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La République et la Question ouvrière 3/3

III. Liberté d'esprit

Ainsi, c'est la Confédération générale du Travail qui a tort, c'est le syndicalisme qui, d'un bout à l'autre de la presse parisienne, reçoit les réprimandes après avoir reçu les coups : qu'on soit opportuniste ou radical, nationaliste ou conservateur, c'est le travailleur organisé, c'est l'organisation ouvrière que l'on rabroue ! Dans cette unanimité touchante, il n'y a guère qu'une exception. Elle est royaliste. Nous en sommes fiers.

Tout esprit soucieux de l'honneur ou du bon renom de sa corporation, de son parti, de son pays serait certainement heureux de pouvoir effacer de l'histoire de la presse française la plupart des appréciations émises les jeudi, vendredi, samedi, dimanche et lundi derniers à propos de la crise ouvrière que nous traversons. Les hommes les plus distingués, quelques-uns éminents, qui diffèrent extrêmement les uns et les autres par le caractère, la tendance politique, la situation personnelle et professionnelle, en sont venus à rédiger, somme toute, le même article. La tragique identité de leurs jugements résultait, avec évidence, de l'identité de leurs inquiétudes. La sensibilité aux intérêts primaires et privés engourdit la raison qui en conçoit de plus généraux et de plus lointains. Des hommes de premier ordre oublient donc les seuls mots qu'il serait juste, raisonnable, utile, nécessaire de prononcer :

— Pourquoi ? comment ? par qui ? par la faute de qui ?

Mais on ne peut chercher les causes quand on est obsédé de l'apparent et de l'immédiat.

Sans doute, nous sommes les premiers à en convenir, l'immédiat était gênant, et ce que nous nommons l'apparence désigne de fort désobligeantes réalités 1. Il n'est guère amusant d'allumer quinquets et chandelles, les commutateurs ne fonctionnant plus en raison du chômage de l'électricité ! Il convient d'accorder tout ce que l'on voudra au chapitre de l'ennui du public et de la mauvaise humeur des intéressés. Rien n'est plus légitime que l'expression sincère d'un sentiment vrai. Dites que c'est fâcheux, nous répondons : fâcheux en effet. Ajoutez qu'il est soulageant d'en murmurer. Nous répondrons que c'est affaire de nature et, pour qui a le crâne ou le cœur ainsi faits qu'il éprouve une consolation quelconque à projeter des flèches contre le ciel, des malédictions contre le cours des astres ou le flux des rivières, contre le mouvement ou le bruit de la mer, nous donnerons raison à chacun selon la boîte de son crâne ou les mesures de son cœur, et nous dirons amen à toutes les paroles de désolation que l'on répandra par goût de l'hygiène ou complaisance dans l'élégie.

Nous aurions sujet de gémir tout autant que les camarades, n'ayant pas été moins éprouvés qu'ils ne l'ont été, quand, à six heures, on est venu nous dire que le journal ne paraîtrait peut-être pas et que nos abonnés, avec qui nous avons un pacte, nos acheteurs au numéro déjà liés à nous par une habitude aussi ferme qu'elle est nouvelle, seraient également déçus et frustrés lundi matin par une cause indépendante de nous, mais, assurait-on, plus forte que nous. Nous nous sommes ingéniés de notre mieux.

Parmi les sourires des uns, les grognements des autres, le journal a paru. Il aurait pu ne pas paraître, et l'on eût souri moins, et l'on eût grogné plus. Mais, de ceux d'entre nous qui, au cours des consultations échangées, ont parlé d'autre chose que du mal en lui-même et recherché les responsabilités du fléau, tous, sans exception, ont fait ou ont reçu exactement, également, la même réponse, car la divergence n'est pas possible pour qui regarde de sang-froid et se détache de soi-même pour juger un fait général : les ouvriers sont agis, ils ne sont pas agents ; la Confédération générale du Travail est, elle-même, cause seconde et non cause première ; elle emploie toutes les armes qu'elle possède pour se défendre, mais l'agression ne vient pas d'elle.

