La France n’a pas été le laboratoire du fascisme.
A-t-il existé un fascisme français ? A cette question, l’historien israélien Zeev Sternhell répond par l’affirmative. En 1978, il faisait paraître La Droite révolutionnaire (1885-1914). Les Origines françaises du fascisme, puis, en 1983, Ni droite ni gauche. L’Idéologie fasciste en France, essais dans lesquels il érigeait Maurice Barrès en père d’une tradition qui, mêlant nationalisme, antisémitisme et socialisme avant la Grande Guerre, aurait conduit au fascisme, dans les années 1930, à travers les ligues d’extrême droite, et aurait ensuite donné naissance, en 1940, à Vichy.
De livre en livre et d’article en colloque, Sternhell reprend cette thèse qu’on retrouve aujourd’hui dans le livre d’entretiens qu’il publie avec le journaliste Nicolas Weill : la France des « anti-Lumières » a été le laboratoire intellectuel et la matrice politique du fascisme tel qu’il a pu s’incarner dans d’autres pays (1).
Préfiguré par L’Idéologie française, un livre de Bernard-Henry Lévy (1981), le propos de Sternhell est contredit par maints spécialistes du fascisme, dont beaucoup de gauche, pour ses erreurs de perspective. En 1983, témoignant en faveur du libéral Bertrand de Jouvenel qui intentait un procès au chercheur israélien pour l’avoir rangé parmi les fascistes de l’entre-deux-guerres, Raymond Aron dénonçait la méthode de Sternhell : « L’auteur ne remet jamais les choses dans le contexte. Il donne du fascisme une définition tellement vague que l’on peut y rattacher n’importe quoi. »
Des historiens hostiles à ces confusions exposent la controverse qui les oppose à Sternhell (2). Si l’on s’en tient à une juste typologie, expliquent-ils, en évitant amalgames et jugements a priori, force est de constater que ni les Croix-de-Feu, par exemple, ni même le régime de Vichy ne furent fascistes. Il y eut sans doute des groupuscules ou des intellectuels fascistes en France, mais leur influence ne saurait être grossie. Un livre anti-Sternhell, mais sans polémique : efficace.
Jean Sévillia
1) Histoire et Lumières. Changer le monde par la raison, de Zeev Sternhell, entretiens avec Nicolas Weill, Albin Michel, 368 p., 24 €.
2) Fascisme français ? La controverse, sous la direction de Serge Berstein et Michel Winock, CNRS Editions, 254 p., 20 €.
https://www.jeansevillia.com/2015/04/11/un-fascisme-imaginaire/