Voilà un livre étonnant, entièrement consacré à a vie du Christ, un nouveau Jésus, sous-titré Une biographie historique. L'auteur, Armand Puig i Tarrech, est un bibliste catalan Son but : montrer que le Jésus de l’histoire est le même que le Christ de la foi.
Ce monument de 842 pages est tout entier une étude des détails qui font la vie du Christ, d'où son sous-titre audacieux de « biographie ». Plutôt que de se laisser immobiliser d'emblée par la question théologique de l'identité du Christ, Armand Puig i Tarrech commence comme un historien, en se demandant quelles sont les sources à partir desquelles on peut écrire une histoire de Jésus.
Il insiste beaucoup sur les sources apocryphes ou sur les sources non-chrétiennes et souligne, à propos des quatre évangiles qui alimentent notre foi : « Ce ne sont pas des inventions littéraires ni des romans historiques, ni une histoire dans le sens scientifique et moderne du terme. Ce sont des biographies, centrées sur l'identité globale du personnage principal : Jésus. Elles se basent sur les sources disponibles et elles font parler le protagoniste en rapportant ce qu'il a dit et ce qu'il a fait, en écartant les digressions ou les commentaires personnels ou la description de type psychologique ». L'interrogation de tous ces textes est menée de manière scrupuleuse, et en même temps on sent toujours la tension de la question primitive mais qui était-il ? Comment faut-il comprendre ce Jésus ? Il paraît que le peintre Rembrandt arpentait le quartier juif d'Amsterdam, à la recherche d'un visage juif, qui pourrait être le visage de Jésus. On ressent la même tension, la même interrogation, la même attente dans cet ouvrage passionnant mais qui est-il ?
Il y a plusieurs manières de tenter de répondre à cette question dans les Vies de Jésus : de Strauss et de Renan, héritées du XIXe siècle, on refuse systématiquement tout ce qui relève du miracle. « Il n'y a pas de miracle pour la même raison qu'il n'y a pas d'hippocentaure. Cette raison est qu’on n’en a jamais vu » expliquait Renan avec assurance en 1864. Il aurait pu, comme d'autres, prendre le train (puisque train il y avait) pour se rendre à Lourdes et là il aurait recueilli des témoignages, qui lui aurait certainement permis d'être moins péremptoire.
Puis, note Armand Puig i Tarrech, il y a une deuxième période, entre Albert Schweitzer et Rudolf Bultmann, dans laquelle on donne une large place au mythe pour expliquer le personnage de Jésus. Signe que cette vie est intrinsèquement surnaturelle, que l'on ne peut pas, comme l'avait fait Renan, séparer l'humain et le divin dans la personne de Jésus, sous peine de ne plus rien comprendre. Enfin, affirme Armand Puig i Tarrech, depuis les années cinquante du siècle dernier, on assiste à une lente réévaluation du caractère historique de la vie du Christ. C'est dans cette perspective que s'est inscrite la vie du Christ de Jean-Christian Petitfils, dans cette perspective que l'on peut situer un hébraïsant comme Claude Tresmontant, revenant aux racines et aux concepts hébraïques ou un bibliste comme John A.T Robinson, tentant de « redater le Nouveau Testament » et parvenant à des dates beaucoup plus hautes que celles qui étaient proposées. Puig ne cite pas forcément ces personnes, il cite d ailleurs peu de travaux savants, tout attaché qu'il est à pénétrer in médias res, dans son sujet, sans a priori. On sent pourtant qu'il s'appuie sur cette révolution copernicienne des études bibliques, dont on n'a pas, fini de recueillir les fruits.
Il faudrait un dossier pour tenter un inventaire des richesses de ce livre. On peut mentionner son élucidation fine de la question des frères de Jésus, la belle évocation de sa naissance à Bethléem, dans un état d'irrégularité matrimoniale d'où l’étable), le récit très précis de la Passion du Christ, qui illustre d'ailleurs la couverture de l'édition française. C'est avec beaucoup d'attention que Puig i Tarrech pèse les raisons des uns et des autres et montre pourquoi Jésus a été condamné à mort et comment les Romains ont suivi les arguments des chefs des prêtres, c'est-à-dire des saducéens (plus que des pharisiens). Il donne quatre motifs réels Jésus semble être un opposant aux grandes institutions juives, le Temple et la Loi. Sa prétention messianique est un danger politique, c'est un imposteur qui égare le peuple par sa magie et enfin c'est un blasphémateur, puisqu'il se fait l’égal de Dieu. J'ajoute que le dernier chapitre sur la résurrection d'un point de vue historique est un vrai chef-d'œuvre.
On sort de ce livre un peu étourdi par tant de réel on n’est pas le même que quand on y est entré. Celui qui fait un voyage en Terre sainte s'approprie l'atmosphère que la nature fait régner sur les lieux où Jésus a prêché. Sa lecture de l'Évangile est en quelque sorte « plus réelle ». Mais je crois que c'est un peu la même chose quand on émerge du livre de Puig i Tarrech : on a touché du doigt tant de réalités autour du Christ qu'on a l'impression de mieux le connaître à l'intime du cœur.
Armand Puig i Tarrech, Jésus Une biographie historique éd. DDB 842 p., 22 €.
Abbé G. de Tanoüarn monde&vie 9 juin 2016 n°925