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La question scolaire : L'enseignement, une affaire privée ? 3/5

La mère aime son enfant au point de lui sacrifier sa vie, elle l'aime en se rapportant à lui et non en le rapportant à elle, elle ne fait pas de lui l'instrument de sa jouissance privée, elle se subordonne à son épanouissement; mais cela n'empêche pas qu'elle trouve son propre épanouissement, ainsi son bien - et son bien le plus propre -, dans le service de son enfant, dans l'exercice de son dévouement, aimer l'autre d'un amour d'amitié c'est l'aimer comme un autre soi même, c'est l'aimer non en se voulant du bien, mais en lui voulant du bien, mais cela n'empêche pas que l'être aimé soit lui-même un bien appétible, et qu'il soit aimable de l'aimer, épanouissant pour celui qui aime - ainsi appétible de vouloir le bien de l'autre; le rigorisme apparent du kantisme cèle un individualisme honteux, parce qu'il ne conçoit la recherche du bien que sur le mode de l'égoïsme, et c'est pourquoi il en appelle, pour fonder la morale, à un principe axé non sur la recherche du bien objectif (il est en effet immoral d'être égoïste), mais sur celle de la « bonne volonté », ou volonté d'agir par devoir, c'est-à-dire volonté capable de s'autodéterminer sans référence au bien, en vertu de sa seule liberté; qu'est-ce à dire, sinon que la liberté de la volonté devient une fin en soi, et que la fin du politique est la pure liberté ? Mais le politique peut-il encore longtemps demeurer politique s'il est finalisé par la liberté qui aura tôt fait de s'émanciper de la norme du politique pour s'éprouver en son absoluité ? La morale kantienne, en son austérité de surface, rendant impossible l'amitié, n'est qu'une modalité grandiloquente (nos contemporains libertaires et « philosophes républicains » patentés ne s'y sont pas trompés) de l'anarchisme individualiste.

Le bien commun est le bien propre de la nature humaine, laquelle est commune à tous les hommes, et se trouve plus parfaitement réalisée dans la communauté que dans l'individu : aucun individu ne peut à lui seul actualiser toutes les virtualités de la nature humaine, il ne peut être homme et femme à la fois, être en même temps paysan, prêtre, époux, guerrier, poète, ingénieur, musicien, explorateur, cuisinier, bâtisseur, philosophe de métier; il ne peut parler toutes les langues et épuiser, en sa singularité, toutes les formes du génie humain, seule une communauté en est capable, qui résume toute l'humanité selon la perspective d'une communauté nationale de destin. Par ailleurs la nature humaine est « tota sed non totaliter » en chaque homme. Si elle était totalement en un seul homme, il n'existerait qu'un seul individu humain; si elle n'y était pas tout entière, alors seule la communauté formée par tous les hommes passés, présents et futurs, mériterait d'être qualifiée d'humaine, et non les personnes qui la composent, ce qui est peu intelligible : chaque homme serait telle la partie, en soi dépourvue de sens, d'un tout qui seul aurait une signification, à la manière des pièces d'un puzzle , ou encore seul l'androgyne doublé du métis absolu serait humain (encore même, supposé qu'il soit permis de négliger son aspect tératologique, serait-il toujours impuissant à actualiser en lui-même toutes les facettes du génie humain) Et cette supposition est absurde, parce que la société n'est pas une substance individuelle dotée d'une vie propre et dont les membres entretiendraient à son égard le rapport des organes à l'égard du corps, qui vivent de la vie même du tout. La société n'est dite vivante que par analogie; c'est elle qui vit, à proprement parler, de la vie de ses membres. Puis donc que la nature humaine est tout entière et non totalement en chaque individu, l'individu est une individuation de la nature humaine, laquelle est en lui cause et raison de son identité et de ses opérations on n'a pas une nature pour exister (auquel cas il serait indifférent d'être un dieu ou une larve, pourvu qu'on existât), on existe pour faire s'actualiser les perfections d'une nature. Récapitulons : en s'ordonnant au bien commun, l'individu s'ordonne au bien de sa nature, laquelle a raison non seulement de cause efficiente mais encore de cause finale pour l'individu lui-même; donc le bien commun est raison du bien particulier, ce dont procède le bien particulier et ce à quoi est ordonné le bien particulier. Et parce que ce qui est fin d'une chose est aussi son bien, alors le bien commun, en tant même que bien du tout pris comme tout, est le meilleur - la meilleure part - du bien particulier. Tel bien, qui est mon bien (l'ordre dans ma famille), est meilleur que tel autre qui est aussi mon bien (les conditions matérielles de mon aisance au sein de ma famille), en tant qu'il est aussi le bien d'un autre. La communauté du bien n'est pas un accident contingent de son excellence, elle est coextensive à cette excellence même et définit son degré de perfection. Loin de subsumer l'ordre du politique dont elle serait le principe normatif, la morale est au contraire assumée et dépassée par le politique, parce que le bien commun enveloppe le bien particulier (auquel il est immanent telle sa raison d'être) tout en le transcendant.

