Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Antibiotiques Les cliniciens aboient, l’industrie prospère (2016)

Antibiotiques Les cliniciens aboient, l'industrie prospère.jpeg

Les générations successives de familles d’antibiotiques ont toutes engendré des formes nouvelles d’antibiorésistance. On assiste même aujourd'hui à l’émergence de bactéries dites « hautement résistantes ». Lesquelles sont de redoutables tueuses. Pas moins de 10 millions de morts annuelles à l’horizon 2050. Passée un certain seuil critique, la médecine nuit à la santé, disait Ivan Illich. Il appelait cela la contre-productivité. La preuve par les antibiotiques ?

Les voies du salut sanitaire ne sont pas pénétrable. Elles sont seulement mortelles. C’est la leçon des antibiothérapies. Les morticoles s’agitent. Un cas chinois publié en décembre 2015, et un cas américain publié en mai 2016, ont montré que les résistances bactériennes aux antibiotiques ont évolué. Jusqu’alors, la plupart des résistances relevaient d’une mutation chromosomique dans une bactérie, laquelle bactérie transmettait à ses descendantes son caractère muté, ce qui permettait le développement d’une nouvelle souche antibiorésistante.

Le 26 mal dernier, la revue Antimicrobial Agents and Chemotherapy publiait le cas, observé en Pennsylvanie, d’une patiente de 49 ans présentant une souche d’Escherichia Coli devenue indifférente à la colistine, qualifiée d’antibiotique de dernier recours. Une particularité commune avec le cas chinois : la résistance est assuré par un plasmide (molécule d’ADN circulaire) transmissible aux bactéries voisines. En d’autres termes, la transmission de biorésistance n'est plus seulement verticale, en direction des bactéries-filles d’une même souche, mais horizontale, vers des espèces bactériennes voisines.

Affolement dans la presse nord-américaine et chez les incultes de l’audiovisuel. Il s’agirait là d’un processus de transmission tout nouveau. La modélisation du mécanisme est pourtant connue depuis les années 1950, et cette antibiorésistance à plasmide a été réanalysée depuis lors avec une précision grandissante. Dans les années 1990 et 2000, nombre d’études ont montré, outre des transferts d’antibiorésistance d’une espèce bactérienne à une autre, des transferts d’antibiorésistance depuis des espèces pathogéniques pour l’animal  des espèces pathogéniques pour homme, et réciproquement.

Des chiffres catastrophistes

Quoi de neuf sous le soleil ? Rien, pas même la nouvelle vague d’inquiétude exprimée par les autorités sanitaires. Attitude récurrente. En France, la campagne radiophonique « Les antibiotiques, c’est pas automatique » a déjà vingt ans. Mais aujourd’hui, des chiffres catastrophistes sont avancés. Au Royaume-Uni, l’ex-Premier ministre David Cameron avait demandé un rapport sur le sujet à Lord Jim O’Neill, lequel l’a publié en mai dernier. Il prévoit quelque 10 millions de morts annuelles par infections nosocomiales à horizon 2050. La France et l’Espagne, les plus gros consommateurs européens d’antibiotiques, seront évidemment les plus concernées.

Depuis vingt-cinq ans, les rapports, livres, articles, dénonciations et autres recommandations ont été multiplié par des facteurs 100. Ils émanent de la plupart des ministères sanitaires de la planète, des ordres médicaux, des associations de chirurgiens, des services d’épidémiologie, etc. En vain. Les cliniciens aboient, l’industrie prospère. Encore n’est-ce pas le phénomène le plus important. Le plus décisif est celui-ci : les autorités sanitaires s’orientent vers une obligation faite aux laboratoires pharmaceutiques de chercher de nouveaux antibiotiques pour éradiquer l’épidémie d’antibiorésistance, laquelle est due... aux antibiothérapies.

Lord Jim O’ Neill propose même au G20, qui se réunit en septembre 2016, de statuer sur un accord dit « play or pay » : les labos qui ne chercheront pas de nouveaux antibios devront payer une taxe servant à subventionner ceux qui cherchent. Autant dire que la consécration des causes du drame n’aura jamais été aussi délirante.

Les germes ne respectent rien

Un exemple simple permet de mieux illustrer le propos. Il a été publié en 1993(1). L’enquête portait sur vingt hôpitaux new-yorkais. Des souches d’entérocoques y avaient été observées de longue date. Les traitements avec les premières générations d’aminosides (streptomycine, gentamicine, etc.) avaient fabriqué une première antibiorésistance. Dans les années 1960, l’éradication des entérocoques résistants recourut à une nouveauté, Vampicilline. Nouvelle antibiorésistance. Le « Rambo de l’entérocoque », celui qui est efficace quand tout le reste a échoué, arriva sous la forme de la l’ancomycine. Las ! Les germes ne respectent rien, et une nouvelle résistance apparut, au point que 42 % des cas soumis à surveillance aggravée dans les hôpitaux new-yorkais passèrent de la salle d’opération à celle de la morgue.

