Gabrielle Cluzel sur BVoltaire
Quel paradoxe ! Le candidat le plus jeune, qui promettait le « nouveau monde », a été porté, dans cette présidentielle… par les Français les plus âgés.
41 % des plus de 70 ans ont voté pour lui, 30 % des plus de 60 ans. « Si les plus de 65 ans n’avaient pas participé à l’élection, note sur Twitter le jeune journaliste Ariel Guez, qui aime manier les chiffres, on aurait un second tour Le Pen versus Mélenchon. » Et d’insister un peu plus loin : « C’est pas pour casser l’ambiance dès le matin, mais je sais pas si vous vous rendez compte à quel point Macron ne tient que par les retraités (69 % pour lui). »
Ce sont donc encore les boomers qui font les rois, et il assez logique qu’Emmanuel Macron leur plaise : du verbe, de la prestance, un costume bien taillé, un discours européiste - l’Europe de la paix est un rêve de boomer né sur les décombres de deux guerres fratricides -, la hauteur d’un technocrate, gage pour eux de sérieux, de compétence et de modernité. Car oui, près de cinquante ans plus tard, la révolution technocratique, ce coup d’État des exécutants promus soudain dirigeants sous le règne de Giscard d'Estaing, comme l'avait expliqué en son temps Marie-France Garaud, leur semble toujours « moderne ». Puis, il n'y a rien d’inconvenant dans le discours d’Emmanuel Macron : on n’aborde aucun sujet qui fâche, ou alors on l'élude par des circonlocutions, comme autour de la table dominicale des bonnes familles dans les années 50 quand on recevait le curé.
Biberonnés au libéralisme dans une Europe fondée sur le commerce (la Communauté européenne du charbon et de l'acier) et, dès l'origine, convertie au capitalisme anglo-saxon, ils ne voient pas en quoi le mondialisme serait un problème. Anciens combattants de Mai 68 - leur seule guerre -, ils trouvent mille vertus à la société libertaire qui les a affranchis d’une éducation jugée trop stricte. Ils sont l’acmé du ruban de Möbius libéralo-libertaire tel que théorisé par Michéa dans Le Complexe d'Orphée (Climats).
Comme le libéralisme s’accommode assez mal du social, ils acquiescent, pour se donner un air de gauche et éclairé (pléonasme), au sociétal. Tiens, déjà Emmanuel Macron promet, par la voix de Richard Ferrand, l’euthanasie pour le prochain quinquennat. Alliant l’utile - une main-d’œuvre bon marché pour les entreprises - à l’agréable - le sentiment d’être bon et charitable avec les pauvres, à l’instar de l’abbé Pierre -, l’immigration sous toutes ses formes a leurs faveurs. Puis l’Église, qu’ils fréquentent parfois encore un peu les y encourage. Il sont, du reste, la première récolte de Vatican II. Rajoutons que pour cette génération née entre la Deuxième Guerre mondiale et la guerre d’Algérie, le complexe du colonisateur est un point sensible. Celui du collaborateur aussi. La reductio ad hitlerum les touche et les trouble. Comme les accusations de « racisme ».
Pourquoi voudraient-ils changer quoi que ce soit ? Emmanuel Macron a bien raison de vouloir imposer aux jeunots une retraite à 65 ans quand eux l’ont prise cinq ans plus tôt. Quant à l’insécurité, ayant bénéficié des Trente Glorieuses, de la méritocratie, d'un système social florissant et de l’inflation du franc, jadis, pour acquérir leur patrimoine, ils ne la voient que d'assez loin, coulant des jours paisibles dans des quartiers cossus dont la cote immobilière tient lieu de frontière prohibitive.
Bien sûr, ce portrait brossé à gros traits est forcément réducteur et caricatural. Et surtout bien injuste, car évidemment, tous les boomers ne votent pas Emmanuel Macron. Nombre d'entre eux se jugent d'ailleurs perdants de la mondialisation : perdants matériels - leur pauvre pension ne leur permet pas de vivre - ou perdants culturels, d’un bien qui se dissout dans un grand tout, d’une France qu’ils s’attristent et s’inquiètent de ne pouvoir léguer à leurs petits-enfants.
Charge à ces derniers de convertir leurs contemporains - fratrie, cousins, amis. Il leur reste moins de quinze jours pour cela.