Éric Dupond-Moretti n’aime pas la transparence mais il se soumettra. Il est vrai qu’il ne peut pas faire autrement, vu que c’est la loi : la transparence qui s’impose aux ministres concernant leur patrimoine.
L’avocat, qu’est d’abord le ministre de la Justice, avance des arguments contre cette fichue transparence qui peuvent convaincre, quand on y réfléchit un peu : « Est-ce qu’il est utile de savoir qu’un tel a un canoë-kayak de couleur verte, un camping-car ? Ce qui compte, pour les gens, c’est les réformes qu’ils vont faire », argue-t-il devant Apolline de Malherbe, chargée de l’interviewer pour BFM TV. Vu comme cela, effectivement.
Mais puisqu’on en est aux arguments imagés, si, avant d’être ministre, l’on possédait un canoë-kayak et qu’en rendant son maroquin, on se retrouve propriétaire d’un yacht, réformes faites ou pas, le citoyen lambda, contribuable à ses heures et qui s’offre de temps en temps un tour en pédalo, a peut-être un peu le droit de se poser des questions, non ?
À bien y réfléchir, finalement, on ne devrait nommer ministre que des gens très riches : les pauvres pourraient être tentés. Quoique, à bien y regarder, et sans tomber dans le populisme, tant honni par Dupond-Moretti, il existe des riches qui n’en ont jamais assez et des pauvres qui se contentent de ce qu’ils ont. La richesse et la pauvreté, d’ailleurs, ça doit être comme la température : une question de ressenti. Comme la jeunesse et la vieillesse : une question d’état d’esprit. Ou comme le sexe, désormais : une question de choix (Qui vous dit que je suis un homme ?).
Mais le canoë-kayak dérive de son sujet. Le sujet, c’est Éric Dupond-Moretti qui a des pudeurs sur les questions d’argent. En fait, c’est par rapport à ses enfants, qu’il est gêné. « Je vais dire quelque chose de l’ordre de l’intime : mes enfants ne savent pas ce que j’ai gagné. » C’est possible, c’est même vraisemblable, mais on peut imaginer qu’ils ont une vague idée quand même. Remarquez, les histoires d’héritiers découvrant la réalité chez le notaire, une fois les géniteurs ad patres, sont des sources inépuisables d’inspiration de films et romans. On se croyait fils ou fille de Crésus, on découvre que c’était de Job. Et inversement.
Cela dit, Éric Dupond-Moretti, qui sait d’où il vient (d’un milieu très modeste et c’est tout à son honneur) et n’a de cesse, d’ailleurs, de le répéter, applique en fait les bons vieux principes de la bourgeoisie bien élevée : on ne parle pas d’argent à table ! Et pas qu’à table, donc. Et s’il cache ses revenus à sa progéniture, c’est pour « leur donner le goût de l’effort et le goût du travail. Je ne voulais pas qu’ils se disent “On est des fils de bourgeois et ça va”. » Ne dites pas à mes enfants que je suis un bourgeois, ils me croient prolétaire.
Georges Michel