Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La postmodernité, nouveau cadre du Système ? 1/4

Forgé par le philosophe français Jean-François Lyotard, le mot de « postmodernité » entendait résumer le désenchantement suscité par notre époque en même temps que l'hédonisme nihiliste. Auteur de La modernité à l'épreuve de l'image. L'obsession visuelle de l'Occident (L'Harmattan), l'écrivain franco-croate Jure Vujic voit dans la postmodernité une nouvelle arme idéologique au service de la théocratie libérale.

L'histoire des civilisations et l'anthropologie culturelle ont plus d'une fois démontré que chaque civilisation s'enracine dans une certaine vision du monde, une Weltanschaung singulière, qui repose sur un système de croyance, idéologique ou religieux. La culture d'une nation, son système d'éducation, son système juridique et politique spécifique sont indéniablement imprégnés par son héritage culturel et historique. Afin de mieux comprendre une société, on se réfère à la vision du monde qui la fonde, qui lui donne un sens. Au Moyen Âge, la religion chrétienne était le système de pensée dominant, alors que le siècle des Lumières et l'avènement de la modernité rationaliste et scientiste ont ouvert la voie aux grands systèmes de pensées idéologiques totalitaires et matérialistes du XXe siècle, qui s'appuyaient sur les fameux récits de la modernité, en tant que grands modèles de compréhension et d'interprétation de l'histoire.

Les rêves d'unification de l'humanité

À la fin du XXe siècle, la grande mode de la postmodernité a remis en cause le système de pensée moderne, fondé sur le progrès linéaire et illimité. La vision du monde postmoderne se proposait de déconstruire le mythe moderne du progrès, tout en liquidant la nécessité et le credo parfois irrationnel des grands projets politiques collectifs. Étant elle-même héritière des Lumières, la postmodernité relève encore de la crise d'identité de la modernité. Tout en étant une réaction au système moderne, elle est aussi la continuation de la réaction moderne à l'héritage judéo-chrétien. Sur le plan intellectuel et philosophique, la postmodernité est à l'origine de la déconstruction incessante, de la déresponsabilisation et du relativisme absolu. On parle volontiers de polythéisme des valeurs pour rendre compte de la prolifération des syncrétismes idéels et du bricolage idéologique. Le genre littéraire et philosophique « pos-tiste » a fait de nombreux émules, où l'on a vu se transposer la thèse de la fin des grands récits dans les relations de travail (Jeremy Rifkin), du post-marxisme, avec l'Adieu au prolétariat d'André Gorz et jusqu'à l'idée même de l'histoire (Francis Fukuyama). Dans le sillage des thèses post-nationales, plusieurs penseurs ont prophétisé la fin de l'histoire unitaire estimant que la dynamique propre au marché libéral et l'interdépendance des économies mondiales effaceraient les différences culturelles et nationales, rendant inutile la persistance des États. Il s'agissait là d'une postmodernité qui s'inscrivait dans le droit fil de la pensée iréniste des utopies planétaires, en rêvant d'une unification de l'humanité. En tant que véritable icône de la pensée postmoderne, le philosophe italien Gianni Vattimo s'est opposé à la constitution de toute forme de Weltanschauung, de grand système de pensée intégrateur et structurant.

Par « pensée faible », le philosophe italien sous-entendait une pensée post-métaphysicienne qui s'oppose aux catégories « fortes » et aux légitimations totalisantes, qui a renoncé à une fondation unique, ordonnatrice et normative. Le passage de la modernité à la postmodernité se révélerait à travers le passage d'une pensée « forte » à une pensée « faible ». Vattimo est persuadé que les grands récits légitimant de la modernité font partie d'une forma mentis « métaphysique » et « fondationnaliste » à ce jour dépassée. La « pensée faible » de Vattimo est une forme de deuil de la modernité, une acceptation sereine du déclin de la métaphysique occidentale, accomplie avec l'œuvre de Friedrich Nietzsche, en même temps qu'une prise de position consciente pour une déresponsabilisation de la philosophie postmoderne.

Si le déclin de l'Occident sanctionne la perte d'unité de la narration culturelle et civilisatrice, on peut légitimement se poser la question de cette volonté individualiste de renonciation au fondement : est-elle suffisante à exorciser les manifestations résiduelles de l'idéologie, et l'irruption parfois violente de l’hybris historique ? La postmodernité est-elle exempte de toute structure idéologique ?

À suivre

Les commentaires sont fermés.