Zemmour et Le Pen tenaient tous les deux meeting, ce samedi, à Reims pour Marine Le Pen, à Lille pour Éric Zemmour. C’est évidemment tentant de les mettre dos à dos. Sur le plan numérique, Zemmour a visé haut : Reconquête revendique 8.000 participants à Lille. L’entourage de Marine Le Pen avance la moitié de ce chiffre, soit 4.000 personnes à Reims. La presse a passé le week-end à les comparer mais, en réalité, Zemmour et Le Pen n’ont pas cherché à se mesurer et la concomitance de ces deux meetings relève du hasard, dit-on du côté de Zemmour.
D’ailleurs, samedi, les deux candidats n’ont pas livré un match de boxe, au contraire. Ils se sont ménagés, ils ont rentré leurs griffes après les accrochages de la semaine dernière. Pas d’attaque personnelle, pas un mot fielleux. Ils se sont recentrés sur leurs stratégies. Deux stratégies opposées, adaptées à deux positions très différentes dans la course présidentielle.
Car, dans tous les sondages parus ces dernières semaines, Éric Zemmour est nettement dominé par Marine Le Pen. Systématiquement, la candidate du RN fait mieux que Zemmour au premier tour comme au deuxième, sauf dans un sondage récent, un peu isolé pour l’instant. Résultat : Marine Le Pen a joué à nouveau, samedi, une stratégie de deuxième tour, une stratégie de rassemblement : pour avoir une chance de réunir sur son nom, dans deux mois, un votant sur deux, il n’est plus question de programme, elle doit mettre en valeur sa personnalité, celle d’une femme rassurante et consensuelle. Samedi, Marine Le Pen a joué cette carte à fond avec cet immense M derrière elle, M comme Marine bien sûr. Un prénom pour gagner en humanité, en proximité. Elle attaque Macron et Pécresse, bien sûr, mais soudain, au terme de son discours, la lumière se fait intime, elle quitte son pupitre et elle raconte. Elle se raconte, Marine Le Pen, elle évoque doucement les épreuves de sa vie de femme, ses failles, ses échecs, ses souffrances, elle explique qu’elle s’est toujours relevée. Jamais on n’avait vu cela dans un meeting politique, c’est très nouveau, très en résonance avec une société intimiste. On est loin de la campagne d’un Donald Trump qui vantait ses réussites financières. Marine Le Pen sait que la France a peur, qu’au deuxième tour, les Français voteront pour une personnalité qui les rassure et donc pour une personnalité qu’ils connaissent : alors, elle se livre, elle adoucit encore son image. Quitte à agacer ceux qui considèrent que ce n’est pas le comportement souhaité d'un chef d’État appelé à conduire et représenter les Français. En se dévoilant, Marine Le Pen refoule au passage une éducation et des valeurs. Dans son livre À contre flots, paru en 2011 (ditions Jacques Grancher), elle racontait que Jean-Marie Le Pen répondait du tac au tac à la moindre plainte de ses filles : « Vous pourriez être toutes nues dans la neige. » L’exercice de la complainte sensible, coutumier à gauche, n’est pas toujours prisé à droite, qui cultive davantage les valeurs spartiate du courage et du devoir. Sur les réseaux sociaux, certains ont critiqué un déballage malsain, inutile et malvenu.
Zemmour s'est tenu loin de l'exercice… À Lille, le candidat de Reconquête a fait ce qu’il fait mieux que personne dans cette campagne : il a électrisé la foule, il l’a emportée dans un éloge du travail, il a parlé pouvoir d’achat, vitupéré les taxes, égratigné Martine Aubry, Pécresse, Taubira, Macron bien sûr, Mélenchon. En clair, il tente d’affaiblir ses adversaires politiques pour passer le cap du premier tour. Le risque de Zemmour est au premier tour, celui de Marine Le Pen au deuxième, et cela se lit dans les deux meetings de samedi. Deux stratégies mais une certitude : les deux camps, celui de Zemmour comme celui de Le Pen, savent qu’ils devront réunir leurs forces et leurs électeurs, peut-être avant le premier tour, au moins entre les deux tours, s’ils veulent éviter la réélection du président de la République Emmanuel Macron. Cette certitude agit comme un baume apaisant ou comme une camisole de force, comme on voudra, sur Zemmour comme sur Le Pen. La levée de voile intime de Le Pen à Reims, en tout cas, après son entretien sensible sur CNews au sujet de Marion Maréchal, entre en pleine résonance avec la féminisation de la société si bien décrite par un certain... Éric Zemmour.
Photo Gauderic Bay