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Les frères Grimm Deux frères à la rencontre du “Volkgeist”

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Des célèbres frères Grimm, on ne connait  en France, qu'un seul ouvrage : leur recueil de contes, dont l’interprétation souvent réductrice ignore la réelle portée. Les frères Grimm, Jacob et Wilhelm, s'inscrivent dans la tradition romantique allemande d'un Klopstock, qui présentait à la fin du XVIIIe siècle, un héros médiéval germanique du nom d'Arménius. Ce romantisme, que l'on retrouvera aussi chez Barrès, prône les vertus héroïques et le génie national de chaque peuple, héritage mystique et terrestre, légué aux nouvelles générations par les Anciens. Par ailleurs, les deux frères se trouveront confrontés à l'invasion napoléonienne et au démantèlement de leur Empire, événement qui, à l'image de tout le peuple Germanique, les éprouvera fortement. Contemporains de Johann Fichte, maître à penser de la nouvelle nation allemande, ils vont, comme lui, tenter de faire perdurer leur identité.

Ce renouveau  nationaliste, avant tout culturel, linguistique et intellectuel se trouve, de par cette nature même, bien plus fortement ancré dans le Peuple, que de simples frontières physiques. Leur épreuve consiste donc à conserver et à perpétuer une identité menacée, par l'invasion et l'occupation de leur sol. Pour cela, les théoriciens nationalistes emploieront une méthode définie ultérieurement par un des plus acharnés adversaires de l'Allemagne et classiciste de grande envergure : Charles Maurras. Cet homme aux antipodes du romantisme allemand, les rejoindra malgré tout sur le fait que seule l'alliance de l'érudition et de la poésie permet de prendre conscience de ce que l'on est. Fichte, dans ses Discours à la Nation Allemande, théorisera sur le Moi national, âme de l'ancienne Germanie, dont on retrouvera l'idée chez Barrès. De leur coté, les Grimm, eux, s'attacheront à rendre un vibrant hommage au génie créateur de ce peuple allemand. Ainsi si Fichte a découvert l'âme de la Grande Allemagne, héroïque et unifiée, les Grimm, eux, vont la révéler au cœur de chaque Germain, avec toute sa singularité, dans toute sa puissance, toute sa beauté.

C'est la recherche et la découverte de cette Identité qui motiveront leur soucis de préserver puis de diffuser la  poésie primitive du peuple Allemand. Cette salutaire quête identitaire sera pour eux source d'une immense reconnaissance populaire. On notera par ailleurs, que la conception identitaire du peuple allemand ne se trouve rien de commun avec celle des théoriciens des Lumières ou des premiers nationalistes français de la Révolution qui leur succèdent ! Ce n'est en rien un conglomérat d'individus attachés à une doctrine abstraite et universaliste, et dont les tenants accordent  à leur nationalité française, une dimension toute secondaire et qui serait, à la limite, acquise par hasard ! Non, c'est une communauté organique, liée par une langue, des intérêts  communs, une culture commune, et qui  surtout, partage un même Destin, le tout  inspiré de ce qu'ils nomment l'authentique christianisme : le luthérianisme.

D'une mythique Germanie aux sources de la Nouvelle Allemagne

C'est de leurs origines protestantes et de leur éducation, que ces deux Hessois, tirent leur démarche rigoureuse, voire scientifique. Fils de pasteur, Jacob et Wilhelm Grimm sont les aînés d'une famille qui comptera six frères et sœurs. Tous deux voient le jour à Hanau. Le premier,  par une froide journée d'hiver, le 4 janvier 1785, de même que le second, un an plus tard, le 24 février 1786. La famille quitte Hanau pour Steinau où le pasteur Grimm devient bailli. Les aînés ont à peine dix ans, lorsque leur père décède, laissant  les six enfants aux uniques soins de sa veuve. Les années passent ; leur mère assume sa lourde tâche avec courage et efficacité. « Vous serez juristes, mes fils ! » : et Jacob, suivi de son cadet, partent  faire leur droit à Kassel. Parallèlement aux études, ils se découvrent une vive passion pour le passé et les origines de leur peuple, à une des périodes les plus sombres de leur Histoire : Napoléon, en effet, porte une véritable révolution des mentalités et des institutions au sein des pays conquis, tandis qu'à la tête de ses armées, il écrase l'Europe coalisée, engagée contre lui dans une guerre à mort. En 1805, le Saint Empire Romain Germanique a vécu…

