La culture, les coutumes et la politique d’un peuple contribuent toutes, dans un sens ou dans un autre, à son destin. Elles peuvent aussi bien favoriser sa reproduction, son identité, sa survie et son essor que contribuer à sa décadence et son extinction finale. Pour s’en rendre compte, il suffit de comparer la situation des Européens d’aujourd’hui avec celles de nos aïeux tout au long de notre histoire. L’Europe est menacée de mort parce que les valeurs dominantes font fi de l’homme en tant qu’être biologique, avec ses réalités ethniques et héréditaires. Suite.
Platon et Aristote : penser la biopolitique
Les grands penseurs grecs de l’époque classique, à l’inverse de certains sophistes, ne remirent pas en cause les fondements biopolitiques de leur civilisation. Au contraire, Aristote, à qui on doit d’ailleurs de nombreuses découvertes en biologie, annonce tout un programme avec sa célèbre phrase : « l’homme est par nature un animal politique »[1]. Par cela, Aristote entendait que la politique doit refléter la nature biologique de l’être humain avec ses traits particuliers : un animal sociable et capable de raison, certes, mais aussi marqué par l’hérédité. La Politique d’Aristote regorge d’ailleurs de commentaires proprement biopolitiques concernant le caractère des peuples, le mariage et la reproduction ou encore l’immigration.
Platon a souvent la réputation d’être un philosophe obsédé par l’abstraction. Si c’est peut-être le cas de sa métaphysique, sa politique est tout à fait consciente du fondement biologique et ethnique de l’être humain. La République insiste longuement sur les différences innées et héréditaires, proposant qu’idéalement nous devrions améliorer l’homme par la reproduction sélective. Dans les Lois, Platon exprime avec une grande éloquence ce que dut être la vision traditionnelle du mariage :
Le genre humain est contemporain des siècles ; l’homme accompagne et accompagnera le temps dans sa course ; il trompe la mort en laissant après lui des enfants qui en laissent à leur tour et rendent l’espèce immortelle, une et identique à elle-même, par la succession perpétuelle des générations. C’est donc un crime à tout homme de se priver volontairement de cet avantage ; et c’est consentir à s’en priver, que de refuser de prendre une femme et d’avoir des enfants[2].
Platon était manifestement animé d’un sentiment patriote en tant qu’Hellène. Dans presque toutes ses œuvres politiques – les Lois, les Lettres, le mythe d’Atlantide – il plaide pour l’unité de différentes cités grecques face aux menaces barbares. Dans la République, il demande aux Grecs d’atténuer les conflits entre eux et de réserver l’esclavage aux barbares.
Platon aussi bien qu’Aristote insistent sur l’importance de l’identité ethnique comme fondement de l’amitié et de l’unité au sein d’une communauté politique. Aristote en particulier constate que l’importation d’étrangers fut une arme politique de choix pour les tyrans et les démagogues. Il donne d’innombrables exemples de Cités qui, suite à une immigration non assimilée, furent dévastées par des conflits intercommunautaires. Inversement, Platon et Aristote recommandent tous deux que, si l’on souhaite avoir une population d’esclaves dociles, il vaut mieux que ceux-ci soient issus de nombreuses origines différentes, comme ça ils ne pourront se révolter contre leurs maîtres…
Aryballe du sixième siècle avant Jésus-Christ.
Inspirés par leur génie scientifique, les Grecs avaient déjà des idées concernant la race et l’hérédité qu’on peut qualifier de proto-darwiniennes. Ils pensaient que les peuples développaient des traits de caractère du fait de leur environnement et que ces traits devenaient ainsi héréditaires. Par exemple, les Éthiopiens étaient devenus noirs du fait de la chaleur africaine et certains peuples asiatiques étaient devenus mous à cause de la richesse de leur pays. Ces idées ne furent toutefois pas systématisées et les Grecs avaient tendance à attribuer les différences entre peuples à un mélange incertain de culture et d’hérédité.