L'agresseur, le coupable, le responsable, c'est le gouvernement de M. Clemenceau ; avec lui et derrière lui, le régime démocratique, le régime républicain. Vérité que l'ouvrier parisien comprend désormais. La pendaison de Marianne devant la Bourse du travail est l'acte le plus significatif de notre histoire depuis le 14 juillet 1789. Bourgeois conservateurs, le comprendrez-vous 2 ?

Nous ne reviendrons pas sur des démonstrations qui sont faites. La journée de Draveil a été ce que l'on a voulu qu'elle fût. M. Clemenceau n'a pratiqué ni le système du laisser faire, ni le système des justes mesures préventives, parce que, dans les deux cas, surtout dans le second, il y avait d'énormes chances d'éviter cette effusion de sang qu'il lui fallait pour motiver les arrestations de vendredi et pour aboutir à l'occupation administrative et à la pénétration officielle de la Confédération générale du Travail. Tout cela est si clair qu'on nous l'accorde morceau à morceau et si incontestable que chaque détail en est reconnu exact. Les Débats eux-mêmes ont avoué l'insuffisance des troupes envoyées à Draveil, cela règle la première question de fait. Le fait des intentions, des desseins gouvernementaux n'est pas moins clair.

M. Clemenceau a besoin de continuer MM. Combes et Waldeck-Rousseau. Tous trois sont dans la tradition démocratique et dans la pure logique républicaine. La démocratie a besoin de s'emparer de toute organisation indépendante ; une organisation ouvrière d'allures révolutionnaires est particulièrement précieuse aux républicains. Il la leur faut, et comme elle se refuse, il leur faut la liberté, il leur faut la vie des gens qui paraissent inspirer ce refus. M. Clemenceau est l'administrateur de ces nécessités. Il emprisonne, il tue. Les camarades de ses victimes répondent. Ils répondent selon leurs forces et selon leurs moyens. De ce que ces moyens peuvent occasionnellement nous gêner ou nous blesser nous-mêmes, cela n'est point une raison de ne pas discerner au juste celui qui le premier les a mis en train. Précisément parce que nous sommes des patriotes et des royalistes, parce que nous prétendons à quelque lucidité quand nous intervenons dans les luttes civiles au nom des intérêts supérieurs de la Cité, nous n'avons pas le droit d'être aveuglés par les coups qui nous sont destinés ou même portés.

L'impulsif, l'anarchiste, l'énergumène peuvent être menés par leurs impressions et, comme les enfants, frapper le bâton qui les frappe, l'angle auquel ils se sont cognés. Il peut convenir à un malheureux libéral, à un démocrate effréné d'être fou de rage ou fou de terreur. De telles impulsions ne doivent pas franchir le seuil d'une intelligence et d'une volonté véritablement réactionnaires comme les nôtres. La liberté du mouvement est la première condition du succès dans une action publique. Nous maintiendrons cette liberté. Liberté de prévoir, liberté de nous souvenir. L'immédiat et l'apparent ne doivent pas réussir à nous énerver. Attachés impassiblement à l'étude de la situation et poursuivant sans sourciller, quoi qu'il arrive, la confrontation lumineuse des événements successifs et des vérités qui ne passent point, notre exacte fidélité à ces principes, à ces études, établira enfin dans la minorité qui, un jour ou une nuit, aura la charge des destinées du pays, ce degré de constance, de fermeté, de décision, cet esprit d'entreprise et de gouvernement sans lequel rien de grand ne saurait être conçu ni exécuté.

Il y a des âmes d'esclaves. Par la connaissance des causes, par le calcul précis des responsabilités engagées, par un sincère amour de la patrie, de l'armée et de toutes les autres classes du peuple, faisons, dans l'Interrègne, au public royaliste une âme de roi. C'est encore le seul moyen de ramener bientôt le vrai Roi, celui qui nous dispensera de veiller constamment aux affaires publiques et qui, veillant de haut sur l'intérêt de tous, rendra les bons Français à la gestion des intérêts particuliers que les intrigues politiques ne menaceront plus.

L'Action française, 4 août 1908.

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