Certes, les antibiotiques n’entrent pas dans la classe des armes par première destination. Reste que les antibiothérapies abusives sont, en France, directement responsables de 160 000 infections nosocomiales à bactéries multirésistantes, et de 13 000 décès annuels (trois fois l’automobile), chiffres reconnus officiellement par le ministère de la Santé. Le ministre de la Santé Marisol Touraine constatait en septembre 2015, armée d’un rapport, un énième ! dû cette fois-ci au Dr Jean Carlet, que les médecins français prescrivent 30 % de plus que la moyenne européenne, et trois fois plus que leurs confrères néerlandais, suédois ou norvégiens. C’était pour conclure : « 13 000 décès par an, c’est gigantesque ». La « Loi de modernisation du système de santé », qui suivit en décembre 2015, prévoyait beaucoup pour les toxicomanies diverses (alcool, tabac, salles de shoot, etc.), mais rien contre les antibiothérapies abusives.

Le milieu des morticoles

Devant de tels dégâts, le milieu des morticoles suggère que soit renforcée la batterie des familles d’antibiotiques. C’est le sens des prochaines propositions de Jim O’Neill au G20. Autant dire que l’expérience ne sert à rien. Les générations successives de familles d’antibiotiques ont toutes engendré des formes nouvelles d’antibiorésistance. Dans le genre « sur sélection darwinienne », il s’agit là d’une quête infinie. Il est évidemment possible de la poursuivre. Mais si les laboratoires ont lâché la recherche, c’est que le nombre de molécules efficaces par dollar investi baisse considérablement. Les molécules de synthèse, comme les quinolones développées sur quatre générations, ont montré des effets toxiques ravageurs sur les tissus humains, et des résistances remarquables de la part des bactéries visées.

Evidemment, il existe aussi des facteurs inavouables, et quasi inavoués. Des bactéries intestinales résistantes à large spectre, dites EBLSE, sont observées chez 50 % des patients parisiens venant de zones intertropicales, mais il n’est pas question de toucher à l’immigration. 20 % des admis aux urgences de Bichat sont porteurs d’EBLSE, contre 6 % dans la population générale, et 70 % des rapatriés d’Asie du Sud-Est le sont, avec ou sans tourisme sexuel. Quant aux bactéries dites « hautement résistantes émergentes » (BHRe), elles émergent effectivement. D’après le Haut conseil de la Santé publique, celles inhibant les carbapénèmes, famille d’antibiotiques à large spectre et de dernier recours, ont augmenté à hauteur de 27 % en Italie, et de 68 % en Grèce. Les noyades en Méditerranée n’entrent pas dans la statistique, et les taux allemands ne sont pas diffuses.

De tels chiffres provoquent une explosion de la littérature internationale et administrative sur le sujet, instructions, rapports, recommandations aux médecins de ville, aux services hospitaliers, aux établissements de cure, de personnes âgées, etc. Voila qui relève, pour l’essentiel, de la littérature du parapluie, celle qui permet de multiplier les commissions et les réunions, et de se protéger administrativement. Une attitude généralisée depuis l’affaire du sang contaminé par le virus du sida qui, dans les années 1980-90, eut des conséquences sanitaires notables aux États-Unis, au Canada, en Chine ou en France.

Quant à la question « Que faire ? », elle reste lettre morte. Preuve que la croyance dévote qui fonde la fable scientiste selon laquelle pourrait exister un système général et rationnel de protection médicale et sanitaire, elle, est toujours vive. Tout tient dans la « fable rationnelle ». Elle fonctionne comme l’« obscure clarté » cornélienne. Les oxymores ne tombent pas des étoiles. Ils y vont.

1). Voir Stoeckel, Douglas et al., « infectious Diseases », Journ. of Am. Med. Assoc., juillet 1993; également « Emergence of Vancomycin Resistance Eterocci in New York City », Lancet, juillet 1993 : Multiples références dans le Journal of Clinical Microbiology, notamment « Outbreak of multidrug-resistant Enterococcus faecium with transferable vanB class vancomycin resistance », mai 1994, « Use of primers selective for vancomycin resistance genes to détermine van genotype in enterococci and to study gene organization in VanA isolates », aout 1995. En France, les travaux de Raymond Leclerc à Créteil (Henri-Mondor), de Patrice Gourvalin à l’Institut Pasteur et de nombreux autres microbiologistes datent de la fin des années 1980; ils n'ont servi à rien. Echo dans Gautier, « De l’antibiothérapie considérée comme un des beaux-arts », Rev. Intern. Méd. Etiopath., n°11 oct. 1993

Les commentaires sont fermés.