Concernant l’hérédité individuelle, les Grecs avaient bien compris que les individus étaient différents par nature et que leur reproduction déterminait le caractère des générations futures – une réalité qui se constatait déjà concernant l’élevage des animaux. Ainsi, le poète Théognis exhorte les hommes à marier les meilleures femmes, et non pas simplement celles issues des familles des plus riches. On retrouve des idées eugénistes similaires chez Lycurgue, Platon et le Socrate de Xénophon.
L’amour de l’Hellade : une passion ethnico-civilisationnelle
Les Grecs pensaient que, malgré leurs divisions politiques et leur diversité interne, ils formaient une seule et même nation. Selon Hérodote, les Athéniens jurèrent de rester fidèles à l’alliance anti-perse parce que :
Le corps hellénique étant d’un même sang, parlant la même langue, ayant les mêmes dieux, les mêmes temples, les mêmes sacrifices, les mêmes usages, les mêmes mœurs, ne serait-ce pas une chose honteuse aux Athéniens de le trahir[3] ?
Cette profession de foi ethnico-civilisationnelle n’est pas isolée. La rhétorique panhellénique se trouve également chez Aristophane, Xénophon et Isocrate. L’amour de l’Hellade et l’affirmation de la suprême valeur du sacrifice en son nom sont présents à travers les siècles de littérature et de discours politique grecs[4].
Le mode de vie hellénique conjuguait un très haut niveau de civilisation avec l’ethos aristocratique, compétitif et martial des Indo-Européens. C’est cette ethos « aryenne » qui séduisit tant Nietzsche : la réalité d’un peuple qui n’était pas animé par la pitié ou la culpabilité, qui ne cherchait pas à réaliser une égalité impossible et fictive dans la vaine tentative d’apaiser l’inévitable ressentiment. Au contraire, la culture hellénique avait comme idéal l’excellence, être le meilleur, qu’il s’agisse du sport, de la poésie, de la philosophie ou même, tout simplement, de la beauté corporelle. Cette culture honorait aussi bien l’excellence et la survie collective, car ils comprirent que l’homme en tant qu’espèce ne s’épanouit qu’en communauté.
Élevé à l’école des poèmes homériques et de la vie de polis, à la fois citoyens-soldats et chefs de famille, les Grecs connurent une formidable expansion dans le monde violent de l’Antiquité. Ils ont crû, survécu et prospéré pendant des siècles du fait de leur ethos. Les réalisations exceptionnelles des Grecs découlaient de la féconde interaction de leurs valeurs et de leurs dons naturels, sans oublier le fait qu’ils furent les premiers à réunir la plus grande part des Mers méditerranée et caspienne en un même réseau linguistique et commercial.
Dans un esprit archéofuturiste, je souhaite une véritable biopolitique pour les Européens. Si nous voulons nous tourner vers les étoiles, il faut d’abord nous retourner vers notre for intérieur et bâtir un ethos en harmonie avec notre nature profonde, une citoyenneté virile impliquant une solidarité collective et intergénérationnelle. Il faut d’ores et déjà imaginer les biopoleis à venir, où nous serions animés par la triade homérique : la nature comme socle, l’excellence comme but, la beauté comme horizon.
Guillaume Durocher
À propos de l’auteur
Guillaume Durocher est historien et journaliste. Il est notamment l’auteur de The Ancient Ethnostate. Biopolitical Thought in Classical Greece (L’ancien ethno-État. La pensée biopolitique dans la Grèce de l’époque classique).
Notes
[1] Aristote, Politique, 1253a.
[2] Platon, Lois, Livre 4. https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Lois_(trad._Cousin)/Livre_quatri%C3%A8me
[3] Hérodote, Histoires, Livre 8, Chapitre 144. https://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_(H%C3%A9rodote)/Trad._Larcher,_1850/Livre_VIII
[4] Concernant l’omniprésence des thèmes panhelléniques tout au long de l’Antiquité, voir Lynette Mitchell, Panhellenism and the Barbarian in Archaic and Classical Greece (Swansea, Wales: Classical Press of Wales, 2007).
Guillaume Durocher
Tableau : Les Filles de Cécrops découvrant l’enfant Érichthonios (1617), huile sur toile de Jacob Jordaens, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen.