce fut Sedan. Il n’y a pas de quoi pavoiser. Mais, si la scène est brillante et attire les regards, les coulisses ne semblent pas aussi lumineuses. Tandis que l’armée défile, le budget des armées se défile, au point de faire parler la Grande Muette par la voix du Chef d’Etat-Major, le général Pierre de Villiers. Face aux menaces grandissantes et aux charges accrues, la défense nationale ne peut accepter une diminution, et la plus importante parmi celles qui ont été citées par le Ministre du Budget, 850 Millions d’Euros sur les 4,5 Milliards d’économies présentées. Jupiter a donc dû descendre de ses nuées pour « recadrer » ces propositions. Il n’est pas facile en effet de réconcilier les ambitions du spectacle avec le terre-à-terre de la comptabilité publique. La sévérité des propos présidentiels à propos de ceux qui « étalent certains débats sur la place publique », c’est-à-dire notamment le plus haut responsable militaire, a paru excessive. Certes, le jeune Président joue son rôle, mais une élection par surprise permet-elle de surjouer l’autorité d’une fonction face à un militaire qui, lui, a fait ses preuves ? Là encore, le comédien, aussi talentueux soit-il à l’écran, risque de ne pas faire le poids face à ceux qui sont aux prises avec le réel.
On retiendra donc que M. Macron n’aime pas qu’on débatte de sa politique, sans son autorisation. Il est pourtant nécessaire que l’autre pouvoir, le législatif, soit informé des conséquences des décisions prises par le gouvernement, et il est légitime que l’opposition les conteste. Cela s’appelle la démocratie parlementaire. Même la majorité pléthorique et moutonnière d’En Marche ne peut lui substituer un pouvoir personnel pour lequel le Président manifeste un penchant inquiétant. Par ailleurs, il préfère le discours à l’interview et donne certes à cet emploi unilatéral de la parole une hauteur que les journalistes lui font souvent perdre quand ils ramènent la politique à leur niveau. Mais, de là naît un second soupçon, particulièrement grave. Un personnage aussi narcissique, qui n’aime pas être pris en défaut ou mis en difficulté, qui refuse par exemple de répondre à une question pertinente sur son déplacement à Las Vegas comme ministre, est-il tout-à-fait compatible avec la démocratie ? Celle-ci ne repose pas sur la ferveur d’un public, mais sur le soutien éclairé et lucide des citoyens à un système qui doit être transparent et viser le bien commun. Il n’y a pas de démocratie sans opposition, sans critique, sans mise en cause des gouvernants. De la part de ceux-ci, le prestige distant est nécessaire à l’exercice de l’autorité, le mépris qui repose sur le sentiment d’une supériorité que couronne la réussite est malvenu.