On pouvait difficilement imaginer que les dirigeants européens quittent le sommet sans avoir trouver un accord. Cela aurait signifié que le rafiot de l’UE coulait, et qu’on devait se préparer à un sauve-qui-peut général. Aussi, un compromis – quelle surprise ! – a-t-il été trouvé. Chacun repart donc chez soi pour y chanter victoire tandis que tous les problèmes sont restés avec la poussière sous le tapis. L’Europe est une construction technocratique voulue par une oligarchie dont l’idéologie est le progressisme tendant à remplacer la démocratie par les mécanismes du marché et le fameux Etat de droit. Cette construction se fait de plus en plus contre la volonté des peuples. Le départ du Royaume-Uni après référendum le montre clairement. Aussi, fallait-il que le beau rêve européen saisisse le contexte et prétexte du Covid-19 pour se « réinventer ». Parce que ça ne marchait pas, il fallait avancer davantage. C’est cette recette typiquement macronienne qui l’a apparemment emporté. Les 27 ont accepté pour la première fois un emprunt commun permettant de verser des subventions non remboursables aux pays les plus fragilisés sur le plan économique par la pandémie. Autrement dit, les pays du sud, recevront une aide qu’ils ne paieront qu’en participant eux-mêmes au remboursement de l’emprunt mais à un taux bien plus avantageux que si chacun d’eux avait emprunté directement. Présenté par le tandem franco-allemand, au nom de la solidarité et comme une avancée vers une plus grande intégration européenne, le projet initial reposait sur une enveloppe de 500 Milliards d’Euros d’emprunt collectif et de subventions non-remboursables. L’accord s’est fait sur 390 Milliards, à quoi s’ajoutent 360 Milliards de prêts qui, eux, devront être remboursés. Cette décision masque mal les tensions entre les Etats. Certains étaient très réticents. La propagande macronienne les présentait comme des pays frugaux voire « radins » dont notre génial conducteur aurait triomphé. La fuite en avant dans l’argent factice qui correspond de moins en moins à de la richesse réelle se fera donc désormais en partie collectivement.
En fait, il s’agissait de l’opposition immortalisée par notre bon La Fontaine entre les fourmis et les cigales. Les Etats bien gérés ne sont pas préteurs notamment parce que leurs gouvernements ont des comptes à rendre à leurs populations sur l’usage de l’argent qu’ils leur prélèvent en impôts et taxes, et que les contribuables excédés ne supportent pas que le produit de leurs efforts servent à d’autres qui n’en ont pas prodigués de pareils. Ce sont les Pays-Bas qui ont incarné la résistance : ce n’est pas nouveau. Non seulement les Néerlandais ont déjà par leurs votes montré leur euroscepticisme, mais leur Premier Ministre Mark Rutte, admirateur de Thatcher et de Churchill et confronté dans peu de temps à des élections difficiles pour sa majorité fragile a tendance à regarder vers le grand large. Toutefois, sa rigueur dans la négociation lui fait d’autant plus d’ennemis que les Pays-Bas tirent de l’Europe de substantiels bénéfices au détriment des autres, et notamment la France, l’Espagne ou l’Italie, en raison de leur surenchère en termes de concurrence fiscale. De plus, son exigence de conditionner les aides au respect de l’Etat de droit vise les Etats du groupe de Visegrad, la Hongrie et la Pologne, au premier chef. Derrière lui, on trouve l’Autriche, le Danemark et la Suède, ainsi que la Finlande. Notons pour le plaisir que M. Macron a donc rencontré des Danois réfractaires, qui, rappelons-le, ont conservé leur monnaie nationale. C’est bien sûr l’Allemagne et non la France qui a fait pencher la balance en faveur d’un accord, car bonne gestionnaire, et sa population connue pour son angoisse financière, elle aurait pu dire Nein. Sa balance exportatrice, ses voitures et ses machines vendues aux riches des pays pauvres européens en auraient par trop souffert.
On voit donc que le compromis au rabais d’hier n’est qu’une victoire à la Pyrrhus de l’Europe, chacun y trouvant avant tout un avantage économique ET politique auprès de sa population nationale. Les Pays-Bas qui demeurent un paradis fiscal au coeur de l’Europe ont gagné au passage et au-delà du succès symbolique de descendre en-dessous des 400 Milliards exigés par la France, un rabais de 22% de leur contribution. L’Autriche s’est ralliée au prix d’une baisse de 138% de la sienne par rapport à la proposition initiale de Charles Michel. Ce dernier s’est félicité que pour la première fois dans l’histoire européenne, le budget soit lié aux objectifs climatiques, et au respect de l’Etat de droit pour l’octroi des fonds ». Ce personnage qui incarne l’illégitimité démocratique en étant président du Conseil Européen après avoir été premier ministre de Belgique, un des Etats les plus mal gérés d’Europe, à la tête d’une coalition baroque où il représentait les libéraux Wallons, minoritaire en Wallonie face aux socialistes, et en Belgique face aux Flamands, résume assez bien la situation : l’Europe est un assemblage fragile d’intérêts enduit d’un vernis idéologique progressiste. Les élections prochaines dans les différents pays vont sans doute permettre aux peuples de faire craquer le vernis face au risque migratoire, et de privilégier les intérêts nationaux. Ainsi pour la France, il y avait un défi dans la participation à la construction européenne, défi relevé par le Général de Gaulle : faire de notre pays un exemple de bonne gestion et d’économie performante. Ses successeurs, surtout depuis 1981, ont perdu la bataille, et le succès apparent d’hier ne fait que masquer davantage le gouffre dans lequel s’enfonce la France.
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