À un tel égard le livre de Michel Barnier, "La Grande illusion" publié aux éditions Gallimard (1)⇓, ne manque pas de nous fournir bien des clefs de compréhension. Aujourd'hui candidat à la candidature pour l'écurie de la droite classique, il a noté au jour le jour, pendant 4 ans et jusqu'au dénouement de décembre 2020, avec son équipe le fil des négociations avec nos amis Britanniques.
La faiblesse de ces derniers tenait à ce que la seule ligne de conduite qu'ils pouvaient adopter, et le mandat qu'ils devaient respecter, consistaient à mettre en pratique la majorité référendaire imprévue de juin 2016. Les citoyens du Royaume-Uni, ceux des vieilles cités industrielles paupérisées surtout, voulaient cesser de faire partie de l'Union européenne. Leur gouvernement s'employa à appliquer cette volonté, cette décision.
Avec un peu de recul historique, une première chose pourrait surprendre à la lecture de cette chronique : la personnalité de la courageuse Première ministre qui séjourna au 10 Downing street, entre juillet 2016 et juillet 2019. Chef du gouvernement de Sa Majesté britannique, Theresa May allait conduire, pendant 3 ans, des négociations en vue d'appliquer un retrait de son pays, contre lequel elle avait fait campagne en tant que ministre de l'Intérieur du cabinet dirigé jusque-là par David Cameron.
Autre leçon de démocratie parlementaire à l'anglaise : le comportement remarquable, et remarqué, du président "speaker" de la chambre de Communes.
Après avoir, en effet, organisé les débats de la manière la plus objective possible, [ceux qui les ont suivis, se souviendront de ses légendaires rappels à l'ordre "Order ! Order !"] le conservateur John Bercow renonça en novembre 2019 au renouvellement de ses fonctions après 10 ans de bons et loyaux services. À la suite de quoi, note Michel Barnier "face aux journalistes qui lui demandent si le Brexit sera positif pour la place du Royaume-Uni dans le monde, M. Bercow est laconique :'la réponse honnête est non' avant de déclarer que 'le Brexit est la plus grande erreur de politique étrangère dans la période d'après-guerre'".(2)⇓
Prise à une courte majorité de 52 % des votants cette décision était devenue, en effet, irrévocable. En face, tout le travail de l'équipe Barnier, s'efforçait de coordonner les points de vue de 27 gouvernements tout en ménageant l'avenir des relations entre la Grande Bretagne et le Vieux Continent. Cette démarche ardue supposait aussi de défendre les intérêts de territoires que les technocrates parisiens considèrent en général comme périphériques, donc mineurs, de se préoccuper de l'avenir de Gibraltar, des bases britanniques à Chypre et, surtout de la frontière entre les deux Irlande(3)⇓ … Les pêcheurs français et belges, leurs droits et leurs quotas respectifs pour 28 espèces, seront, eux aussi et jusqu'en décembre 2020, défendus jusqu'au bout par la Commission européenne(4)⇓
On comprend en lisant ce livre pourquoi son auteur, qui rappelle son engagement sur ce terrain depuis l'âge de 14 ans, se référant à une filiation fidèlement gaullienne, s'attache à l'idée, et cherche à démontrer, qu'on puisse être patriote et européen et que la France puisse exercer d'autant plus d'influence que ses dirigeants se montreraient moins arrogants. "J'ai toujours pensé, écrit-il, que la France est plus grande quand elle est européenne, et qu'elle doit se garder de l'arrogance de vouloir une Europe française".(5)⇓ Puisse un Macron s'en souvenir quand il exercera l'éphémère présidence tournante au premier semestre 2022.
La présentation et l'écriture de l'ouvrage, y compris les deux cahiers photos intelligemment choisis pourraient livrer bien des clefs discrètes pour l'avenir de la droite, telle que la pense le Savoyard catholique Barnier, attaché à ses montagnes, mais aussi pour l'avenir de l'Europe institutionnelle(6)⇓ .
On notera par exemple une photo de l'auteur en compagnie de Viktor Orban, dont il est mentionné sobrement et simplement : "Dialogue franc et direct avec le Premier ministre hongrois dans son bureau du Parlement de Budapest, le 4 juin 2018. Sur le Brexit, il a toujours soutenu l'unité européenne".
Convaincra-t-il le public ? L'avenir le dira. L'idée qui s'impose est couramment attribuée à Lao Tseu : pour gouverner un grand peuple il faut cuisiner les petits poissons, en douceur, avec une grande casserole.
JG Malliarakis
Apostilles
- "La Grande Illusion" journal secret du Brexit éd. Gallimard 2021, 542 pages⇑
- cf. page 386⇑
- cf. sur l'importance de la question irlandaise aux yeux du négociateur européen p. 466⇑
- cf. p. 499 et suivantes⇑
- cf. page 478⇑
- On lira ainsi en page 447 un résumé de la position de l'auteur et celle du négociateur sur l'unité des 27, dont il va jusqu'à donner, en page 23, la définition en gaélique. En français : "il n'y a pas de force sans unité".⇑
"Coningsby" par Benjamin Disraëli
Nul ne comprend la politique de l'Angleterre en ignorant l'origine de son parti conservateur..."Oui ! La direction secrète de l'Europe ! Quelle position ! (...) Ah! dit Coningsby, je voudrais être un grand homme !" Paru en 1844, ce roman à clefs décrit la re-fondation d'une véritable droite en Angleterre, après la Réforme électorale de 1832. Le personnage de Coningsby, dans lequel les contemporains identifiaient aisément George Smythe, exprime l'ambition de cette Jeune Angleterre – que Marx dénonce dans son Manifeste. "L'époque présente ne croit pas aux grands hommes parce qu'elle n'en possède pas. Pourtant l'esprit d'une époque est précisément ce qu'un grand homme peut changer."
→ Lire l'article de L'Insolent "Aux sources du Parti conservateur"
••• Ce livre de 574 pages au prix de 29 euros, port compris peut être commandé directement sur le site de l'éditeur ou en téléchargeant un bon de commande.
https://www.insolent.fr/2021/09/oui-une-autre-europe-est-possible.html