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Pourquoi je ne suis pas populiste par Éric Letty

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J’aime trop le peuple pour être démocrate et trop la France pour me dire « populiste ». L’appellation est à la mode; mais je ne suis pas prêt à renoncer à celle de « nationaliste », qu’Emmanuel Macron emploie, dans tous ses discours, comme un épouvantail à gogos.

Il a sans doute ses raisons : voici quelques décennies que le « nationalisme » a mauvaise presse. On lui impute les deux dernières guerres mondiales. C'est pourtant un socialiste, Viviani, qui a engagé la France dans la première; et le pangermanisme d'Adolf Hitler devait davantage au racisme qu'au nationalisme.

Pourtant, Saint Jean-Paul II lui-même, qui écrivait, dans son livre Mémoire et identité, que « l'identité culturelle et historique des sociétés est sauvegardée et entretenue par ce qui est inclus dans le concept de nation », redoutait que « la fonction irremplaçable de la nation dégénère en nationalisme », la caractéristique de ce dernier étant, selon ce pape, « de ne reconnaître et de ne rechercher que le bien de sa propre nation, sans tenir compte des droits des autres ».

La critique est sévère. Ajoutons-y l'ambiguïté originelle des termes « nation » et « nationalisme » dans l'histoire de la France. L'idée de nation et le mot lui-même sont anciens. Une chanson qui figure dans le Manuscrit de Bayeux, datant du XVe siècle, reprochait déjà au « roy angloys » d'avoir voulu « mener les bons François hors de leur nation ». Pourtant, trois siècles plus tard, les Vendéens de Charrette chantent en hommage à leur chef : « le sauveur de la France va détruire la Nation ». Entre les deux chants, l'idée de nation a changé de sens, les révolutionnaires en ayant fait un vecteur idéologique.

À priori, il peut donc paraître hasardeux, et même contradictoire pour un Français de tradition, de se réclamer du nationalisme. Je maintiens pourtant que ce vocable est préférable à celui de « populisme », qui m'apparaît même comme une régression.

Le pape Jean-Paul II, quant à lui, préférait parler de « patriotisme ». La patrie, c'est la terre des pères. Or, cette réalité est plus présente dans l'idée de nation que dans celle de peuple. On a vu, dans l'histoire, des peuples sans patrie, nomadiser à la recherche d'une terre où s'installer, comme les Hébreux en marche vers la Terre promise. Tandis que le mot « nation » provient étymologiquement du latin nasci, naître. On naît sur une terre - la patrie -, au sein d'un peuple.

Notre patrie française est le fruit de la volonté politique d'une longue lignée de rois de France. Sa construction n'allait pas de soi et elle réunit au sein d'une même nation des peuples différents, bien que se soit créée entre eux une unité qui permet de parler d'un peuple français. Mais c'est un singulier pluriel ! Pour réunir cet ensemble qui pourrait sembler fait de bric et de broc, les rois constructeurs de la France ont utilisé comme outil l'État. Après la chute de la monarchie, d'outil, cet État est devenu maître et tête de la république jacobine il fallait bien trouver un principe unificateur après la mort du roi ! Mais, sous la République comme sous la monarchie, la nation française reste plus que d'autres une construction politique.

Le « populisme », me semble-t-il, restitue moins que le « nationalisme » cette dimension politique : il a une connotation plutôt identitaire et parfois ethnique. Mais de quelle identité parle-t-on ? D'une identité basque, bretonne, corse, picarde, bourguignonne, alsacienne, martiniquaise ? D'une identité française ? Ou d'une identité européenne ? La France est mieux qu'une race, c'est une nation, rappelait l'historien Jacques Bainville.

Justement parce qu'elle est une construction politique, la nation française est plus clairement définie : un peuple historiquement composé de peuples divers, partageant au-delà de différences culturelles une civilisation commune, et vivant sur un territoire déterminé. Le « nationalisme » français, dépouillé des références révolutionnaires, paraît donc à la fois plus précis et moins réducteur que l'idée de populisme - puisqu'il englobe la double réalité du peuple et de la patrie. Ainsi compris, il échappe à la critique de Jean-Paul II : défendre les intérêts de sa nation ne conduit pas inévitablement à bafouer les droits des autres, encore moins à les contraindre. Le nationalisme français ne dégénère pas en impérialisme.

C'est ce que ne peut admettre - ou feint de ne pouvoir admettre - Emmanuel Macron, lorsqu'il s'en prend aux « nationalistes ». Il leur rend cependant un hommage aussi mérité qu'involontaire en les opposant aux européistes et aux mondialistes. Le « progressisme » dont il se réclame répudie le peuple et la patrie, et conserve les références révolutionnaires. À la volonté de construire politiquement la nation, il substitue celle, également politique, de la déconstruire.

Si l'on souhaite au contraire libérer le nationalisme français des scories révolutionnaires, il est inévitable de l'étendre jusqu'à ce que Charles Maurras appelait le nationalisme intégral, c'est-à-dire la restauration monarchique. Ce n'est que par là que sera instauré un populisme authentique : non pas celui qui prétendrait que, par on ne sait quelle vertu surnaturelle, le peuple aurait toujours et collectivement raison; mais celui qui, à côté de l'autorité en haut - c'est-à-dire à la hauteur des missions régaliennes, qui échoient au souverain -, rétablirait les libertés en bas, aux niveaux locaux et professionnels, où les Français peuvent être consultés avec fruit, y compris à travers les référendum d'initiative populaire.

monde&vie 23 mai 2019 n°971

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