Certains historiens nous encouragent depuis deux décennies à revisiter les mythes de la supériorité militaire allemands et du concept même de blitzkrieg, notamment à l’épreuve de la compagne de France de 1940. Décryptage.
Le premier mythe à exposer est celui qui, de l'ironie de Liddell Hart sur « l'effondrement rapide de la première armée du monde » aux manuels scolaires les plus récents, sorte de roman national masochiste et inverti, voudrait que l'Armée française n'ait pas combattu et que la bataille de France de mai-juin 1940 se soit résumée à une promenade de santé pour la Wehrmacht. Nul besoin d'historiens, mais un simple rappel des chiffres, pour se convaincre du contraire(et de la dimension acharnée de certains combats, notamment sur la Somme et l'Aisne) du 10 mai au 25 juin, les Français détruisirent près de sept-cents blindés allemands et infligèrent plus de 30 000 pertes à la Wehrmacht(1) au prix de plus de 60 000 tués. Et le 6 juin 1944 n'aurait pas eu lieu sans les 300 000 soldats alliés rembarques à Dunkerque, opération réalisée grâce au sacrifice de deux divisions blindées françaises. Enfin, si le nombre de prisonniers français fut immense - près de deux millions -, c'est non par esprit de capitulation ou par lâcheté, mais par simple obéissance au Maréchal Pétain qui appela à cesser les combats alors que l'Armée se repliait, certes en désordre, mais tout en combattant lorsqu'elle le pouvait.
Des sources doctrinales aux abonnés absents
Autre croyance, celle de la doctrine de la « guerre éclair »(2) qui aurait été développée au sein des états-majors allemands en complément d'une politique de réarmement axée sur la mécanisation des troupes et l'utilisation des panzers. Stratégie initialement testée sur le front polonais en guise de répétition générale, avant d'être déployée en Europe de l'Ouest. Les historiens peinent à en retrouver les origines dans les textes allemands de l'entre-deux-guerres. N'en déplaise à Guderian ou Rommel, le véritable changement doctrinal outre-Rhin intervint sous la supervision du général Von Seeckt, à la tête de l'Armée de 1920 à 1926. L'homme ne perçut d'ailleurs pas le futur rôle primordial des blindés, mais mettait en avant la nécessité de la prise d'initiative, de la surprise, de la mobilité, de la nécessité d'une excellente formation des cadres et de l'autonomie de leur prise de décision tactique, affirmant « qu'il s'agit ici de désigner l'objectif à atteindre en donnant une totale liberté pour son exécution ». Ce concept n'a rien à voir avec la blitzkrieg telle que définie plus haut, et peut même formaliser les manœuvres systématiques de marches forcées de nuit, de contournements et d'attaques surprises, dans un contexte d'autonomie hiérarchique presque totale, de la division du général confédéré « Stonewall » Jackson lors de ses campagnes de 1862 ou 1863 pendant la guerre de Sécession, le tout avec une infanterie à pied sans aucun avion ni blindé. Ce que prônait Von Seeckt, c'était l'autonomie opérationnelle du management intermédiaire, le plus apte à prendre rapidement les meilleures décisions sur le terrain s'il est correctement formé. En coupant leurs communications avec l'état-major à plusieurs reprises, Guderian et Rommel (avec sa fameuse division «fantôme», c'est-à-dire introuvable et injoignable), ne firent que pousser cette doctrine dans ses retranchements, et à leur profit.
La blitzkriek fait le buzz
D'ailleurs, l'attitude très réticente de Von Rundstedt et de Hitler à ce qui ressemblait à de l'insubordination chez ces officiers de panzer-divisions montre qu'il ne s'agissait nullement d'un dogme militaire pensé et organisé comme tel pour être décisif. Selon Frieser(3) le Fuhrer déclara même le 8 novembre 1941 qu'il n'avait jamais utilisé le mot blitzkrieg, « pour la bonne raison que c'est un mot complètement stupide ». Quant à la campagne polonaise, le général Halder (chef d'état-major) en conclut que « la façon dont nous avons attaqué la Pologne ne doit pas servir de recette à l'Ouest. Ne pas utiliser contre une armée bien structurée », détruisant l'idée de galop d'essai d'un nouveau concept de «guerre totale», dont les origines lointaines remonteraient à Clausewitz (et dont on attend toujours une définition solide et objective !). Après une apparition du terme blitzkrieg dans l'édition du Time Magazine du 25 septembre 1939, il ne fut bientôt plus question que de « guerre éclair », de New-York à Berlin, en passant par Londres et Paris. La théorie militaire censée le sous-tendre est donc une reconstruction a posteriori, utilisée d'abord à des fins de sensationnalisme par les Anglo-Saxons, puis de propagande par les Allemands, puis de tentatives d'analyse par des auteurs comme Liddell Hart. Ses travaux furent influencés par sa collaboration avec Guderian, ancien spécialiste des transmissions et des transports de troupes, passionné de blindés (mais qui se garda bien de citer l'influence de Von Steeckt(4). Cette reconstruction postérieure au conflit se diffusa aussi dans un contexte de guerre froide et de tentative de récupération des anciens officiers allemands par l'OTAN (cf R&A n°64), où il s'agissait autant de flatter les Allemands que d'excuser Français et Britanniques, qui auraient d'abord été broyés par une sorte de « machine infernale ».