C'est parce que le bien commun est immanent à et constitutif du bien particulier que le sacrifice de la partie pour le tout, inscrit en elle comme une tendance naturelle, peut être exercé sans référence explicite ou immédiate à la perspective d'une récompense divine octroyée dans une vie éternelle non mondaine. Ce n'est pas l'ordination personnelle de l'homme à Dieu qui fonde son devoir de se sacrifier pour le bien commun (il ne serait dans l'hypothèse qu'extrinsèquement commun), comme si la communauté du bien n'était elle-même bonne qu'en tant que ce bien se trouverait être le bien individuel ultime de chacun (tel est le personnalisme, qui prétend émanciper la personne de la souveraineté de l’État, au point d'exiger avec la complicité d'un corps ecclésial jamais en reste pour fustiger le "totalitarisme'' la subordination démocratique de l’État à la personne). C'est bien plutôt, comme l'a montré Charles de Koninck « De la primauté du bien commun contre les personnalistes » auquel nous empruntons, sans vergogne et par reconnaissance, certaines de ses formules lapidaires la supériorité intrinsèque du bien commun, même immanent (tel le bien politique) qui fonde en l'homme son devoir de s'ordonner en dernier ressort à Dieu comme à sa fin ultime Dieu est le bien absolument commun extrinsèque de l'univers, Dieu est souverainement aimable non seulement en tant qu'il est le bien propre suprême pour chaque créature, mais encore en tant qu'il est le bien des autres créatures , étant, de surcroît, plus intérieur à chacune qu'elle ne l'est à elle-même en tant qu'il en est cause première créatrice, Dieu est aussi, sous ce rapport, son bien intrinsèque, en ce sens que l'homme ne se connaît absolument qu'en Dieu , la communauté du bien, sa diffusibilité, sa participabilité, est définitionnelle de sa perfection.

Des considérations qui précèdent, il résulte que le bien com mun, d'abord politique, a raison de fin pour l'individu lui-même, et cela quand bien même il n'a pas raison de fin ultime. Le bien commun politique est la réalisation en acte de toutes les virtualités de la nature humaine à l'intérieur d'une communauté historique de destin, expressive d'une manière paradigmatique d'être homme. Le bien commun politique n'a pas raison de fin ultime parce que la fin ultime est la béatitude, laquelle est une participation, naturelle (analogique, par le moyen des créatures ou surnaturelle (par le don de la grâce), à l'acte à raison duquel Dieu se connaît Lui-même. Mais en se connaissant, Dieu connaît non seulement Son essence, mais aussi cette même essence en tant que participable par des créatures, et telles sont les Idées divines, tels sont les archétypes de tout ce qui est et peut être créé l'ensemble des modes de la connaissance éternelle que Dieu a de Lui-même en tant que participable. Ainsi donc, loin d'être la possession d'un bien privé, la béatitude est elle-même celle d'un bien commun, et plus commun encore que le bien politique le béatifié jouit de la participabilité du Bien en lequel son désir se repose, de la communicabilité de droit et de la communication de fait de ce Bien à toutes les créatures pour lesquelles II est leur Bien. Et le dogme catholique dont l'intelligibilité excède le pouvoir de la raison naturelle de l'éternelle génération du Verbe lui-même inclusif de toutes les Idées (Dieu se dit et se connaît éternellement dans son Concept gravide de tous les concepts), loin d'infirmer les considérations qui précèdent, les confirme en les transfigurant.

