Les États-Unis : « parasites de l'économie mondiale »
Première puissance économique mondiale, les États-Unis sont frappés de plein fouet. Durant toute la dernière décennie, ils n'avaient pu servir de moteur à la consommation mondiale qu'en dépensant beaucoup plus que leur revenu national ne les y autorisait, ce qui fut l'une des causes des déficits qu'ils enregistrèrent dans leur balance de paiements courants. Ils ont, autrement dit, consommé beaucoup plus qu'ils ne produisaient (la part de la consommation dans leur PIB, beaucoup plus élevée que dans la plupart des pays européens, se situe autour de 70 %). Résultats des déficits historiques et un endettement colossal. À l'heure actuelle, toute dépense publique faite aux États-Unis est financée à hauteur de 42 % par l’emprunt ! Le 16 mai 2011, la dette américaine a crevé le plafond des 14294 milliards de dollars, ce qui a placé les États-Unis au bord du défaut de paiement. L'accord politique intervenu in extremis le 1er août entre les républicains et les démocrates a permis de relever ce plafond, mais l'échéance est seulement repoussée. L'accord ne porte d'ailleurs que sur la dette de l'État fédéral et sur la capacité du Trésor à rembourser les emprunteurs en faisant fonctionner la planche à billets, alors que les finances locales sont également menacées. Le président Obama a dû s'engager à un plan de réduction drastique de la dépense publique, ce qui devrait se traduire par des coupes opérées, non dans le budget militaire avec des soldats engagés sur trois fronts (Irak, Afghanistan et Libye), il est plus gigantesque que jamais -, mais dans les services publics et les programmes sociaux. Ces décisions n'ont pas empêché les agences de notation d'abaisser, pour la première fois de l'histoire, la « note » des États-Unis, ce qui provoqué un nouveau mini-krach boursier.
Les États-Unis, à qui Vladimir Poutine a publiquement reproché, le 4 août dernier, non seulement de vivre au-dessus de leurs moyens, mais de vivre en « parasites de l'économie mondiale », se retrouvent en fait dans une situation catastrophique, tant au niveau de l'État fédéral que des États fédérés, dont 46 (parmi lesquels l'opulente Californie) sont officiellement en faillite ou en grandes difficultés. Depuis trois ans, leur déficit budgétaire se situe entre 9 et 11 % du PIB. Leur déficit de la balance des paiements courants a atteint le niveau record de 400 milliards de dollars par an. Le chômage tourne autour de 10 %, chiffre rarement vu outre-Atlantique.
Ils sont en outre devenus les principaux débiteurs du globe, avec plus de 3 000 milliards de dettes dus au reste du monde (à commencer par la Chine). Et comme leurs créanciers répugnent de plus en plus à détenir de la dette à long terme, ils doivent emprunter à plus brève échéance pour financer leurs déficits, ce qui les rend plus vulnérables à la crise. De ce fait, la confiance à l'égard du dollar est en train de fondre comme neige au soleil. Depuis fin 2010, la Chine se débarrasse discrètement de ses titres américains, les Bons du trésor américains trouvent de moins en moins d'acheteurs, et c'est la Réserve fédérale elle-même qui achète la presque totalité des obligations émises outre-Atlantique. En d'autres termes, la valeur du dollar ne se maintient qu'à coups d'achats effectués par ses propres émetteurs ! Mais en cas de chute soudaine du dollar, la Chine et leurs autres créanciers n'accepteraient certainement pas de voir chuter leurs actifs en dollars. Toute la question est de savoir ce qu'ils exigeront, économiquement et politiquement, en échange. Pourquoi pas l'abandon par les États-Unis de la défense de Taïwan ? Depuis deux ans, la guerre financière menée par les spéculateurs et les investisseurs institutionnels contre les États bat son plein. Les attaques sur les marchés financiers prennent la forme d'une hausse directe ou indirecte des taux d'intérêts que les pays doivent payer pour emprunter. Les indications fournies par les agences de notation déterminent les cibles et la stratégie à adopter.
Les trois principales agences de notation - elles représentent à elles seules 95% du secteur - sont Standard&poors, Fitch ratings et Moody’sIl est noter que c’est seulement à date récente qu’elles ont été habilitées à évaluer la santé financière, non seulement des banques et des sociétés privées, mais aussi des États. Elles se sont aussitôt employées à décoter la solvabilité des emprunts d'État. La baisse brutale des principales places financières qui a fait suite, en août dernier, à leur décision de dégrader la note des États-Unis suffit à montrer l'influence qu'elles exercent. Le problème qui se pose est celui de leur indépendance, puisqu'elles sont financées par les mêmes établissements dont elles évaluent la solvabilité ce sont les banques qui les payent pour évaluer leurs produits.
1973 : la Banque de France ne peut plus prêtés à l'État !
