Autrefois, l’actualité politique se faisait ou se défaisait sur le service télévisuel public, à « L’Heure de vérité », émission présentée par le défunt marquis François-Henri de Virieu. Aujourd’hui, c’est chez Cyril Hanouna. Les temps changent. Hier, dans son rendez-vous quotidien, « Touche pas à mon poste ! » – le nom est déjà tout un programme –, Jordan Bardella, président par intérim du Rassemblement national, affrontait Ali Rabeh, maire de Trappes.
Actualité judiciaire concomitante oblige, Jordan Bardella annonce, le matin même, avoir été mis en examen pour avoir qualifié Trappes de « république islamique », tandis que son maire, Ali Rabeh donc, a vu son élection invalidée en février 2021 par le tribunal administratif avec effet suspensif, l’édile ayant fait appel. Les deux affaires ne sont certes pas à mettre sur le même plan : d’un côté, délit d’opinion ; de l’autre, comptes de campagne des plus opaques. Finalement, peu importe, et c’est la suite qui est autrement plus intéressante.
Ali Rabeh : « Historiquement, ce pays s’est fabriqué par des couches successives d’immigration qui se sont assimilées, qui ont contribué à la France. De quoi vous parlez quand vous essayez de déclencher une forme de guerre civile entre les Français dont personne ne veut ? »
Jordan Bardella : « >Ce n’est pas moi qui la déclenche, la guerre civile, monsieur, ce sont les djihadistes. » Ce à quoi son interlocuteur rétorque : « Vous êtes l’autre face de la même pièce que les djihadistes ! » Ça ne veut strictement rien dire, mais ça fait toujours joli sur un plateau de télévision. Et Ali Rabeh de livrer le fond de sa pensée : « Ce monde-là, cette France-là, elle advient de gré ou de force, que vous l’aimiez ou que vous la rejetiez, et elle s’imposera parce qu’elle s’impose déjà. Et votre vieux monde, votre monde raciste, ce monde-là est en train de s’éteindre. Vous avez raison, vous le voyez s’éteindre et vous paniquez. »
Déjà, on constate que le maire de Trappes concède à Jordan Bardella le fait d’avoir raison. Ce qui permet à ce dernier de développer sans pour autant « paniquer » : « Les générations d’immigrés qui sont arrivées dans les années soixante, que ce soit l’immigration italienne, l’immigration portugaise, l’immigration européenne, partageaient une même culture française et même des générations issues des pays du Maghreb ont fait un effort exigeant, ce qu’on appelait l’assimilation. […] Ce n’était pas venez “comme vous êtes”, mais “devenez ce que nous sommes”. Et quand ma famille est arrivée en France, elle a tout fait pour s’assimiler, elle a tout fait pour aimer la France, pour apprendre le français, pour respecter la police, pour respecter la manière de vivre. […] Aujourd’hui, cet effort n’est plus demandé. »
En ce sens, Jordan Bardella parle à la fois au nom des Français de souche et de branche, tandis qu’Ali Rabeh ne représente que ceux qui, finalement, n’ont rien à faire d’un pays leur ayant pourtant tout donné : si la France était si « raciste », pourquoi Omar Sy, lui-même natif de Trappes, continuerait-il à être le plus populaire des Français ?
On comprend donc mieux pourquoi Ali Rabeh s’est contenté de botter en touche : « Moi, je continue à dire que sur le groupe Bolloré [propriétaire de la chaîne C8, NDLR], la parole de l’extrême droite sature l’espace ! » Et Hanouna de rétorquer : « Quand vous venez sur un plateau, bossez un peu ! Vous dites une connerie énorme ! C’est la technique de Jean-Luc Mélenchon ! Vous êtes insupportable ! »
Si on nous avait, un jour, dit qu’un Cyril Hanouna en remontrerait en matière de sérieux journalistique, on ne l’aurait pas cru. La preuve qu’on peut avoir eu raison sur ce que fut cet homme, tout en ayant tort sur ce qu’il est devenu.
Nicolas Gauthier