Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Réinventer la charrue.

En 2020, ils ont été près de 600 à fréquenter la «coopérative d’autoconstruction» L’Atelier paysan. Ils le doivent à Joseph Templier, un maraîcher isérois qui, faute de trouver les outils adaptés à ses cultures sur planches permanentes, s’est ingénié à les façonner, déclenchant un défilé de curieux, puis la création, en 2014, d’une société coopérative d’intérêt collectif. Elle est aujourd’hui forte de trente salariés, de 126 sociétaires, et d’un grand prix décennal de la finance solidaire.

La quête de L’Atelier paysan se révèle on ne peut plus fructueuse. Tout commence, en effet, par une « tournée de recensement des innovations paysannes ». Les camions de L’Atelier sillonnent la France des fermes à l’affût de bricolages astucieux, de glorieuses bidouilles capables d’améliorer les conditions de travail, des agricultrices notamment. Comme le chariot de transport de ruches. Ou la balance électronique pour le suivi à distance des mêmes ruches.

Ce système de pesée est l’œuvre de Jean-Philippe Valla, ex-ingénieur électronicien devenu… éleveur-maraîcher dans le Trièves, au sud de l’Isère. Régulièrement, les expérimentations menées dans sa « ferme Tournesol » autonome en énergie (unité de méthanisation à prix modique, épurateur à biogaz pour rouler en voiture avec son propre gaz…) sont versées au pot commun de L’Atelier paysan. Qui entreprend ensuite un travail de rétro-ingénierie, disséquant, mettant en plans les innovations repérées, les aggrozouk, cultibutte, rouleau fakir, vibroplanche, étoiles de boudibinage, grelinette et autres néo-outils aux noms étranges des exploitations bio.

La pêche aux idées se complète d’une recherche et développement participative. Sous la houlette de L’Atelier, des paysans cogitent en grappe. « En ce moment, un travail est mené avec les viticulteurs du Pays Basque sur les outils d’entretien des terrasses viticoles escarpées », précise Marie Mardon, cogérante de la coopérative. Recueils thématiques (« Du champ à la chope », « L’ergonomie à la ferme »…), fiches techniques par outils, catalogues d’équipements par filière : afin d’éviter que chacun réinvente dans son coin le décortiqueur d’épeautre ou la balayette à doryphores, les trouvailles sont mutualisées sur le site Internet de L’Atelier, visité 247 000 fois l’an passé.

Et la formation bat son plein, lors d’ateliers éphémères (que déploient sept camionnettes circulant partout en France) ou sous la halle de Renage. On y retrouve, couverte d’un anorak turquoise noirci par le bricolage, Laurence Bonnel qui fut fonctionnaire au ministère de l’agriculture avant de se réinventer en paysanne-boulangère savoyarde. Douze hectares de blé et de seigle, un moulin, un cheval de trait… Le stage d’autoconstruction à L’Atelier paysan s’imposait.

La quadragénaire en profite pour « parler avec des gens qui utilisent les mêmes outils artisanaux. » Trop rares ou trop chers dans le commerce. « Quand on les crée soi-même, on sait comment ils marchent, donc on peut ouvrir la boîte, réparer, modifier, appuie-t-elle, concentrée. Je n’étais pas plus bricoleuse que ça. Maintenant, j’aime souder. On peut fabriquer ce qu’on a imaginé. » En l’occurrence un traîneau métallique dont le formateur l’aide à définir les contours. Elle repartira avec. « Je revisite un outil ancestral. Si cela peut servir à d’autres, tant mieux ! »

Apprendre, en quelques jours, à démystifier le rapport à l’outil coûte environ 1 200 euros, pour l’essentiel couverts par les organismes de formation professionnelle. L’Atelier vit de subventions ministérielles, régionales, départementales, européennes, de financements privés (fondations, clubs Cigale…) mais aussi, pour une grosse moitié, des ressources générées par sa plate-forme d’approvisionnement : les agriculteurs lui passent commande de matières premières, de pièces détachées, d’outils en kit prêts à souder.

Un filon qui a permis de lancer la nouvelle formation « Installation et technologies ». Neuf semaines pour rendre moins anxiogènes les choix coûteux d’outils et de bâtis, effectués au démarrage. « Ceux qui s’installent voient les pièges tendus par le modèle de surendettement », observe Marie Mardon, cogérante (avec Fabrice Clerc) de L’Atelier paysan. Mais le projet est bien plus global que cela, vous dit-on. Il est politique !

« Nous remettons en cause le système agro-industriel délétère pour les sols, les paysans et la population, pose Mme MardonIl faut reprendre la terre aux machines, toujours plus démesurées, puissantes, complexes, difficiles à réparer soi-même. Pour être rentables, elles nécessitent des surfaces de plus en plus grandes. D’où l’engrenage de l’endettement. La dépendance des paysans. Nous voulons leur redonner une souveraineté technologique. Soutenir l’agroécologie paysanne, une agriculture à taille humaine. » Ou le bon sens près de chez soi !

Le plan de bataille pour la « conception ascendante et subversive des machines et bâtiments » passe un peu au-dessus des têtes coiffées de bonnets d’Isabelle Hibon et Alain Prost-Tournier, en pleine récolte de choux-fleurs, par vent frisquet, dans leur ferme maraîchère bio de Saint-Cassien (Isère). Mais l’attente du réparateur à mallette électronique, des jours durant, voilà exactement ce dont veulent désormais se passer l’ancien pâtissier et l’ex-experte en microélectronique, reconvertis il y a cinq ans. Un retour à la ferme intelligent.

A l’abri d’une de leurs serres géantes, de drôles d’engins sont alignés, assemblages biscornus de métal couleur rouille. Buteuse, bineuse à allée, enrouleur de bâche manuel… Les deux associés séjournent à tour de rôle à L’Atelier. « C’est basique, carré, sans fioriture, sans hydraulique, mieux adapté, cela respecte les sols », explique le maraîcher qui assure avoir ainsi dépassé sa peur de la casse et des coûts afférents. « On connaît son outil, on déboulonne, on fait une soudure. On ne se met plus sens dessus dessous. »

Comment faisaient nos arrières grands-parents ? Comme ça ! Et tout le monde s’en portait mieux. Mais, à l’époque, le Crédit agricole ne faisait pas partie de l’indice CAC 40 et ne copinait pas avec les banques d’affaires…

https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/2021/04/04/reinventer-la-charrue/

Les commentaires sont fermés.