Comme souvent avec les idées fausses, celle-ci cheminait depuis quelque temps. C'est le 10 octobre 2020 en effet que l'inévitable Piketty avait posé dans Le Monde la question qui fâche : que faire avec la dette Covid ? Et c'est le 5 février 2021, qu'en compagnie d'une centaine de confrères présentés pour des économistes, il lançait un appel à résoudre le problème de la manière que la tradition et les lecteurs de Walter Scott rapportent à Robin des Bois. Il proposait en effet "d'annuler les dettes publiques détenues par la Banque centrale européenne".
Le 7 février, Christine Lagarde, intervenant sur deux grands médias parisiens, BFMTV et le Journal du dimanche, mettait un coup d'arrêt à cette campagne démagogique. Cette annulation ne se produira pas. Soulignons que la présidente de la BCE, organisme prêteur, développa plusieurs arguments et qu'elle concluait : "il ne fait aucun doute qu’ils parviendront à la rembourser. Les dettes se gèrent dans le temps long." [1] Et elle évoqua, notamment, un obstacle juridique, l'article 123 du Traité consolidé de l'Union européenne[2]. L'hypothèse échafaudée par les pétitionnaires doit être considérée comme illégale.
Dès le 8 février le journal souverainiste Marianne donnait sur ce point la parole à l'un des initiateurs de la tribune collective[3]en faveur de l’annulation des dettes publiques et cosignée depuis par un contingent porté, par un prompt renfort, tels les compagnons du Cid, à 150. Auteur de cette réponse Nicolas Dufrêne, directeur de l‘Institut Rousseau, vaut le détour. Sur le site dudit institut, il est présenté comme un "haut fonctionnaire, spécialiste des questions institutionnelles, monétaires et des outils de financement publics. Avec Alain Grandjean, il est l’auteur de Une monnaie écologique paru aux éditions Odile Jacob en 2020."Dès juillet 2020, quoiqu'apparemment bien nourri, il déclarait : "On subit une forme d’esclavage par la dette."[4]
Esclavage… Le mot ne lui paraît pas trop fort. Tel le dominicain Las Cases au XVIe siècle ou le ministre du Tsar Capo d'Istria [5] au XIXe siècle, notre haut fonctionnaire incline donc, en notre XXIe siècle, pour l'abolition de cette pratique d'un autre âge.
Malheureusement les arguments de Piketty, Dufrêne et consorts ne tiennent pas. La prohibition du financement monétaire des États par la banque centrale ne doit pas être vue comm une simple clause juridique, anecdotique, quasiment fortuite, des traités européens : elle constitue l'une des conditions fondatrices de l'euro. Elle a permis d'absorber les monnaies solides qu'étaient au départ le mark allemand et le florin néerlandais et d'aboutir à une inflation inférieure à 2 %. Certes, cela suppose une discipline monétaire qui ne semble pas convenir aux politiciens démagogues et aux économistes néokeynésiens, comme on les aime encore dans certains pays.
La dure vérité, c'est qu'on ne se sort vraiment de l'endettement qu'en payant ses dettes.
Tous les pays qui ont imaginé s'en sortir par la faillite pure et simple l'ont payé au prix fort. L'histoire de l'Argentine, pays autrefois prospère, en offre le plus cruel exemple. Si dure que puisse paraître l'obligation du remboursement par des excédents budgétaires primaires, elle impose des réformes le plus souvent salutaires. Le courage politique consiste à en accepter le principe et à les gérer en fonction des priorités nationales. On cessera par exemple de payer des retraites à crédit, de subventionner tout ce qui ne fonctionne pas, de recruter des administratifs en surnombre, mais on ne coupera pas dans les investissements de défense nationale ou dans les moyens de la sécurité intérieure ou de la justice.
Nous allons bientôt rentrer dans le vif de ce débat à l'occasion des élections présidentielles et législatives de 2022.
Certes, rien de tout cela ne cadre avec les habitudes laxistes : ce sont précisément celles-ci qui conduisent aux déficits des États et au déclin des nations.
JG Malliarakis
Apostilles
[1] cf. JDD du 8.2
[2] Celui-ci dispose : §1. "Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées «banques centrales nationales», d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l'Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres; l'acquisition directe, auprès d'eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite." Cf. version consolidée 2008
[3] On peut trouver leur texte sur le site du CADTM Comité pour l'annulation des dettes illégitimes
[4] cf. entretien.
[5] en ce bicentenaire de l'insurrection nationale de 1821, rappelons que Jean Capo d'Istria fut aussi le gouverneur du premier Etat grec indépendant.
https://www.insolent.fr/2021/02/la-dette-et-comment-sen-sortir.html