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La Guerre d'Algérie de 1954 à... 2018

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Entre provocations algériennes et repentances macroniennes, la guerre d'Algérie n'est pas terminée même si pour l'instant, elle se joue avant tout sur le terrain de la mémoire. Première victime de cette guerre mémorielle : l'honneur français.

« Maurice Audin, enfin ! », titre L'Humanité le 15 septembre dernier. Audin, mathématicien encarté au Parti communiste algérien, a été arrêté en pleine bataille d'Alger (1957) et n'a jamais reparu. Le mois dernier, Macron a reconnu la responsabilité de l'État dans sa disparition. « Crime d’État », affirme Libération.

Audin a-t-il été torturé par les paras français ? Succombé à des sévices ? Qui est responsable de sa mort ? Et qu'est-il advenu de son corps ? Autant de questions légitimes, pas encore éclaircies.

Ce qui est clair, en revanche, c'est la résonnance de l'acte macronien. Une nouvelle fois, la France fait repentance. C'est l'occasion de dresser le tableau simpliste d'une cause juste - celle des Fellaghas et porteurs de valise - opposée au Mal en action (l'Armée, les tortionnaires). Ce qui est très clair, ici, c'est que l'Elysée n'a en rien rappelé qu'Audin avait, par son engagement pro-FLN endossé consciemment la qualité d'ennemi public de la France. Eric Zemmour l'a dit assez rudement quelque injustes que furent les tortures infligées, Audin « aurait mérité douze balles dans la peau ». Le sort réservé aux traîtres lors d'un conflit. Pas d'État sans distinction entre l'ami et l'ennemi Zemmour rappelle la leçon du politologue allemand Carl Schmitt, oubliée par l’Élysée.

Quant à Macron, c'est l'homme du « en même temps ». Il assure quelques jours plus tard que l'État débloquera 40 millions pour indemniser les harkis, musulmans fidèles à la France, et leurs descendants. Une somme jugée ridicule par les intéressés, estimant que le préjudice subi s'élève à dix fois plus !

Repentance à répétition

Bien malin qui saurait exactement comment chiffrer la réparation matérielle des horreurs subies, des soldats massacrés, des civils fusillés, des familles déchirées, de l'abandon, des mains non tendues. Certes, le 3 octobre, le Conseil d'État a condamné la France à verser 15 000 euros à un fils de harkis ayant vécu quinze années dans des camps.

L'histoire de la guerre d'Algérie est celle d'un perpétuel retour. Et c'est avant tout sur le front de la mémoire et des symboles qu'elle continue aujourd'hui. L'enjeu est politique d'abord : on se souvient des propos du candidat Macron qui, en pleine campagne de 2017 qualifiait la colonisation de « crime contre l'Humanité ».

La repentance. Orchestrée tant par le pouvoir politique que par les officines associatives, elle est relativement récente. Un Mitterrand par exemple - qui à l’époque des « événements » avait juré « moi vivant, jamais le drapeau du FLN ne flottera sur l'Algérie » - n'aurait sans doute pas consenti à demander pardon aux Algériens. Mais c'était une autre France. Celle d'avant Chirac, le pénitent corrézien. Depuis les années 1990, la repentance est devenue un refrain constant. Dans Vive l'Algérie française ! (2012), le pied-noir Robert Ménard recense cette litanie de la contrition. Évoquant la « perfusion compassionnelle » française, il fustige la frénétique repentance à sens unique qui s'est emparée de la France. Ce sont les noms de rue (17 octobre 1961, Charonne, 19 mars 1962), les hommages aux porteurs de valise ou encore les tentatives, venues de la gauche, de faire disparaître les monuments en hommage aux martyrs de l'Algérie française. Verdict : il règne dans notre pays un totalitarisme de la mémoire fellagha.

Le phénomène est protéiforme. Ici, on rappelle à satiété l'héritage tortionnaire de l'Armée française il existe devant l'École militaire un carrefour Jacques-Pâris-de-Bollardière, grand contempteur de la torture en Algérie. On dépeint les Bigeard, Massu et surtout Aussaresses comme autant de « Klaus Barbie » à la française. On ignore la complexité de l'époque. Le lourd contexte de la bataille d'Alger. Les attentats à chaque coin de rue. La terreur. Bien sûr, les crimes du FLN sont, eux, passés sous silence. Société, État, médias tous se sont fait les procureurs de la politique française en Algérie. Ce récit mémoriel ne se construit pas sans de grossières confusions. Ainsi, lorsque Robert Ménard décide de baptiser une rue biterroise du nom d'Hélie de Saint-Marc, les journalistes l'accusent d'honorer un militant de l'OAS. Ce que Saint-Marc, rescapé des camps de la mort et grand-croix de la Légion d'honneur, n'était nullement.

En toile de fond, il y a la volonté de faire le procès, tout crûment, de la « colonisation ». Mot unique cachant des réalités diverses. Que vise Macron, comme son prédécesseur Hollande ? Sétif ? La Toussaint Rouge ? Les constructions de routes, d'hôpitaux, d'infrastructures ? L'héroïsme des soldats pieds-noirs, les plus décorés de France en 14-18 ? L'humanisme progressiste de la IIIe République, désireux d'apporter les « Lumières » aux arabo-berbères ? Le décret Crémieux naturalisant les Juifs d'Algérie ? Le sacrifice du père de Foucauld ? Le dévouement des médecins français ? La fraternité d'armes des harkis et légionnaires ?

