S’est-on moqué des petites dames de jadis, façon Tante Yvonne ou Germaine Coty, qui restaient dans l’ombre de leur mari, leur petit sac serré contre elles, le bibi sur la tête, tout justes bonnes à couper les rubans des inaugurations, à distribuer les cadeaux de Noël et à se pencher pour tapoter les joues des enfants. Certains se souviennent d’Anne-Aymone Giscard d’Estaing, associée, le 31 décembre 1975, aux vœux présidentiels, empruntée, mal à l’aise, ayant peur de l’impair. C’est qu’elles craignaient de nuire à leur prestigieux époux. On peut en sourire. Cela avait pourtant quelque chose de beau, de sacrificiel et de touchant. De respectueux pour la fonction et le pays aussi.
Mathias Wargon n’a pas les mêmes délicatesses avec son épouse de ministre Emmanuelle Wargon, déjà pourtant justement en délicate situation dans une sombre histoire de « faites-ce-que-je-dis-ne-faites-pas-ce-que-je fais » en matière de mixité sociale. Il pourrait se faire tout petit, éviter de lui rajouter des ennuis, du bad buzz, de la polémique sur le dos, et de mettre encore une fois le nom « Wargon » en tendance sur les réseaux sociaux. Pas du tout, en matière matrimoniale, Mathias Wargon fait du manspreading : sa femme, bien assise dans la vie, a une belle place au soleil, il s’assoit à côté d’elle en écartant les jambes pour capter lui aussi la lumière. Car s’il n’était pas le mari de la dame, tout le monde, passé la porte du service des urgences de l’hôpital de Saint-Denis, se soucierait comme d’une guigne des saillies de salle de garde et des grossièretés du docteur Wargon. Comme l’écrivait Le Monde, en avril 2020, « il réagit à tout, à la fois en traitant ses contradicteurs de “débiles” et de “gros tarés”, mais aussi en publiant des liens vers des travaux de sommités (“c’est chiant, mais c’est précis”). Bien sûr, tout cela serait presque banal si cet adepte de l’émoticône “doigt d’honneur” n’était à la ville l’époux d’Emmanuelle Wargon. » Un certain nombre de ses pairs confient entre haut et bas ne pas lui avoir pardonné – un minimum de confraternité étant quand même de mise, dans le métier – d’avoir traité le professeur Perronne, l’hiver dernier, de « guignol », l’accusant de « ne dire que des conneries ».
S’il a été mis, par l’ARS, à la tête de l’Observatoire régional des urgences et des soins non programmés (ORUSNP) pour l’Île-de-France, il garde comme une blessure le fait de ne pas avoir été nommé professeur : « Je l’ai longtemps regretté. Ma grande gueule m’a coûté une partie de ma carrière. Je suis beaucoup dans l’affrontement, pas très machiavélique. » Comme si l’élémentaire politesse était synonyme de calcul, d’intrigue et de machination.
Mathias Wargon vient donc encore de frapper, cette fois à l’endroit de Jean Messiha, assenant tout d’abord dans un tweet « qu’il y a les bons Arabes, et les mauvais Arabes », avant de le retirer et de préciser : « Ne vous faites pas plus c… que vous êtes », « Effectivement, vous êtes le bon Arabe de l’extrême droite. Riche, énarque et chrétien. Pas maghrébin », lui jetant à la figure, plus loin, le terme de « cher ami » que Jean Messiha avait utilisé pour s’adresser à lui : « Cher ami ? Non mais, ça va pas ! Mes amis ne sont pas des ordures qui chaque soir défèquent leurs idées pourries dans les médias. »
Peu importe, à dire vrai, le fond du débat. Comme le commente Philippe Bilger sur Twitter, « traiter quelqu’un d’ordure parce qu’on n’aime pas ce qu’il pense et dit, sur Twitter ou ailleurs, est lamentable. Qu’on soit ou non compagnon d’une ministre. Ce délitement est-il fatal ? »
Ce « délitement » risque, en tout cas, d’être « fatal » à un certain personnel politique, qui s’abaisse lui-même, ou qui est abaissé par son entourage, lequel veut bien tous les avantages et les droits d’une fonction – ils sont nombreux… – mais en aucun cas les inconvénients et les devoirs, en particulier tenir son rang et donc sa langue. Le déclassement d’un pays se voit aussi, hélas, à ces choses-là.
Gabrielle Cluzel