Vous n’en mesurez pas encore tout le poids. Mais il suffirait d’une modeste élévation des taux de nos emprunts d’Etat pour que nous ne puissions pas nous relever. Songez-y, même si c’est à nos enfants et à nos petits-enfants qu’Emmanuel Macron réserve surtout cette mauvaise surprise.
En 2020, la dette publique (qui additionne celle de l’Etat, des administrations de Sécurité sociale et des collectivités) a explosé, à 115,7 % du produit intérieur brut (PIB), soit 2 650,1 MILLIARDS D’EUROS, a annoncé l’Insee vendredi 26 mars.
C’est un changement d’ère par rapport aux 98,1 % d’endettement de 2019, avant la crise due au Covid-19. Le déficit public, lui, s’est creusé, à 9,2 % du PIB, bien au-delà de 2019 (3,1 %). « Il s’agit du ratio de déficit le plus élevé depuis 1949 », a souligné l’Insee.
La tempête budgétaire de 2020 a aussi été plus violente que celle de 2009, avec une hausse des dépenses publiques – elles culminent à 62,1 % du PIB – et une chute des recettes plus importantes que lors de la crise financière.
Pour Bruno Le Maire, « ces dix-huit points de dette supplémentaires sont la traduction de la baisse d’activité de l’économie française et de l’effort de protection considérable de nos salariés et de nos entreprises ». De quoi « garantir le fort rebond de notre économie lorsque la crise sanitaire sera derrière nous », a assuré le ministre des finances, qui n’a pas manqué de rappeler que « quand l’activité économique se sera redressée, nous devrons commencer à rembourser cette dette suivant la stratégie que nous avons définie : croissance, maîtrise des dépenses publiques et réformes de structure ».
Sans doute à partir de 2022 et grâce à la réélection d’Emmanuel Macron !!!
De fait, ce bond vertigineux était attendu après une année de « quoi qu’il en coûte » qui, de reconfinements en couvre-feux avancés, a vu la « facture Covid » gonfler mois après mois. Le déficit public s’établit finalement à 211,5 milliards d’euros (déficit des organismes sociaux, mesures économiques d’urgence, manque à gagner en recettes fiscales).
La crise sanitaire place désormais l’exécutif face à un dilemme : difficile de laisser entendre qu’il prend le sujet à la légère, mais impossible de trop resserrer les vannes budgétaires. A Bercy comme à Matignon, on sait que le mandat d’Emmanuel Macron sera jugé sur la manière dont l’endettement colossal hérité de la crise sanitaire aura été géré, mais aussi sur la capacité future de la France à investir pour doper son économie.
Un sujet d’autant plus brûlant que la crise s’éternise. Le chef de l’Etat a estimé jeudi que l’Europe devra « améliorer » sa réponse économique et budgétaire à la crise du Covid-19 afin que la relance soit « plus vigoureuse ». Selon le bon vieux principe du « c’est pas moi, c’est les autres« …
C’est le sens du plan de 100 milliards d’euros que Bruno Le Maire tente de faire exister aux côtés des mesures d’urgence qui continuent de s’imposer dans plusieurs secteurs, de la restauration à la culture en passant par les commerces « non essentiels« . Pas question, pour le gouvernement, de donner l’impression qu’il a brûlé toutes ses cartouches budgétaires, à l’heure où des pans entiers de l’économie, et donc de l’emploi, auront besoin en sortie de crise de puissants leviers de redressement.
C’est, aussi, le sens des réflexions sur la gestion des finances publiques contenues dans une série de rapports, remis à l’exécutif ou à venir. La France peut-elle se permettre de s’endetter encore, et si oui, pourquoi ? MAIS AUSSI COMMENT ?
Alors que le pays a connu une récession inédite en 2020 et que les taux d’intérêts demeurent très bas, voire négatifs – la dette n’a « coûté » que 33,2 milliards d’euros en intérêts à la France en 2020, soit 6 milliards de moins qu’un an plus tôt ! –, un retour direct à la rigueur budgétaire est injustifiable. Personne, d’ailleurs, ne s’y risque en ces termes. Combien de temps cela pourra-t-il durer ?
Pour l’instant, tout va bien.
Mais le diable se cache dans les détails. Après le rapport de la commission Arthuis, qui préconise d’instaurer un « niveau plancher » afin de sanctuariser les « dépenses d’avenir » (« dépenses vertes, investissements, recherche, capital humain »), Laurent Saint-Martin, le rapporteur (La République en marche) du budget, et Eric Woerth, président (Les Républicains, LR) de la commission des finances de l’Assemblée nationale, comptent déposer prochainement une proposition de loi organique qui dissocie dépenses d’investissement et de fonctionnement. « Veut-on une dette pour fonctionner ou investir ? Aujourd’hui, elle sert surtout à fonctionner », explique M. Woerth, qui suggère d’instaurer ces précisions pour toutes les missions et programmes de la loi de finances, présentée chaque année, à l’automne.
Le débat peut sembler technique, mais il aura des répercussions très concrètes.« C’est un débat politique, qu’il faudra avoir en sortie de crise, soutient M. Woerth. C’est lui qui permettra de définir nos priorités en matière de dépenses, et de dire ce qu’est la bonne et la mauvaise dette. »
« Les dépenses récurrentes doivent être financées par des recettes récurrentes. Il faut donc trouver des recettes permanentes pour financer la hausse des dépenses de santé et d’éducation, pas utiliser systématiquement la dette », estime pour sa part Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques, un cercle de réflexion d’inspiration keynésienne.
Vers de nouveaux impôts ?
« Il faudra s’arrêter sur un certain nombre de principes, il n’est pas sûr que les députés PS et LR s’accordent sur tout », convient M. Woerth. « Le sujet, c’est clairement le salaire des profs », précise Valérie Rabault, présidente du groupe PS à l’Assemblée nationale. L’ancienne rapporteure du budget sous François Hollande déplore que ce travail de longue haleine d’analyse des dépenses publiques, réalisé par ses soins en 2016, n’ait pas été repris par l’actuelle majorité. « Ils n’ont rien inventé ! », peste-t-elle. Selon ses calculs, les dépenses de fonctionnement – dont le paiement des fonctionnaires – sont stables en pourcentage du PIB (autour de 18 %) depuis vingt ans.
Marisol Touraine, ancienne ministre de la santé de François Hollande et membre de la commission Arthuis, a un avis un peu différent. « L’éducation n’est-elle pas une dépense d’avenir, à même d’accroître la richesse d’un pays ? C’est un vrai débat à avoir », estime-elle.
Pour M. Woerth, au contraire, « l’éducation, comme les dépenses sociales, est du domaine de ce que doit mettre en œuvre un Etat républicain (ndcer: comme si ce n’était pas du domaine d’un état monarchique !). Elles ne concourent pas à augmenter le potentiel de la croissance française future ». A Bercy, on regarde cette distinction d’un œil favorable. Malgré un calendrier parlementaire chargé, on assure qu’une loi organique sur le sujet peut encore trouver sa place d’ici à la fin du quinquennat.
C’est bien ce que nous écrivions plus haut : … pour permettre la réélection d’Emmanuel Macron ! Les Français accepteront-ils de se laisser berner une fois encore ?
Le 29 mars 2021.
Pour le CER, Jean-Yves Pons, CJA.
https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/2021/03/29/lenorme-boulet-de-la-dette-francaise/