Les deux frères, durement éprouvés par la défaite, s'attachent alors à réunir une somme du passé et de la culture germanique. Ce sera, à Noël 1812, la parution du premier tome des Contes d'enfants et du foyer. Quant au second volume, il sortira dans la liesse d'une terre libérée, début 1815. L'aventure de l'Aigle — ou de l'Ogre, selon qu'on se trouve plutôt d'un côté ou de l'autre du Rhin, n'est certes pas totalement terminée, mais bon… la  population allemande n'en souffrira plus. On sait cependant que le décevant congrès de Vienne suivra sous peu, et qu'il aura sa part dans le renforcement du nationalisme allemand, romantique et pangermaniste. Méthodiquement, les Grimm s’attèlent à leur œuvre d'évocation du génie allemand. Rats de bibliothèques, ils découvrent, compulsent, dissèquent des ouvrages et y puisent l'Esprit de leur Peuple : le Volkgeist. Ils cherchent aussi à capter l'héritage du Moi national en allant à la rencontre de ceux qui ont mis "leurs pas dans les pas des ancêtres", et recueillent, comme d'une vivifiante source spirituelle, leur culture orale de la bouche même du peuple allemand. Dans cette tâche, le Volkgeist, se symbolise par leur complémentarité dans le travail : le côté scientifique de l'aîné, Jacob, équilibre et s'harmonise avec celui, plus lyrique du cadet, Wilhelm.

En 1816 et 1818, fruits de cette recherche, sortent les deux volumes des Légendes Allemandes. Emportés par leur quête régénératrice, les Grimm n'oublient pas de s'attacher à l'étude de la langue allemande, forme par laquelle s'exprime leur culture. Ils publient une Grammaire allemande, puis un Dictionnaire de la langue allemande.

En 1841, devenus membres de l'Académie Royale des Sciences de Berlin, ils s'installent dans la capitale prussienne. Participant au fort mouvement romantique du XIXe siècle, on les retrouve très favorables à ce bref "printemps des  peuples", qu'est la révolution de 1848. Poussés toujours plus en avant par la force de leur engagement, les Grimm multiplient activités et publications.

Le cadet est emporté par la mort le 16 décembre 1859 à Berlin, ouvrant la voie du Walhalla à son aîné, Jacob, qui l'y rejoindra le 20 septembre 1863. Ils laissent derrière eux une œuvre, qui malgré leur rigueur sélective, reste considérable : 201 récits ramenés à la mémoire collective, une fois écartés « ceux qui ne leur semblaient pas très germanique »…

Le but de toute une vie : recréer l'Ancienne Germanie

On comprend cette sélectivité dans le choix des publications lorsqu'on sait que la démarche première, à l'instar d'un Herder avant eux ou encore d'un von Kleist ou d'un Novalis après eux, n'a pas un aspect littéraire mais proprement politique et même spirituel ! Il s'agit de renouer avec les racines du Saint Empire Romain-Germanique, d'y puiser la Force dans les traditions mythiques et héroïques, de recréer ce lien mystique entre la Terre et les Morts, le Passé et le Présent. On sent chez eux la volonté puissante de recréer l'identité nationale à travers leur sentiment de partager et de faire partager le destin commun de leur civilisation. Car pour ces deux frères c'est bien la communauté de destin qui tient les clés du renouveau. C'est le peuple qui en lui, détient le Lebensgefühl (sentiment de vie authentique) mais aussi qui est le conservateur de l'Überlieferung : la Tradition, source de Renaissance. Ils cherchent la Puissance dans ce qui dure, dans ce que Maurras ou Barrés appelleront la Civilisation, c'est-à-dire l'ensemble d'une société qui avance dans le même sens, dominant ses courants contradictoires et les canalisant vers le succès au bénéfice de l'intérêt général, dans le respect et l'enrichissement de l'héritage légué.

Ces contes qui enchantent et font rêver petits et grands nous livrent en filigrane une quête à poursuivre pour retrouver le bonheur authentique. Son modèle en est le Héros, noble, désintéressé incarnant un idéal guerrier propre à la mentalité allemande ; son alter ego féminin en est l'héroïne, incarné par la belle Walkyrie. Ceux-ci en scène, dès lors tout un monde s'anime et reprend vie : « le roi et la sorcière, le nain et le géant, le loup et le dragon, le serpent et le cygne et tant d'autres encore,  qui rejoignent ces chevaux d'une Chasse Sauvage poursuivant sa cavalcade dans les nuages de notre imaginaire enchanté » (Jean Mabire).

► Jean-Jacques Matringhem. [réf. manquante]

http://www.archiveseroe.eu/tradition-c18393793/28

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