Achtungpanzer !
Autre mythe celui de la supériorité technique et de la quasi invincibilité des panzers allemands (cf encadré). Quant au rôle des blindés, il est loin d'être consensuel et figé dans le marbre d'une doctrine préétablie. Les dissensions au sein de l'OKW entre concepts de division rapide (Schnelle-D), division légère (Leichte-D) et division blindée (Panzer-D) perdureront bien après le début du conflit. Lorsque Rommel débarque en Afrique du Nord en février 1941, il dirige un corps expéditionnaire mixte composé d'une division légère et d'une division blindée. Le concept de division blindée évoluera pendant la guerre, et son déploiement en Russie n'a plus grand-chose à voir avec celui de la Bataille de France leur nombre est doublé et leur composition fortement modifiée par le retrait total des modèles I, l'affectation des modèles II aux seules missions de reconnaissance. Concernant le canon antichar allemand de 37 mm, il est si peu efficace face aux blindés alliés qu'il va forcer la troupe à détourner un matériel antiaérien de son usage initial le fameux acht-acht, canon de 88 mm (nouvelle application du principe de Von Steeckt).
Notes
1). À titre de comparaison, il aura fallu une coalition de l'ensemble des forces militaires occidentales pour obtenir des résultats similaires du 17 janvier au 23 février 1991 lors de l'opération « Tempête du Désert » en Irak, face à une armée du tiers-monde...
2). K-H Frieser, Le Mythe de la guerre éclair (Belin, 2003).
3). Et qui fut limogé en décembre 1941 suite à l'échec cuisant de la blitzkrieg en Russie, tout comme Rommel échoua finalement avec sa guerre de mouvement en Libye.
4). Ce concept matérialiste du conflit armé est toujours en vigueur dans l'armée américaine, nation qui ne sait rien faire d'autre que des guerres de matériel.
Le mythe de la supériorité technique allemande
En réalité, seuls 280 modèles type IV (véritable cheval de bataille des divisions blindées pendant tout le conflit) sont disponibles en France. L’Allemagne n'a produit que 247 blindés légers et moyens de septembre à décembre 1939, tandis que la France en fabriquait 500. Les deux mille panzers de type I et II se révèlent plus que médiocres au combat et constituent la majeure partie des blindés détruits, largement inférieurs aux chars lourds B1 ou aux Somua S35 français. Il ne faut pas oublier la quantité importante de matériel saisie en République Tchèque en 1939 : 1000 pièces d'artillerie, 1400 canons antichars, 250 blindés Skoda LT35 et Praga 1138, qui seront fabriqués ensuite sous les appellations Pzkpfw 35 et 38 et équiperont les divisions blindées allemandes en France dans une proportion non négligeable.
Les vraies raisons de la supériorité allemande
On le voit, l'Armée allemande était encore très expérimentale au début de 1940. Les tests de terrain des unités motorisées intégrés par l'OKW pour la campagne de France sont à chercher du côté de la légion Condor en Espagne (1936), de l'annexion de l'Autriche et des Sudètes (1938), voire de la Bohême-Moravie (1939). Le concept de blitzkrieg est artificiel et répond aux besoins des Alliés d'expliquer leurs défaites initiales. Des esprits matérialistes et sans autre mystique que celle de la marchandise et du dieu Dollar n'ont pu être en mesure que de concevoir une hypothèse technique et matérielle à leurs déconvenues : « Nous qui ne croyons qu'en la forme objet, nous n'avons pu être défaits que par une forme objet temporairement supérieure. » D'où le déclenchement d'une production industrielle hystérique de bateaux, de blindés, d'avions et de camions par les Alliés et les USA, qui finiront par submerger l'ennemi.(4)
Ce que promoteurs ou détracteurs de la blitzkrieg n'ont toutefois pas pu être en mesure de voir jusqu'ici, ou d'oser avancer, est pourtant une évidence, à savoir la supériorité intrinsèque du soldat allemand sur tous les fronts où il a combattu de 1939 à 1945. Mieux entraîné, plus combatif, plus discipliné, plus endurant, plus pragmatique, plus autonome, persuadé de la possibilité de réaliser l'impossible, porteur des fruits des Jeunesses hitlériennes ou des Chantiers de jeunesse de la décennie précédente, porté par une mystique nationale-socialiste qui le pousse à se surpasser et à se sacrifier le soldat moyen de la Wehrmacht est le meilleur soldat du monde en 1939. Le reste n'est que littérature.
Réfléchir&Agir n°66 Été 2020