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L’Union européenne a-t-elle encore les moyens de faire sa dame patronnesse ?, par Gabrielle Cluzel.

À la réflexion, avoir mis l’élégante et diaphane  à la tête de la  est un excellent casting. Qui, en effet, mieux qu’elle – au profil d’héroïne de Pierre Benoît ou de Stefan Zweig – pouvait incarner notre belle et vieillissante Europe, douairière en fin de règne dans son château délabré, trop longtemps altière et dominante pour ne pas être encore jalousée, mais déjà un peu méprisée ?

Dans un candide et orgueilleux déni de sa déchéance, la dame patronnesse sur le déclin s’accroche à ses œuvres pies, alors que telle Scarlett O’Hara, elle taille déjà ses robes dans les rideaux damassés, vestiges de la splendeur passée, et peine à soigner ses enfants.

Le dispositif COVAX, mis en place par l’OMS, doit permettre de fournir des  à une centaine de pays « défavorisés ». « Pour vaincre le coronavirus, il faut envoyer des vaccins aux quatre coins de la planète, dès que possible. […] L’équipe d’Europe est fière de soutenir le Mécanisme COVAX et restera aux côtés du peuple africain », a déclaré, dès sa mise en place, Ursula von der Leyen.

Le 12 novembre dernier, on apprenait que « l’Union européenne apporterait 100 millions d’euros supplémentaires sous forme de subventions en soutien au mécanisme COVAX » : ces fonds compléteraient « les 400 millions d’euros de garanties déjà engagés par l’UE pour le COVAX, faisant de l’Union l’un des principaux donateurs ».

On se doutait qu’, petit frère spirituel d’Ursula van der Leyen, n’allait pas être en reste. En février, au moment du G7, il appelait « les pays riches à faire don de 4 à 5 % de leurs doses de  aux 92 pays les plus pauvres ». Lors de son allocution de jeudi dernier, il a encore évoqué ce programme COVAX comme un honneur et une nécessité.

Sauf que…

Sauf que cet entêtement à voler au secours des voisins supposés par nature déshérités quand l’Europe en général, et la France en particulier, souffre d’une pénurie flagrante de vaccins finit par relever du cliché condescendant empreint de néo-colonialisme bienveillant : la France ne peut que mieux réussir que ces pays-là ! Est-ce si certain ? Qu’on en juge avec l’exemple précis du Maroc.

À la date du 24 mars, on lisait dans Slate> que, rapporté au nombre d’habitants, le Maroc se classait dans le top 10 mondial de la population vaccinée. Comparé aux pays de l’Union européenne, « il n’était devancé que par la  et la  et distanciait nettement les grands pays ».

Ayant bien anticipé, au mois de juillet 2020, il « passait avec la Chine un accord pour la construction d’une usine de vaccins, au nord du pays. Un mois plus tard, le 20 août, pour la livraison de 40,5 millions de doses du vaccin chinois. Le 18 septembre, un deuxième accord avec le britannique  prévoyait la délivrance de 25,5 millions de doses supplémentaires. Un total de 66 millions de doses plus que suffisant pour administrer les deux doses requises à la population-cible des plus de 18 ans. »

Par ailleurs, « pour se prémunir d’éventuelles ruptures d’approvisionnement, le gouvernement était en négociation avec les Russes afin de recevoir un million de doses du vaccin Spoutnik V. Avec, là encore, la localisation au Maroc d’une usine de fabrication. » Pour se diversifier encore, « le royaume négocie aussi avec deux autres fournisseurs de vaccins : SK bioscience et Johnson & Johnson. »

Slate note, en outre, qu’au Maroc (comme dans de nombreux autres pays éligibles au programme COVAX, NDLA), « pour des raisons démographiques, les populations à risque sont bien moins importantes qu’en Europe. Ainsi, seulement 4 millions de Marocains sont âgés de plus de 60 ans, soit un nombre quatre fois inférieur à celui des mêmes populations en France. Cela signifie que d’éventuels retards de livraison de doses auront au Maroc des conséquences beaucoup moins négatives qu’en Europe. »

Or, cerise, sur le gâteau, le docteur Afif, membre du comité de vaccination marocain, se réjouissait, il y a quelques jours, que son pays, en sus, « dispose d’une dotation de 1,2 million de vaccins dans le cadre du programme COVAX ».

Bref, qui, aujourd’hui, devrait faire la charité à l’autre ?

Gabrielle Cluzel

Ecrivain, journaliste

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