Dans un être vivant, les parties vivent de la vie même du tout, et c'est pourquoi, à moins de dégénérer, elles sont spontanément ordonnées au tout comme à leur fin la pulsation vitale qui conditionne leurs appétits est celle du tout se voulant en elles, et c'est pourquoi le bien commun est immédiatement reconnu par elles comme leur meilleur bien. Il en va, semble-t-il, tout autrement pour la société, qui est un tout d'ordre et non une substance, ainsi qui ne vit que de la vie de ses membres; aussi est-on trop souvent tenté, à partir de ce constat, d'inverser le rapport d'ordination organique entre individu et communauté, au point d'en venir à professer que la société serait pour l'homme, et que l'homme, en tant que cette personne qui n'est ultimement faite que pour Dieu, ne devrait discerner dans la société qu'un instrument de son salut individuel. Mais en vérité il n'en est rien. En effet :

Le vivant est habité par une âme, principe formel de genèse et d'organisation de ses parties ou organes; à ce titre, le vivant jouit de l'organicité substantielle rabaissant ses parties à ses organes qui sont autant de moments du processus de sa concrétisation l'âme est tout entière et non totalement immanente à chacun de ses organes dont elle est le principe de génération et de synthèse. Remarquons cependant que la puissance causale de l'âme est d'autant plus grande que cette dernière sait mieux conférer initiative et autonomie à ses propres organes, afin paradoxalement de se les mieux subordonner Usons d'une analogie le pouvoir despotique utilise comme des choses passivement mues par lui les individus sur lesquels il s'exerce , le pouvoir politique, ou pouvoir de l'homme libre  entendons - celui qui n'est pas esclave) sur l'homme libre, est d'autant plus efficace, d'autant souverain, qu'il parvient à faire vouloir par ceux qu'il se subordonne ce qu'il entend leur faire accomplir, en leur communiquant, sans la perdre et bien plutôt en la renforçant, une part de sa propre causalité, tant dans l'ordre de l'efficience que dans celui de la cause formelle; un chef charismatique, qui sait se faire aimer et faire intérioriser ses propres commandements par ceux qu'il dirige au point de les rendre coopérateurs intentionnels de ses projets, est toujours plus efficacement suivi qu'un chef se contentant de se faire craindre en annihilant les initiatives de ceux qui le servent en lui étant seulement soumis Procédons à un passage à la limite (auquel nous invite la Révélation), à une radicalisation logique de la propriété qui vient d'être décrite un pouvoir absolument souverain serait un pouvoir capable de faire s'ordonner à lui les êtres sur lesquels il s'exerce, en leur communiquant toute sa causalité sans la perdre, et bien plutôt en la maximisant, ce serait un pou voir capable de s'affirmer dans sa négation, de se faire affirmer par ceux au profit desquels il se dépossède de lui-même, et d'enrichir sa possession de soi-même dans l'acte de se donner ce qui l'illustre, c'est par exemple l'amour maternel qui, loin de s'épuiser en se communiquant à ses enfants, se renouvelle à la naissance de chaque enfant, plus la mère est féconde, plus est riche la quantité d'amour dont elle dispose pour sa progéniture; plus elle donne, plus elle possède; plus elle se dépossède, plus elle acquiert. Si l'on remarque que l'âme, quand elle est spirituelle, est le principe de la personnalité, alors ce pouvoir d'une âme sur ses organes, radicalisé, serait le pouvoir d'une âme conférant à ses organes l'autonomie propre à la personne. Ainsi donc, demandons-nous ce que serait un principe d'organicité radicalisant sa puissance causale. Ce serait quelque chose qui jouit de l'organicité substantielle du vivant rabaissant ses parties à ses organes et à ses moments, tout en jouissant de l'unité politique d'un tout se faisant poser par des parties qu'il finalise mais qui sont libres et personnelles.

À suivre

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