L’Assemblée nationale a donné, dans la nuit du mercredi 20 au jeudi 21 octobre, un premier feu vert au projet de loi « vigilance sanitaire », avec la possibilité controversée de recourir au passe sanitaire jusqu’au 31 juillet 2022.
Une centaine d’élus de Haute-Savoie décrivent les conséquences sociales du dispositif dans leur territoire et militent pour son abandon.
Plus que personne, nous connaissons les effets terribles et dévastateurs de la Covid-19. C’est nous, accompagnés des pompes funèbres, qui avons scellé par des cachets de cire rouge les cercueils des premières victimes de la pandémie, inhumées dans nos cimetières municipaux. C’est nous, une fois encore, qui avons soutenu les familles et les proches des malades décédés. C’est avec nos conseils municipaux, nos agents communaux, nos associations, dans nos infrastructures que nous avons organisé massivement les premiers centres de dépistage et de vaccination, les ateliers de confection de masques. Certains d’entre nous ont même approvisionné les professionnels de santé. Depuis le début de la crise, nous sommes sur le front, sans angélisme ni utopie. Nous connaissons le prix humain et économique de cette pandémie. Nous pouvons donc témoigner ici, que si notre pays a pu traverser cette épreuve sans précédent, ce n’est que par l’unité et la concorde entre la population et ses élus.
Pourtant, chaque jour, dans nos communes de Haute-Savoie, qu’elles soient grandes ou petites, rurales ou urbaines, nous constatons peu à peu la division s’immiscer. Nous voyons les couples que nous avons unis se déchirer. Nous assistons à l’éclatement d’associations centenaires. Aux refus gênés d’accueillir des clients par des restaurateurs déjà au bord de la rupture financière.
Plus globalement, nous voyons la politique s’immiscer là où elle n’avait pas sa place jusqu’alors. Les pro et anti, que ce soit sur le sujet du passe ou du vaccin, se retrouvent subitement en opposition, là où ils vivaient paisiblement en harmonie. Les contrôles permanents sont autant de rappels, de coups de couteau, dans cette plaie de discorde. Ils sont effectués par des hommes et femmes qui n’en ont pas la vocation et qui subissent eux-mêmes de devoir se substituer à ce qui, jadis, était le pré carré des compétences régaliennes. Hier, nos policiers municipaux ne pouvaient pas contrôler une identité dans la rue, aujourd’hui vigiles ou bénévoles d’associations sont contraints de mettre en œuvre des barrages filtrants à l’entrée d’un gymnase ou d’un centre commercial.À cette implosion sociétale sans précédent, nous voyons nos services publics, déjà fragiles, subir de plein fouet les suspensions d’agents. Les lits déjà trop peu nombreux de nos Ehpad se ferment les uns après les autres, à la suite de suspensions de soignants. Les mêmes, qu’hier encore, nous applaudissions tous le soir venu. Laissant ainsi, autant de familles dans l’embarras et les plus fragiles d’entre nous, nos seniors, dans des situations inacceptables. Nous constatons, aussi, le retour contraint de personnes en situation de handicap, qui ne peuvent rester dans leurs centres spécialisés, faute de personnel. Les pharmacies de nos villages se retrouvent contraintes à réduire leurs amplitudes horaires faute de personnel vacciné. Nos centres de secours, déjà en tension perpétuelle, doivent se réorganiser et faire face au refus de pompiers déjà volontaires à se faire vacciner.»
Plus largement, le passe, mis en œuvre dans un manque de concertation certain, est générateur d’une incompréhension grandissante. Ce dispositif, à géométrie variable, crée un imbroglio des plus total. Une école de musique, si elle est portée par une collectivité en est exemptée, mais si dans la commune voisine elle est sous forme associative, le passe s’applique. Un groupe de musiciens professionnels n’a pas besoin du précieux sésame pour répéter, quand il est dans le même temps imposé aux amateurs. Les enfants des collèges jouent ensemble au basket sans passe, mais le soir venu, dans le même gymnase, avec les mêmes enfants et cette fois dans le cadre associatif, le passe s’applique. Il est obligatoire dans les trains, mais pas les métros, dans les musées, mais pas les écoles, les exemples sont nombreux… Générant ainsi autant de frustrations doublées d’un sentiment profond d’injustice, dont nous sommes malgré nous les réceptacles.
Le passe sanitaire est à l’origine de cette fracture sans précédent de notre société. Nous en sommes les témoins privilégiés, quand le cadre légal ne nous oblige pas à en être les acteurs malgré nous. Cette crise de la Covid-19 est doublée d’une crise de gouvernance. La gestion de la pandémie, faute d’une vision claire et pérenne, fait porter et appliquer aux acteurs de terrain la mise en œuvre d’une obligation vaccinale qui ne dit pas son nom. Sans avoir à émettre ici un jugement sur cette stratégie qui nous dépasse, nous constatons chaque jour ses limites.
La mise en place généralisée du passe est une démonstration parfaite de la citation de Julio Cortazar, «La lâcheté tend à projeter sur les autres la responsabilité qu’on refuse». En l’occurrence, les maires, les présidents d’associations, les petits patrons. C’est au dernier échelon, le plus fragile de toute la construction du système républicain et sociétal, qu’il incombe, une fois encore, la plus basse des besognes.
La parole politique, pour nous élus des territoires de France, chaque jour au contact de notre population, a encore un sens et une valeur impérieuse. C’est le fondement de ce qui nous lie à nos concitoyens, c’est grâce à cette sincérité que nous sommes les élus préférés des Français. En avril, Emmanuel Macron déclarait en parlant du passe : «Il ne saurait être obligatoire pour accéder aux lieux de la vie de tous les jours comme les restaurants, théâtres et cinémas, ou pour aller chez des amis». Aujourd’hui, alors que l’immunité vaccinale collective tant vantée (deux tiers de la population) est atteinte, il est temps de mettre en cohérence le dispositif et les propos passés du Président de la République. C’est à ce prix qu’il sera possible de redonner confiance aux Français, de reconnaître les efforts monumentaux concédés et qui, aujourd’hui, portent leurs fruits.»
Après la pandémie viendra le temps de la reconstruction, peut-être comme l’annoncent de nombreux observateurs, le temps de la récession, aussi. Ce n’est que dans l’unité, le dialogue et la sérénité, que peuvent l’appréhender les Français. Il est temps de faire confiance à notre population, de lui reconnaître sa liberté et sa responsabilité. Il est temps d’extraire du quotidien déjà lourd de nos concitoyens, la discorde créée par ce dispositif, d’ôter des frêles épaules de ceux qui n’ont rien demandé, un contrôle qu’ils n’ont pas à assumer à leur niveau. Il est pour nous, élus locaux, le temps d’abandonner le contrôle du passe sanitaire de la vie quotidienne des Français.
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Tribune reprise de FigaroVox