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La mondialisation, stade suprême de l'expansion du capitalisme (texte de 2014) 3/4

L'attitude des marchés financiers vis-à-vis des États a néanmoins évolué. Alors que dans le passé, les libéraux cherchaient à réduire le rôle de l'État au minimum, leurs héritiers ont très bien compris qu'ils sont maintenant en position de mettre les structures étatiques à leur service. Ils ne demandent donc plus la disparition de l'État, mais attendent que lui qu'il crée les conditions les plus favorables au déploiement de la Forme-Capital. En adoptant une politique de la dette pour financer la demande sociale et renflouer les banques, les États, de leur côté, se sont placés entre les mains des marchés financiers et des agences de notation, puisqu'ils ne peuvent plus emprunter auprès de leurs banques centrales. Ils n'ont dès lors d'autre ressource que de se soumettre aux diktats de la finance en cherchant à rendre leurs structures les plus attractives possibles pour le Capital.

De fait, à partir des années 1990, les États ont commencé à céder à des sociétés privées des pans entiers de leurs activités, y compris certaines de leurs activités « régaliennes », à remettre en cause le fonctionnement de leurs systèmes de protection sociale et à revenir sur les acquis sociaux, à déréguler le marché du travail, à faire appliquer par leurs administrations les principes de management adoptés dans les grandes entreprises. L'école, par exemple, a cessé d'être un lieu de formation et de culture pour devenir une structure prestataire de services, antichambre du cabinet d'embauché. Les services publics disparaissent de plus en plus, les privatisations ne cessant de s'étendre, secteurs publics et privés sont désormais tellement liés qu'ils en arrivent à se confondre.

Simultanément, les États se sont dessaisis de leur souveraineté politique au profit d'organisations ou de juridictions internationales, de leur souveraineté financière au profit des banques et des marchés financiers, de leur souveraineté budgétaire au profit de la Commission européenne. L'État social traditionnel s'est ainsi transformé en État-marché, ce qui est allé de pair avec la mise en concurrence des systèmes de droit (law shopping) et la jurisprudence communautaire qui aggrave l'exclusion sociale et la précarité. « Comme il ne peut pas, à la différence de l'économie d'entreprise, se disperser de façon transnationale, [l'État] perd ses fonctions de régulation les unes après les autres pour se transformer en simple exécutant de la gestion répressive de la crise »(9)

Devenus « de simples assistants de l'économie globale »(10) les États se sont faits complices de leur propre dessaisissement, c'est-à-dire du transfert de leurs pouvoirs vers le marché. Comme l'écrit Zaki Laïdi, « l'État ne peut plus dire la norme parce qu'il est devenu lui-même un opérateur de marché »(11). Ce faisant, en participant du déploiement du marché, en mettant ses infrastructures au service de la circulation infinie des personnes, des biens et des capitaux, il ne se définit plus que contre le peuple, puisqu'il ne sert plus ses intérêts. Les conséquences, redoutables, de cette rupture sont bien connues. L'État, finalement, ne reste fort qu'en matière de surveillance, de contrôle et de répression. Pour favoriser la mondialisation, ce pouvoir doit même être maximisé, tandis que son pouvoir de décision politique doit être minimisé. Le seul domaine où l'autorité de l'État est acceptée, et même encouragée, est le maintien de l'ordre intérieur, c'est-à-dire la mise au pas de la société afin de contenir les nouvelles « classes dangereuses » (à quoi s'ajoute encore la « lutte contre le terrorisme »).

La victoire des « forces de marché »

Pour les libéraux, tenants d'une mondialisation « heureuse », celle-ci représente la victoire des « forces de marché » enfin libérées des contraintes étatiques - c'est-à-dire la victoire de l'économie sur le politique. La libre circulation des capitaux permettant à tous les pays de faire jouer leurs avantages comparatifs, le grand gagnant de l'ouverture des frontières serait le consommateur, enfin libre d'acquérir les produits de son choix au prix le plus avantageux. Toute demande de protection devrait donc être considérée comme relevant d'un « archaïsme » que les esprits « de progrès » se doivent de combattre. Cette affirmation selon laquelle la mondialisation entraîne le monde entier dans une spirale ascendante est une nouvelle forme de messianisme. Mais elle est surtout contredite par les faits.

Tout comme l'euro, la mondialisation était censée favoriser la convergence des économies, l'enrichissement de tous les pays et la réduction des inégalités. Il n'en a rien été. La mondialisation ne profite en réalité qu'à certains pays et aggrave les inégalités tant entre les différents pays du monde qu'à l'intérieur de chacun d'eux. Toutes les données dont on dispose montrent en effet que la concentration de la richesse entre les mains d'une petite élite est d'autant plus grande que les marchés deviennent plus flexibles et plus ouverts.

La différence de revenu entre les plus riches et les plus pauvres de la planète était de 30 à 1 en 1960, elle est aujourd'hui de 74 à 1. La « surclasse globale » (David Rothkopf), qui représente à peine 10 % de la population mondiale, contrôle 85 % des richesses mondiales. Cette concentration de la richesse aux mains d'une élite transnationale favorise évidemment la violence sociale et politique. Un cinquième de l'humanité continue à produire et à consommer les quatre cinquièmes des richesses mondiales, et la moitié de la population mondiale vit avec moins de deux euros par jour, phénomène qui ne s'explique qu'en partie par la croissance démographique. C'est d'autant moins étonnant que les opérations effectuées dans un but de profit sont nécessairement sélectives dans un monde de sociétés à performances inégales, on choisit les zones de plus grande rentabilité. En 1960, le PIB par habitant des 20 pays les plus riches était 17 fois supérieur à celui des pays les plus pauvres; dès 1996, il était 37 fois supérieur. L'inégalité entre les pays s'accroît régulièrement depuis 1984. Même dans les pays qui se sont le plus enrichis, la majorité de la population s'est appauvrie le nombre de pauvres dans le monde n'a cessé de s'accroître, tandis que le revenu mondial augmentait au rythme de 2,5 % par an. En Belgique, le coefficient de Gini (qui mesure sur une échelle de 0 à 1 l'écart entre les plus riches et les plus pauvres) est passé de 0,24 en 1990 à 0,31 en 2010. On constate ainsi, paradoxalement, que plus l'intégration économique s'approfondit, plus la divergence économique s'accroît(12).

À suivre

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