Ce week-end, il y a eu quatre matchs couperet. Deux qui ont fini en apothéose – du rugby. Deux qui ont fini en scènes de chaos – du foot –, à Saint-Denis et à Saint-Étienne, toutes deux grand-remplacées, ce que la toponymie des lieux ne laissait pas présager.
Vendredi dernier à 23 heures, le LOU, le Lyon rugby, décrochait la Challenge Cup avec un Baptiste Couilloud de gala et un Géorgien inconnu aux jambes de feu. Samedi à 20 heures, le Stade rochelais, après avoir planté trois essais à zéro aux monstres irlandais du Leinster, soulevait dans la liesse la Champions Cup. Un régal pour les amateurs de rugby qui laissait présager une troisième mi-temps bien arrosée – du vin et des jeux, n’est-ce pas ! – avant que le foot ne vienne saloper la fête de l’ovalie.
Le Grand Remplacement et les barbaresques
Car changement de décor. Samedi à 23 heures, dans ce « 9-3 » de tous les malheurs, alors que le Real de Madrid battait Liverpool au terme d’un match médiocre où n’aura surnagé que le portier belge de la capitale espagnole, des supporters anglais et espagnols, en famille, avec leurs enfants, se faisaient sauvagement agressés, pourchassés et détroussés par des Dionysiens fort peu « jambon-beurre », très loin des standards de type caucasien ou capétien qu’on trouvait jusqu’aux années 1970 aux alentours de la nécropole royale, cimetière des illusions françaises. Depuis, les bandes de racaille des cités environnantes ont colonisé les lieux. Samedi soir, ils ont pu agir avec la complicité, à tout le moins la passivité, de Gérald Darmanin et du préfet Lallement, toujours prompts à faire donner la troupe, gaz à l’appui, contre les Gilets jaunes, la « Casa blanca » madrilène ou les « reds » de Liverpool, mais pas contre des néobarbaresques qui valent bien leurs ancêtres en matière de razzia et de pillage. La double peine pour les supporters qui n’ont pas pu assister au match. Les témoignages, de victimes ou de policiers, sont accablants. Des « proies », un « carnage », « jamais vu un tel acharnement sur des victimes et une telle multitude d’actes de délinquance », des « armées de voleurs », un « film d’horreur », des « filles déshabillées et volées », etc. Les vidéos sont éloquentes, mais Darmanin n’a rien trouvé d’autre que d’incriminer de faux billets émis sûrement par des électeurs de Boris Johnson. Tout ça pour ne pas faire l’aveu criant, aveuglant, offensant que la Seine-Saint-Denis est un territoire grand-remplacé. Non pas seulement par des « nique la France », mais par des « nique l’Europe ». Car dépouiller un Anglais ou un Espagnol au cutter, c’est dépouiller un Blanc – soit un « babtou fragile ».
Gérald Darmanin, Monsieur Dissolution
Autre décor, mêmes acteurs : dimanche soir à 22 heures, au stade Geoffroy-Guichard, enceinte mythique du grand « Sainté » : envahissement du terrain, crachats et fumigènes, après la relégation en Ligue 2 de Saint-Étienne, ex-cité ouvrière, elle aussi grand-remplacée (ce n’est pas moi qui le dis, mais Laurent Wauquiez). Qui, cette fois-ci, Gérald Darmanin va-t-il bien pouvoir accuser ? Darmanin, l’homme qui, après avoir dissous Génération identitaire, veut dissoudre la France. Il y avait Napoléon le Petit, il y aura désormais Darmanin le Nain. On en a vu passer des charlots place Beauvau, Castaner le « Kéké de la République », Manuel Valls le pseudo-républicain espagnol. Mais des comme lui, c’est une première. Il est capable de tout pour réussir, même d’une bonne action, comme disait Rivarol de Mirabeau. On cherche toujours la sienne.
Inutile de discourir sans fin sur ce qui s’est passé au stade de France. On a tous vu ce qu’on a vu, sauf notre ministre de l’Intérieur et les journalistes, sportifs ou pas. Un pays occupé où les zones libres sont de moins en moins nombreuses, où la charia de la caillera fait la loi en lieu et place d’un État démissionnaire et d’un ministre qui ne le sera jamais – c’est soit l’un soit l’autre.
