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Rétablissement de la peine de mort : le débat interdit (texte de 2011)

Pour ou contre la peine de mort ? Dissuasive ou pas ? Utile ou non ? Ces questions ne se posent pas, car elles sont interdites. Le débat est clos avant même d'être ouvert. Tel est le verdict du tribunal médiatique.

Le dimanche 25 novembre 2007 dans un compartiment du RER D sur la ligne Paris-Orry-la-Ville, une jeune fille de 23 ans est assassinée. Massacrée de 34 coups de couteau par un prédateur récidiviste qui voulait la violer. Seule face à lui, elle s'est défendue et a résisté. Courageusement. Héroïquement. Jusqu'au bout. Elle s appelait Anne-Lorraine Schmitt. Trois ans plus tard, son meurtrier, Thierry Devé-Oglou, a été condamné par la Cour d'assises de Pontoise à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une peine de sûreté de 22 ans. Le 15 décembre dernier, le journaliste Julian Bugier rend compte, sur I Télé, de ce verdict. Robert Ménard, l'ancien président de l'organisation Reporters sans Frontières, est présent sur le plateau. Il réagit par quelques mots « Parfois, on regrette qu'il n'y ait pas la peine de mort ! ».

Horresco referens ! Le monstre ! Comment ose-t-il ? Faites-le taire ! Julian Bugier va rapidement s'y employer. Avec sa tête d'ange à faire chavirer les midinettes, ses cheveux bien peignés et son petit costume cintré, il admoneste aussitôt l'insolent Robert Ménard. « Je ne suis pas d'accord avec vous, Robert, rien ne justifie qu on enlève la vie. À mon sens. Merci Robert ». Merci Robert ! Circulez, y a rien à voir ! On ne débat pas. Interdit ! Exit la peine de mort. Dans notre France du vingt-et-unième siècle, il est des sujets tabous qu'il ne faut pas aborder. L'avortement en est un. La peine de mort en est un autre. Sous peine de mise au pilori, il faut être pour le premier et contre la seconde. Ça ne se discute même pas. Merci Robert ! Sujet suivant. La France des débats et des engueulades, le petit Bugier ne connaît pas. Il faut dire que je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. C'était avant que la chape du politiquement correct ne s'abatte sur le pays. Le 9 octobre 1981, la peine de mort est abolie en France. 73 députés RPR et 38 députés UDF ont voté contre cette abolition. 111 parlementaires, ce n'est pas rien. Et avant d'émettre leur vote négatif, ils ont eu le droit de s'exprimer. Leurs collègues ne les ont pas remerciés avant qu'ils aient eu le temps d ouvrir la bouche. « Merci Robert », c'était une fois les discours terminés. Des discours qui, aujourd'hui, feraient s'étrangler le petit Bugier. Ecoutons le député RPR Claude-Gérard Marcus : « Après l'abolition de la peine de mort, grande sera la joie des criminels qui échapperont ainsi à la mort. Grande aussi sera la joie de ces bons esprits qui, tous les matins, entendent, sans le moindre trouble, les statistiques des morts sur la route pendant le week-end, mais qui entrent en transe à l'idée qu'un criminel puisse mourir sur l'échafaud. Ceux-là évoquent l'éminente dignité de la personne humaine, la chance de se racheter qu'il faut laisser aux criminels. Mais leur sollicitude s'étend rarement aux victimes, ou d'une manière tellement discrète que l’on ne s en aperçoit guère. »

Le député gaulliste, Roland Nungesser, était de la même trempe : « Ne croyez-vous pas que nombre de truands et de voyous hésiteraient à matraquer, torturer, poignarder ou étrangler des personnes isolées et sans défense, vieillards de préférence, s'ils savaient que leur propre vie - la seule à laquelle ils attachent un prix - était menacée quand ils suppriment celle des autres ? » Même Bernard Stasi, membre du centre des démocrates sociaux, favorable à l'abolition de la peine capitale, n'avait pas les relents de censeur du redresseur de torts Julian Bugier : « Il n’est pas vrai que les partisans du maintien de la peine de mort soient des êtres assoiffés de sang, animés uniquement par un sentiment de vengeance. Certains de leurs arguments ne sont pas sans force, ils nous font parfois réfléchir, et leurs convictions sont toujours respectables. Face à la peine de mort, qui touche les ressorts les plus secrets de notre vie collective en même temps que les fibres les plus intimes de notre conscience, nous devons nous abstenir les uns et les autres de faire des procès d'intention, nous garder des simplifications abusives et des jugements manichéens. »

Pour une phrase, une toute petite phrase, Robert Ménard est passé à la trappe. Que serait-il arrivé au député UDF Jean Brocard s'il avait tenu les propos suivants, non en 1981 dans l'enceinte du Palais Bourbon, mais en 2010 sur le plateau de I Télé : « Par deux fois notre assemblée, à la majorité, a voté des textes législatifs favorisant l'avortement, c'est-à-dire, et je le dis en conscience personnelle, des textes qui permettent de tuer des innocents dans le ventre de leur mère. Vous voulez l'abolition de la peine de mort pour des criminels responsables, devant la société, d'actes insoutenables mettant fin à la vie de personnes innocentes. Alors, je voudrais faire appel à votre sens de la logique et de l'humain d'un côté, vous condamnez à mort des innocents qui ne demandent qu'à vivre de l'autre, vous absolvez des criminels qui ont massacré des innocents. »

C'est quand même autre chose que la remarque de Robert Ménard ! Autre temps, autres mœurs. Nous avons maintenant Julian Bugier et son « Merci Robert » ! Le 25 novembre 2007, Anne-Lorraine, dans la froideur d'une rame de RER, est parvenue à retourner l'arme de son agresseur contre lui avant de succomber sous ses coups. Merci Robert.  Badinter ?

Thierry Normand  monde&vie 8 janvier 2011 n°837

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