« C’est bien qu’il passe en premier parce qu’il est encore énervé », a soupiré un policier. « Moi, de toute façon, je suis une victime », ne cesse de répéter Younes, un petit homme qui tutoie tout le monde, blouson noir sur tee-shirt blanc, devant le tribunal d’Amiens, le mercredi 2 février. Sur un point au moins, on peut lui donner raison : il est une victime du manque endémique d’experts psychiatres qui frappe la juridiction picarde, comme à peu près toutes celles du pays.
Le 18 juillet 2021, cet Algérien en situation irrégulière de 38 ans est interpellé parce qu’il importune des femmes dans le centre-ville d’Amiens. Au poste, il refuse de donner son nom, s’oppose aux prélèvements ADN et d’empreintes digitales. Il dégrade la cellule de garde à vue. Il mime le fait de tirer sur une policière, s’énerve en arabe et lui fait un doigt d’honneur.
Trois jours plus tard, le 21, le tribunal le libère dans l’attente d’une expertise psychiatrique et renvoie le dossier au 15 septembre, pour constater… que le médecin n’a pas contacté Younes. Renvoi au 20 octobre : même cause, mêmes effets. Renvoi, donc, au 19 janvier. Sauf que le 15 janvier, Salah – qui a enfin vu un psy ! – aggrave son cas en frappant sa sœur qui l’héberge, rue du Bellay. Il la cogne au visage et la tire par les cheveux à travers le salon.
C’est ainsi qu’il se retrouve devant ses juges le 2 février. Il est arrivé en France il y a deux ans. Depuis le 16 janvier, il fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Là, monsieur Tout-le-Monde se dit : « Affaire réglée, laissons-le retourner chez lui. À cent euros la journée de détention, le plus tôt sera le mieux ». Minute papillon ! Une OQTF, comme toute décision administrative, peut faire l’objet d’un recours, lequel mettra des mois à être examiné. Encore faudrait-il que Younes soit au courant, puisqu’il est parti en prison avant même d’en être informé, puis, dans son état, qu’il comprenne la décision préfectorale.
Alors que faire de lui ? La procureure requiert de l’incarcérer « pour préparer un projet de sortie. Malheureusement, il n’y a pas d’autre solution ». Me Mike Sézille pense au contraire que son client serait mieux chez son frère, encadré par les services sociaux. Il rappelle au passage que Younes a une deuxième raison de se présenter en victime : celle de la guerre entre islamistes et gouvernement, au tournant des siècles, dans son pays.
Jugement : un an de prison dont huit mois ferme, maintien en détention. Si c’était simple, ça se saurait…