Michel Houellebecq devrait être plus souvent consulté par les analystes politiques et par les candidats eux-mêmes. Ou ceux qui y pensent. Non seulement ses derniers romans sont tous politiques, et même d'anticipation politique, mais il donne quelques interviews entre deux parutions qui valent bien des analyses lues depuis une semaine et la réélection d'Emmanuel Macron. Côté anticipation bien vue, nul ne peut nier que le succès de la ligne islamo-gauchiste de Mélenchon nous met sur la voie de son Soumission.
Et son dernier opus, sorti en janvier dernier et qui se plaçait à la fin du second quinquennat d'un jeune candidat disruptif ayant raflé la mise en 2017, avait de fait acté la réélection de Macron. Pour les curieux, il s'est aussi risqué à imaginer la campagne de 2027 : un second tour annoncé serré entre le nouveau candidat du Rassemblement national - Marine Le Pen ayant passé la main à un jeune loup médiatique - et le représentant de la majorité présidentielle, pas encore désigné à l'hiver 2026. Avis aux candidats !
Mais le romancier a aussi livré, cette semaine, son analyse de l'élection et de la campagne de 2022 dans l’hebdomadaire allemand Der Spiegel sous le titre « Nicht versöhnt » (« Pas réconciliés »), traduite dans Le Point.
Au sujet de Macron, il s'appuie justement sur une couverture de l'hebdo allemand avec le visage d'Emmanuel Macron en gros plan qui selon lui résume le personnage : « La beauté de ce “Ich bin nicht arrogant” vient de ce que la photo dit exactement le contraire, mais aussi du fait qu'une contre-vérité absolue, prononcée avec suffisamment d'aplomb, peut produire, au-delà de la sidération première, quelque chose comme une révélation. »
Mais il tacle aussi certains leaders de droite : Marion Maréchal pour avoir déclaré que les gens « ne votaient plus en fonction de leurs intérêts, mais de leurs convictions », Éric Zemmour pour avoir réussi l'exploit de créer deux extrêmes droites peut-être irréconciliables.
Mais ce qui intéresse d'abord le romancier, c'est le parcours de ces individus-candidats. L'élection présidentielle étant avant tout celle d'un homme, de la rencontre entre un individu et les Français, comme on dit, le romancier a aussi son mot à dire. Il applique donc au casting de 2022 un concept intéressant, celui de « trahison de classe ». Pour lui, Éric Zemmour, juif d'origine modeste devenu le héraut de la droite bourgeoise, a trahi sa classe. Pas Marion Maréchal. Quant à Marine Le Pen, elle l'aurait trahie, mais en sens inverse : « Grandie dans l'opulence […] Marine Le Pen a rencontré la révélation à Hénin-Beaumont, chez les pauvres. Ce phénomène s'est produit à de nombreuses reprises dans l'Histoire : saint François d'Assise, saint Vincent de Paul, etc. Sans viser aussi haut, Marine Le Pen s'est aperçue qu'elle avait davantage de plaisir à bavarder avec une caissière de chez Lidl. » Portraiturer Marine Le Pen en la comparant aux saints du Grand Siècle, il n'y avait que Houellebecq pour l'oser. La drôlerie et l'ironie gentille feront certainement sourire l'intéressée et j'imagine bien une rencontre au sommet Le Pen-Houellebecq. Cela le changerait de sa fréquentation de Bruno Le Maire.
Sur le vote des Français, Houellebecq s'assume marxiste : pour lui, les riches votent Macron, les pauvres Le Pen et les intermédiaires Mélenchon. Assez juste. Et qui fait cogiter. De là à en déduire qu'il y a finalement beaucoup de riches en France, ou tout au moins de gens qui croient l'être. De là à en déduire, aussi, qu'il n'y aura peut-être qu'une (vraie) crise financière qui fera bouger les lignes. Notre romancier, qui a hanté Bercy ces derniers mois, n'y a pas songé, ce coup-ci. Ce n'est pourtant pas une prophétie en l'air, vu la dégradation économique en cours (dette, inflation, croissance zéro). Et le nouveau gouvernement qui sortira des législatives de juin, quel qu'il soit, sera contraint de prendre des mesures financières douloureuses, le débat sur la réforme des retraites n'étant là que pour assurer le spectacle.
Une dernière prophétie du mage Houellebecq pour la route ? « La rediabolisation du Rassemblement national sera de plus en plus difficile à mettre en œuvre, il y a peut-être (ou peut-être pas ?) des limites à la stupidité des populations. »