En réalité, la vision officielle de la « colonisation » est biaisée, viciée. On nous dit que la France a envahi et asservi un pays libre, alors que l'Algérie n'avait jamais existé politiquement avant 1830. On nous affirme que les Français ont pillé les richesses des Algériens, alors que la balance commerciale n'a jamais cessé d'être déficitaire, en faveur de l'Algérie, comme le montre l'historien Daniel Lefeuvre (Pour en finir avec la repentance coloniale, 2008). Le Français est vu comme l'archétype du colon, alors que, des envahisseurs musulmans aux sbires du sultan turc, la côte d'El Djazaïr a toujours été colonisée par quelqu'un. Elle fut aussi un grand repaire de pirates esclavagistes... Où l'on voit que l'Histoire n'est ni blanche, ni noire.

Un fil rouge qui est une grosse ficelle

Si ce récit a fait florès, c'est que son fil rouge est puissant. C'est le dénigrement de la France. Pas uniquement de l’Armée, non, ni du régime mais bien du pays lui-même, de sa terre et de ses hommes. Derrière les campagnes de calomnies appuyées sur la guerre d'Algérie, se cache la volonté de relativiser l'honneur français. Une sorte d'anti-roman national. L'Histoire de France serait donc celle d'un pays de colons, d'exploiteurs et de tortionnaires. Dans un mauvais remake de la lutte des classes marxiste, il y aurait donc eu un camp unique de damnés de la terre celui des Algériens musulmans, éternelles victimes.

Cette culpabilité intrinsèque du Français n'a, si l'on peut dire, rien d'innocent. C'est une grosse ficelle mais elle permet de tout justifier, à commencer par l'immigration maghrébine. Elle permet surtout de tout excuser, à commencer par le défaut d'assimilation, comme l'explique Daniel Lefeuvre : « La discrimination sociale dont sont victimes les jeunes Français - et les immigrés - noirs et arabes de nos banlieues et de nos quartiers déshérités ? Héritage colonial ! Le racisme de la police ou de l'administration ? Héritage colonial ! L’échec scolaire ? Héritage colonial ! La difficile insertion de l'islam dans l'espace national ? Héritage colonial ! Et lorsque la justice condamne un jeune délinquant, pour peu qu'il soit arabe ou noir, c'est encore l'œuvre d'une justice toujours coloniale ! ». C'est le logiciel déconstructeur des mouvements « indigénistes ».

Ce récit imprègne une population française nouvelle. Depuis les accords d'Évian, des centaines de milliers d'Algériens se sont installés en France. On estime aujourd'hui que la diaspora algérienne en France - pêle-mêle étrangers, binationaux et Français d'origine algérienne - représente entre deux et cinq millions de personnes. Or, comment assimiler correctement des populations travaillées par un tel dénigrement de la France ? Comment susciter une adhésion pleine et entière à la nation France, si ce pays n'a été que violence et veulerie contre les angéliques ancêtres indigènes ? Cet anti-roman national n'est pas seulement erroné et binaire, il est dangereux, dévastateur. On lui doit les drapeaux français brûlés et ceux du FLN exhibés, à l'issue des rencontres de football. Des jeunes ressortissants français peuvent ainsi, sans avoir jamais mis les pieds au bled, s'identifier totalement aux Moudjahidines des années 60. Face à eux, le flic est le nouveau para. Au fond, la guerre d'Algérie n'est pas terminée elle a changé de forme et franchi la Méditerranée, direction les banlieues. Éric Zemmour a vu, dans les quartiers populaires de son enfance, les enfants des Fellaghas prendre la place des fils de « rapatriés ».

Indécence d'Alger

L'indécence d'Alger couronne le tout. La main de fer du FLN a permis au pays de sortir victorieux, quoi qu'exsangue, de la « décennie noire » islamiste (1991-2002). L’Algérie a échappé au « Printemps arabe ». Aussi l'indéboulonnable Bouteflika s'arc-boute sur un nationalisme algérien canal historique, en guise de ciment patriotique. Lui-même régulièrement soigné en France, le président algérien tente de maintenir artificiellement en vie l'unité de son pays, en visant le bouc-émissaire français. En 2000, il compare les harkis à des « collabos ». En 2017, il presse la France de reconnaître les « souffrances » infligées à son peuple. Et cet automne, un de ses ministres annonce qu'une commission sera mise en place pour recenser les « crimes coloniaux » perpétrés par la France. Étrangement, les massacres de harkis ou de pieds-noirs sont hors-sujet. La reconnaissance du « sourire kabyle » n'est pas au programme. Pendant ce temps-là, les cimetières français continuent d'être profanés en Algérie, dans l'indifférence générale.

Plus que jamais, sur les deux rives, la mémoire des fidèles de la France ressemble à une forteresse assiégée. Un camp retranché, peuplé d'ombres chantant la Marseillaise, et où flotte, Jean-Pax Méfret dixit, « le drapeau taché du sang d'Hernandez ».

François La Choüe monde&vie 19 octobre 2018 n°961

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