Saint Augustin est à la mode. Tant mieux ! Encore faut-il le lire. Il n'y a pas d'introduction plus simple et plus profitable à l'œuvre du grand Docteur africain que ces Sermons, prêches pour le peuple, avec une simplicité, un feu et un goût de la vérité qui est toujours perceptible près de quinze siècles plus tard.
« Où trouver dans l'histoire de l'Occident, un homme qui, pour l'influence, puisse être comparé à Augustin ? » demandait l'historien protestant hyper-critique Adolf von Hamack. L’évêque d'Hippone (Bône en Afrique du nord devenue Annaba) est certainement le plus important - et en même temps le plus personnel - des Pères de l’Église. Mais jusqu'à une date récente, on ne possédait de lui, on ne pouvait lire couramment que les Confessions. C'était le seul ouvrage que l'on pouvait se procurer en français. Encore fallait-il ajouter qu'il était nécessaire de bien choisir sa traduction, l'édition en livre de poche laissant à désirer. Finalement, disons-le, ceux, j'en ai fait partie, qui se hasardaient dans ce dédale, c'était le plus souvent pour s'y perdre.
Dans ce contexte l'initiative de la collection Bouquins, visant à publier tous les Sermons de saint Augustin, au moins tous ceux qui n'ont pas été recueillis dans des ouvrages plus vastes et qui restent à l'état brut de la prédication, est une initiative particulièrement opportune et dont tout chrétien francophone devrait pouvoir profiter. Voilà 1500 pages de doctrine chrétienne, pour un prix qui reste modique (33 euros) vu la taille du volume. Cette initiative, apparemment due au philosophe Maxence Caron, grand augustinien devant l’Éternel et responsable de cette édition, doit être saluée. On est désormais impardonnable de n'avoir pas Augustin dans sa bibliothèque. L'historien Pierre Batiffol parlait voici déjà un siècle du « catholicisme » de saint Augustin. Ces Sermons nous permettent en effet d'entendre un évêque catholique particulièrement doué et spécialement courageux enseigner ses paroissiens, autour de l'an 400. Si les choses ont changé aujourd'hui, c'est assurément en pire ! Dans ses Sermons, Augustin rejoint les préoccupations de ses ouailles. Il est simple. Direct. Il va à l'essentiel. Et il aborde tous les sujets, aussi bien en théologie qu en morale. Voilà pour la « pastorale » qu'a bizarrement cru découvrir le concile Vatican II.
La pastorale du Ve siècle
En bon pasteur, Augustin, dans ces Sermons, est d'abord le défenseur de l’Église. Ainsi lorsqu'il commente la parabole du bon grain et de l'ivraie : « Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson », il insiste sur le fait que l’Église comporte toutes sortes de personnes et que Dieu seul est juge : « Ô chrétiens qui vivez saintement, vous êtes en petit nombre et vous gémissez au sein de la multitude. L'hiver passera, tiendra l'été et voici bientôt la moisson. Nous voudrions qu'il ne reste aucun méchant parmi les bons. Mais Jésus nous a dit "Laissez-les croître ensemble jusqu’à la moisson." Pourquoi ? Parce que vous pourriez vous tromper. Croyez-vous mes frères que l'ivraie ne s'élève pas jusqu’à la chaire du Prédicateur ? Plaise à Dieu que nous n’en soyons pas nous-mêmes ! » Magnifique humilité ! Augustin n'est pas de ceux qui revendiquent comme une dignité inamissible et un brevet de vertu de se trouver membre de l’Église !
Mais en même temps, prêchant sur le péché contre le Saint-Esprit, celui qui ne sera pas remis, dans un sermon qui est l'un des plus longs du recueil, il insiste sur le lien entre l'Esprit saint et l’Église et sur le fait que le péché contre l'Esprit est le péché contre l’Église. À l'attention des schismatiques donatistes, qui cultivaient un purisme fanatique, il tonne : « On pèche contre le Saint Esprit lorsque l'on refuse de quitter une secte pour entrer dans la Société qui a reçu l'Esprit saint afin d'effacer les péchés. Mais fût-on reçu dans cette société par un réprouvé et un hypocrite, pourvu qu'il soit ministre catholique et que soi-même on agisse avec sincérité, on y reçoit par la vertu du Saint Esprit le pardon des péchés. Car aujourd'hui, la sainte Église est foulée comme le serait l'aire où la paille se mêle au bon grain. Et pourtant le seul moyen d'empêcher le blasphème de devenir impardonnable est d'éviter l'impénitence du cœur et de ne croire à l'efficacité du repentir qu’au sein de l’Église où s'accorde le pardon des péchés et où l'on maintient l'union de l'Esprit par le lien de la paix. »
Le prédicateur ? Il est chargé du salut
Avec un luxe de détails admirable, avec une connaissance parfaite des Écritures, avec une clarté de pédagogue, Augustin montre que le péché contre l'Esprit est le péché qui consiste à refuser sciemment cette Église, Temple de l'Esprit et lieu où chacun peut recueillir en sécurité le pardon de ses péchés. De quoi nous aider à la considérer davantage cette pauvre Église, à la considérer comme le vecteur de notre salut, car c'est en elle et en elle seule que l'on trouve le pardon de ses péchés.
Augustin, dans ces Sermons est vraiment le docteur catholique. Malgré les hérésies manichéennes ou gnostiques, malgré le schisme des donatistes (ces intégristes antiques), malgré les erreurs dans lesquelles tombent les ecclésiastiques comme ce Pelage, moine breton qui ne croyait pas à la grâce de Dieu et qui vint prêcher jusqu'à Carthage, l'Église possède les paroles du salut. Le prédicateur est celui qui se charge, en tremblant, de transmettre ces paroles au peuple.
Saint Augustin, Sermons sur l’Écriture, éd. établie et présentée par Maxence Caron, éd Robert Laffont, collection Bouquins, 2014,1 568 pp.
Abbé G. de Tanoüarn monde&vie 30 avril 2014 n°891