Le rugby, un air d’Ancien Régime
Je voudrais en guise d’épilogue glisser quelques réflexions sur ces deux France : celle du ballon rond qui vote Macron et Mélenchon, et celle du ballon ovale qui vote Macron, malheureusement (c’est pour cela qu’il est président), et Marine.
On connaît la phrase célèbre : le football est un sport de gentlemen pratiqué par des voyous et le rugby un sport de voyous pratiqué par des gentlemen. On en a eu un aperçu saisissant le week-end dernier. La racaille des bas quartiers contre ce qu’il reste de quartiers de noblesse de l’ancienne France, la frontière est dessinée. Elle est si dessinée que, même dans sa version « cassoulet », où des bébés d’un bon quintal défient des barriques couperosées, le rugby a conservé ce je ne sais quoi d’aristocratique, cet air de vieux pub anglais et d’Ancien Régime qui échappera toujours au foot. Un divertissement barbare destiné à de jeunes mâles raffinés. Sauf dans le Sud-Ouest (mais pas que), miracle des greffes heureuses, où le rugby est venu trouver un emploi improbable à des morphologies hasardeuses sorties d’un peuple millénaire.
Le football simplifie tout, les règles y sont immuables, le ballon rebondit bêtement. Le rugby complique tout, les règles changent d’une année à l’autre, le ballon est malicieux, les rebonds capricieux et il n’y a qu’un arrière, alors qu’au football, il y en a parfois onze. Oui, décidément, le rugby est un mystère, comme la conduite à gauche et les verbes irréguliers. Avec la professionnalisation, on a pu craindre que la distinction fondamentale entre football et rugby allait tomber, elle qui se résumait à la querelle des Amateurs et des Professionnels, avec des Nicolas Boileau partisans de la gratuité, celle du geste en tout cas, et des Charles Perrault promoteurs du salariat doré et des pétrodollars du Golfe. À ce jeu-là, les Modernes battent toujours les Anciens. On a ainsi « footbalisé » le rugby. C’était sûrement inéluctable. Sans l’argent du professionnalisme, le rugby menaçait de se transformer en sport muséal et en survivance féodale, une sorte de soule moderne réservée aux archéologues, aux étudiants d’Oxford ou de Cambridge et aux derniers laboureurs. En deçà d’une masse critique, toute chose est vouée à rejoindre le long cortège des espèces et des coutumes disparues.
La mêlée, matrice du rugby et foyer du peuple
Mais l’exception culturelle rugbystique – villageoise et universitaire – a survécu. Le sport-terroir et le Racing Club, les aristos et le populo, les sangliers des champs et les biches du château. Car le rugby est d’abord et avant tout un sport collectif et communautaire, peut-être même le seul. Songeons seulement à la mêlée, matrice et foyer du rugby, par quoi ce sport se distingue de tous les autres et donne cette impression unique de faire corps tous ensemble. Tous pour un, un pour tous.
Sûrement ne reverra-t-on plus des Michel Crauste, dit le Mongol lourdais, des Amédée Domenech, surnommé le Duc briviste, des Walter Spanghero (prononcer Oualtèreuh), alias l’Homme de fer, ou des Jacques Fouroux, appelé le Petit Caporal, un vrai Bonaparte celui-là, du haut de son mètre soixante. Ce monde est perdu, tout comme l’esprit potache des joueurs du Racing Club de France à qui il arrivait de porter un nœud papillon pendant les matchs et des caleçons rayés lors de troisièmes mi-temps qui s’achevaient à l’aube avec des tripoux géants et des danseuses de cabaret. C’est fini. Mais on pardonnera beaucoup au rugby s’il continue de nous donner des Antoine Dupont et des Baptiste Couilloud, funambules ondoyants et crocheteurs virevoltants qui ont illuminé notre week-end pendant que la racaille footballistique l’enténébrait.
Tribune reprise de revue-elements.com