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Controverse : qui est responsable de la crise ?

C'est une version économique de la poule et de l'œuf : qui est responsable de la crise économique, les États ou les acteurs financiers, à commencer par les banques ? Deux de nos journalistes défendent chacun l'une des deux thèses(1), celle de la défaillance des politiques et celle de la culpabilité des banquiers. Les deux analyses se fondent sur des logiques très différentes il n'est pas surprenant que la plus interventionniste dénonce la passivité des États. Si l'on croit encore au politique, les gouvernements doivent en effet être tenus pour les principaux responsables de la crise actuelle. Reste à savoir de quel pouvoir dispose encore le politique dans le monde et dans le système international actuels. Les banquiers, somme toute, ont fait leur métier, qui consiste à gagner de l'argent, les gouvernants n'ont pas fait le leur, qui consiste à protéger les intérêts de leur peuple. Lorsque les gens de Goldman Sachs et les dirigeants grecs truquent les comptes de la Grèce, tous sont coupables, mais qui l'est le plus ? Il est vrai qu'aujourd'hui, Loukas Papadimos, qui était Gouverneur de la Banque de Grèce à l'époque où les comptes du pays furent truqués et qui occupa par la suite les fonctions de vice-président de la Banque Centrale Européenne (BCE), est devenu Premier ministre de la Grèce. Et que Mario Draghi, qui était vice-président pour l'Europe de Goldman Sachs à l'époque du truquage des comptes grecs, préside actuellement la BCE.

De la poule et de l'œuf, qui est le plus responsable ? Une chose est certaine, tout le monde n'y a pas perdu.

Le monde politique se réveille avec l'impression irritante d'avoir été floué après avoir sauvé à grands frais des banquiers irresponsables, ceux-ci se réinventent en censeurs sévères des politiques publiques et précipitent le monde dans la banqueroute totale. Au passage, les marchés financiers continuent à jouer sur le cours des matières premières, y compris agricoles, et permettent à tout un chacun de s'écharper pour des oignons ou de considérer que partir en week-end est désormais un luxe. Inconscients, lâches, profiteurs et voleurs, les banquiers sont des pourris, la cause est entendue.

Mais ce ne sont pas les banques, qui sont coupables ce sont les États. Ce sont eux qui n'ont pas légiféré, eux qui ont accepté que la morale financière se développe dans un espace et un temps virtuels sans rapport au réel, avec des intervenants virtuels (délirants programmes d'achats/vente), eux qui ont encouragé des politiques de crédit sans frein, eux qui ont posé l'économique comme seul moteur et fin du politique. Au bout du compte, faisons confiance aux banquiers, qui, égoïstement, nous retiennent au bord de l'abîme, sans vertu mais par intérêt. Ils suppléent aux politiques défaillants.

Si on remonte aux origines de la crise du crédit, aux USA, ce sont les politiques libérales qui ont forcé les banques à abaisser leurs critères prudentiels d'attribution des crédits, pour faire en sorte que les populations défavorisées puissent accéder à la propriété immobilière, au nom d'idées généreuses - et sur la foi stupide en un progrès économique continu.

Et ce sont les États qui ont décidé de céder au chantage des banques (« sauvez-nous ou nous périrons tous »), alors que plusieurs solutions politiques existaient : la nationalisation des acteurs financiers, la régulation sévère des pratiques limites (que peu de gouvernants ont proposée, dans les pays riches, et qu'encore moins de pays ont adoptée, face aux clameurs des banquiers - relayées par les politiques), l'annulation des dettes, totale ou partielle, etc.

Les responsabilités des Etats modernes

Après tout, nombreux ont été les pays à adopter des mesures aussi radicales par le passé (la spoliation vertueuse est un ressort révolutionnaire éprouvé en temps de crise - version pécuniaire des amnisties auto-administrées). Aujourd'hui, rien. Sinon des règles toujours plus nombreuses, certainement justifiées d'un point de vue théorique (avec Bâle III, ça va devenir compliqué de faire faillite), qui obligent les banques à une gestion très frileuse en même temps qu'on leur reproche de ne pas être généreuses. Les banques ne prêtent plus aux entreprises, certes, non plus aux particuliers est-ce vraiment scandaleux ? et les États ne sont-ils pas les principaux créanciers ?

Pourquoi attendre d'une profession qu'elle se discipline seule ? Quelle est cette abdication du politique ? Depuis quand les États sont-ils si peu nécessaires ? Et pourquoi une catégorie d'agents sociaux, les acteurs financiers, seraient-ils par nature plus vertueux que tous les autres, agriculteurs, boulangers et médecins, dont chaque État s'efforce de régler l'existence professionnelle ?

La finance n'est pas perverse par nature, mais elle n'est pas non plus vertueuse par nature - et comme n'importe quel acteur, elle ne le sera que par nécessité, une nécessité que seuls les États peuvent imposer (c'est même à ça qu'ils servent).

Ce ne sont pas les banques qui ont inventé le Marché et les sacro-saintes règles qui l'animent, ce sont les États, et l'Europe, qui ont décidé d'être libéraux.

Ce sont bien les États qui ont accepté des produits déréalisés, qui ont montré que l'exception n'était pas sanctionnée si elle peut prétendre générer un profit, qui ont montré que le déficit et la fuite en avant sont une politique publique « normale », qui ont montré que des intérêts partisans pouvaient être soutenus contre le bien commun.

Choisir aujourd'hui de conspuer les banquiers, c'est exonérer une fois de plus les États modernes de leurs responsabilités. Ils ont laissé le capital être anonyme, ils ont laissé le capital être sans frontière, ils ont choisi, avec les normes BRRS, de sacrifier l'idée d'une entreprise acteur social au profit d'un modèle purement spéculatif, ils ont choisi d'inventer l’homo economicus. Ils se sont vendus.

On peut annuler la vente sans accuser l'acheteur.

Hubert Champrun monde&vie 14 avril 2012  n°858

1). Voir ici

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