Le Nouvel Observateur, l’OBS, pour faire “chébran” offre toujours le spectacle d’une prétention sans mesure : la gauche caviar aime à se parer de références culturelles et à s’enorgueillir de l’autorité des spécialistes reconnus. C’est ainsi que récemment Marc Lazar, professeur d’histoire et de sociologie politique qui dirige le Centre d’histoire de Sciences-Po et préside la School of Government de la Luiss (Libre Université internationale des Etudes sociales, Rome), a été brandi comme un étendard dans la guerre sainte contre Marine Le Pen. Il est l’auteur, avec Ilvo Diamanti, d’un ouvrage au titre barbare : “Peuplecratie”. En bon français, et avec l’équilibre de ses deux racines grecques, le mot est “démocratie”, mais ce néologisme moche entend justement souligner la dérive de la démocratie en France et en Europe.
Sous le couvert du discours prétendument scientifique, puisque l’auteur est historien et sociologue (comme si les sciences molles n’étaient pas enveloppées d’idéologie) il s’agit non pas d’éclairer, de parler à l’intelligence, mais à l’affectivité. Il s’agit comme dans tous les débats qui agitent notre pays, de susciter la peur. Si jusqu’au premier tour de l’élection présidentielle, la peur avait le visage d’Eric Zemmour, elle est désormais revenue habiter celle dont les traits lui sont plus familiers : une Le Pen, un logis vieux de près de quarante ans, et transmissible de père en fille, et peut-être un jour en nièce. Pour résumer, Marine Le Pen pourrait, quelle horreur, suivre le modèle de “la démocratie illibérale”, cet épouvantable système qui règne dans la triste Hongrie. Certes Victor Orban a été réélu pour la quatrième fois avec une majorité de 54% des voix d’autant plus significative que sa formation, Fidesz-Union civique hongroise, voyait toutes les autres regroupées contre elle. Non seulement, elle a progressé en pourcentage et en voix, mais elle a toujours à sa droite, et dans l’opposition, un parti d’extrême-droite, le MHM, une scission du Jobbik, qui occupait cette place naguère et a cru malin de rejoindre la coalition pour s’y voir déplumé. L’approbation du peuple hongrois est donc manifeste, mais pour le gauchisme chic, c’est une tare : Orban gagne des élections transparentes, mais il a, par trop souvent, recours à la démocratie directe, au référendum, et a rogné les contre-pouvoirs : démocrate, oui, mais pas libéral. Cette idée reprise par la majorité de nos médias de Libé à l’Express en passant par le monde sans parler de l’audiovisuel, fonctionne comme un projecteur : elle éclaire la cible, mais maintient dans l’ombre le non-dit sur lequel s’appuie son discours. C’est d’abord l’aveuglement sur l’effondrement des contre-pouvoirs dans notre pays, avec la quasi-disparition de la séparation entre les pouvoirs exécutif et législatif, avec le règne du politiquement correct porté par nos médias, et encadré par des lois liberticides, avec la partialité de la justice, avec la réduction des libertés personnelles justifiées par les crises et, au sommet, le pouvoir narcissique d’un individu sur lequel glissent les échecs, les fautes et les trahisons, détenteur monarchique du régime le plus illibéral d’Europe ! La presse “bien-pensante” s’offusque des supposées turpitudes d’un autre pays alors qu’elle est la complice de celles de l’oligarchie française.
L’oligarchie, oui, le microcosme au sens étroit des technocrates qui dirigent notre Etat, la caste qui règne sur la politique, sur les affaires, et sur la communication, avec ses connivences concentrées sur le tout petit territoire parisien, ses excroissances dans les notabilités provinciales, et avec le soutien des “métropolitains”, des habitants des grandes villes déracinés et mondialisés, diplômés et lecteurs de la presse dominante : telle est la réalité du pouvoir en France. Cela est vrai ailleurs, même en Hongrie, puisque Budapest vote contre Orban, mais justement, dans ce pays, ce n’est pas la minorité ou l’addition des minorités qui gouverne mais le peuple. Un vrai libéral pensera que la capillarité des informations quotidiennes recueillies par les vraies gens est plus efficace pour créer une démocratie réelle que le vernis intellectuel des gens qui lisent la même chose : les bobos ne sont souvent que des gogos. Et c’est là qu’apparaît un second aveuglement : celui-ci est absolu puisqu’il retourne le sens des mots sans paraître s’en rendre compte. Ce que dénonce notre éminent professeur d’histoire et de sociologie, c’est le populisme, c’est-à-dire le fait qu’un pouvoir s’appuie sur le peuple, ce qui est à ses yeux un “réel danger”. En quoi consiste ce danger ? Il peut, soit consister au passage à la dictature populaire, soit être la conséquence d’une insuffisance technique des détenteurs du pouvoir. On ne voit pas en quoi un gouvernement qui pratique régulièrement des élections libres et fait même appel à la démocratie directe virerait à la dictature. Quant à l’insuffisance technique face aux difficultés du pouvoir, nos technocrates n’ont guère brillé par leurs résultats au point de nous faire croire à leur technicité. Macron pratique la démagogie de la planche à billets : ce n’est pas parce qu’un politicien a été vaguement banquier qu’on doive lui faire davantage crédit sur ce point qu’à ses prédécesseurs du même type. Bref, dénoncer le danger du populisme, c’est renoncer à la démocratie pour préserver l’oligarchie régnante. Pas besoin d’un professeur d’histoire et de sociologie pour nous faire la leçon : il prêche pour les siens, son bréviaire idéologique à la main !
Evidemment, si j’ajoute que ce discours de la prétendue élite se confond avec un mouvement mondialiste qui traverse l’Occident au profit de l’Empire anglo-saxon, le mot jumeau de populisme jaillira aussitôt : complotisme ! Or il ne s’agit pas ici de dire que l’assassinat de JFK ou le 11/09, c’est la CIA, mais simplement de constater que des forces jouent dans un sens univoque, en Occident, mais pas forcément ailleurs. La position à l’égard de la Russie est un révélateur. Aux Etats-Unis comme en Europe, on a assisté au milieu de la dernière décennie à un réveil des peuples, des nations qui ne veulent pas mourir et affirment leur identité face à une immigration excessive : la véhémence et la violence de la réaction des médias dominants et des instances internationales, à commencer par l’Union européenne, les condamnations, les sanctions sont tombées en averse. Le covid a été habilement utilisé pour amoindrir les dangers de l’immigration et du terrorisme, pour dresser les populations et pour rassembler le camp de la peur du changement : les classes aisées, les personnes âgées. Un peu partout, les “populistes” ont été sortis : Trump, Salvini, le FPÖ autrichien, l’AfD allemande etc… Trudeau et Macron, ces jumeaux, ont été confortés… Si le “Brexit” était populiste, on ne peut pas dire que Boris Johnson le soit : il reste plus que jamais le fidèle allié de l’Empire américain. La guerre fomentée de manière obsessionnelle par Washington contre la Russie reçoit l’assentiment de tous les gouvernements occidentaux, avec un Orban plus réservé, mais isolé. Est-ce l’intérêt de nos nations ? Est-ce l’intérêt de nos peuples ? Non, mais c’est évidemment la volonté d’une caste mondiale qu’il est vital pour la démocratie de contrarier.