Il y a, décidément, un je-ne-sais-quoi de fascinant chez ces gens qui, n’étant plus rien, persistent néanmoins comme si de rien n’était. On a tous connu ces piliers de comptoirs racontant des histoires mille et une fois entendues, leurs combats de jadis, leurs simulacres de guerres, du temps où ils étaient jeunes, du temps où on les écoutait encore. Les plus chrétiens leur remettaient une tournée, façon pièce dans le juke-box, juste histoire d’assurer un fond sonore. La preuve par Manuel Valls.
Ainsi, l’ancien Premier ministre de François Hollande vient-il de signer un livre que personne, hormis son chien, sa femme et ses voisins de palier, ne lira jamais : Zemmour l’antirépublicain. La mise au bûcher commence par une sorte d’hommage du vice à la vertu, sachant que si « les Français voient déjà les limites » de cet ancien journaliste, « le discours de Villepinte avait sa force, sa cohérence et sa violence. Il a imprimé. » Mieux : « Qu’Éric Zemmour soit candidat jusqu’au bout ou non, quel que soit son score au premier tour, la doctrine qu’il élabore est un poison long et difficile à assainir pour la société. Ses idées imprègnent. »
Au-delà du galimatias de circonstance – depuis quand assainit-on un poison ? Il doit confondre avec une canalisation d’eaux usées –, on ne voit pas très bien pourquoi Zemmour ne serait pas « républicain » alors que Valls le serait. Bien au contraire, l’ancien éditorialiste de CNews s’est toujours situé dans la tradition républicaine et assimilationniste de la Troisième République, celle d’un Georges Clemenceau que le même Manuel Valls révère tant. Passons et ne demandons pas à l’ex-futur maire de Barcelone plus qu’il ne peut offrir : faire deux choses en même temps – écrire et penser, par exemple.
Mais à chaque péril son remède. Celui prescrit (relate Le Figaro) par le bon docteur Valls est d’une simplicité biblique : une « union sacrée nationale qui se traduira par un véritable agenda de compromis ». Entre qui ? Emmanuel Macron, qu’il a soutenu à l’élection présidentielle de 2017, et Valérie Pécresse, pour laquelle il a appelé à voter lors des régionales de 2021 en Île-de-France. Hormis le fait qu’on voit pas très bien ce que le « sacré » vient faire dans cette tambouille électoraliste, la suite vaut son pesant de schnaps : « L’union sacrée que je propose, ce n’est pas le “en même temps” ou la recomposition politique au sein d’un seul et même parti. Je parle d’un véritable agenda de compromis entre majorité et opposition. »
Dans la langue de Molière, et même celle de Cervantès, voilà qui ressemble tout de même bigrement à un parti unique ; soit celui de la « raison », pour paraphraser l’impayable Alain Minc. Mais dans son enthousiasme, Manuel Valls oublie que ce parti existe déjà, a un nom, La République en marche, censé fédérer bourgeoisies de gauche et de droite pour mieux nous protéger du péril populiste. À croire qu’aux Éditions de l’Observatoire, là où cet essai a été publié, il n’y a personne pour relire les manuscrits. Une fois de plus, passons, même si cela risque d’avoir du mal à passer chez Emmanuel Macron, qui ne lui a sûrement rien demandé et encore moins chez Valérie Pécresse, en voie de droitisation, elle qui va jusqu’à proposer qu’on ressorte le Kärcher™ du magasin des farces et attrapes sarkozystes.
L’autre argument de notre homme prête encore plus à sourire, lorsque s’étonnant qu’on ne fasse pas plus appel aux « anciens responsables politiques, à travers leur expérience, leurs réussites et leurs échecs, leurs cicatrices ». Pense-t-il à lui ? Non, pas seulement, mais aussi à d’autres, plus capés : « En France, on a tort de se passer de l’expérience de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. » En attendant de s’en remettre aux conseils tout aussi avisés de spécialistes en « échecs » et « cicatrices » ? Alain Carignon, Michel Noir et Patrick Balkany, par exemple ? En attendant, les deux principaux intéressés n’ont pas relayé les offres de services de Manuel Valls. On ne saurait décemment leur en vouloir.
Nicolas Gauthier