Une grande partie des dettes publiques se trouve aujourd'hui dans les comptes des banques qui n'ont cessé d'en acheter depuis 2008, sans se préoccuper outre-mesure de la fragilité des finances publiques aggravée par la récession et la crise. Ces achats de dette publique ont été financés par l'argent que les banques pouvaient se procurer auprès de la Banque centrale européenne (BCE) à un prix quasi-nul. En d'autres termes, les banques ont prêté aux États, à un taux d'intérêt variable, des sommes qu'elles ont elles-même empruntées pour presque rien. Mais pourquoi les États ne peuvent-ils pas se procurer eux-mêmes les sommes en question auprès de la Banque centrale ? Tout simplement parce que cela leur est interdit !
C'est le 3 janvier 1973 que le gouvernement français, sur proposition de Valéry Giscard d'Estaing, alors ministre des Finances, a fait adopter une loi de réforme des statuts de la Banque de France disposant que « le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l'escompte de la Banque de France » (art. 25), ce qui signifie qu'il est désormais interdit à la Banque de France d'accorder des prêts par définition non grevés d'intérêt - à l'État, celui-ci étant dès lors obligé d'emprunter sur les marchés financiers aux taux d'intérêt que ceux-ci jugent adéquats. Les banques privées, elles, peuvent continuer d'emprunter à la Banque centrale européenne (BCE) à un taux dérisoire (moins de 1 %) pour prêter aux États à un taux variant entre 3,5 et 7 %. Cette mesure a ensuite été généralisée dans toute l'Europe par le traité de Maastricht (art. 104) et le traité de Lisbonne (art. 123). Les États européens ne peuvent donc plus emprunter auprès de leurs banques centrales. Tournant capital dont on mesure aujourd'hui les conséquences. Comme l'a écrit Léon Camus, la décision prise en 1973 revenait à dire que « l'État abandonne le droit de "battre monnaie" et transfère cette faculté souveraine au secteur privé dont il devient le débiteur volontaire ».
Mieux encore à l'automne 2010, l'Union européenne a également accepté que les obligations souscrites par le nouveau Fonds européen de stabilité financière (FESF) ne soient plus considérées comme des créances privilégiées, ce qui signifiait que les États européens renonçaient à exiger d'être remboursés avant les créanciers privés. Le renflouement des banques prime désormais légalement sur l'argent des contribuables !
Les pays les plus endettés (Grèce, Irlande, Portugal, etc.) ne peuvent emprunter que sur les marchés financiers à court terme (trois mois ou six mois). S'ils voulaient emprunter sur les marchés financiers ou aux banques à cinq ou dix ans, ils devraient accepter un taux d'intérêt de 14 à 17 %, qui est pour eux insupportable. Les seuls organismes qui acceptent de leur prêter à long terme sont le Fonds monétaire international (FMI), la Commission européenne et la Banque centrale européenne (BCE), qui acceptent désormais de prêter à 3,5 ou 4 %, mais en exigeant en contrepartie des mesures d'austérité drastiques dont les principales victimes sont les classes populaires. Or, ces mesures diminuent l'activité économique, ce qui réduit encore la capacité de remboursement des États.
Le piège de l'euro
Les marchés financiers n'en assurent pas moins que l'austérité ramènera la confiance, et que la confiance engendrera la croissance. C'est évidemment l'inverse, puisque l'austérité a pour conséquence immédiate une diminution des revenus, laquelle exerce mécaniquement une pression déflationniste sur le pouvoir d'achat, et donc sur la demande, ce qui ne peut que freiner la croissance et diminuer encore la solvabilité des États. Les plans d'austérité relèvent en réalité de cette « stratégie du choc » qu'a décrite Naomi Klein. En France par exemple, faute de « retrouver la croissance », le gouvernement français n'aura d'autre choix que d'augmenter les impôts et la TVA, sans que ces prélèvements se traduisent par une amélioration des services publics, puisqu'ils seront affectés au service de la dette. Les services publics seront au contraire affectés négativement puisqu'après la prolongation de l'âge de la retraite, il est maintenant question d'effectuer des coupes claires dans les services sociaux et les services de santé.
Le même schéma se retrouve dans tous les pays. En fin de compte, il s'agit toujours de ne sauver les États que pour éviter un nouvel effondrement de la finance mondiale. C'est la raison pour laquelle les exigences des créanciers prennent systématiquement le pas sur celles des citoyens. Il n'y a plus alors que deux possibilités : soit les mesures d'austérité deviennent telles qu'elles aboutissent à une révolte généralisée, soit la dette augmente dans des proportions telles qu'elle devient définitivement impayable et les situations de cessation de paiement se multiplient. L'exigence de mesures d'austérité s'est déjà révélée inopérante en Amérique latine et en Asie. Elle ne marchera pas mieux en Europe.
À suivre