Depuis cinq ans, Emmanuel Macron use de multiples ressorts pour accentuer sa mainmise sur les médias : lois anti-fake news, organe de déontologie, commission de régulation, subventions sous conditions :
Juin 2020. Une chute de 60 % des ventes en à peine deux mois. Des pertes estimées à 1,9 milliard d’euros. Des recettes publicitaires qui s’évaporent. Une offre numérique qui peine à séduire. La presse française paye un lourd tribut à la pandémie de Covid-19. Alors l’État décide de donner un coup de pouce aux titres qui souffrent. Le Figaro, le Monde, Libération … La majorité des grands médias touchent d’importants subsides : 483 millions d’euros, exactement. Seuls quelques titres font exception à la règle. Votre journal, Valeurs actuelles, est l’un de ces parias. « À ce niveau-là, c’est pire que de l’exclusion », estime Marc Baudriller, rédacteur en chef de Boulevard Voltaire. Le journaliste parle de ce qu’il connaît : le site n’a jamais perçu de subventions.
« À vrai dire, cette année, on craignait que l’État nous ampute de notre numéro de commission paritaire, qui nous permet de faire la demande. On va demander des aides, évidemment, mais on n’a pas beaucoup d’espoir. Elles dépendront de la pertinence du dossier. »
La décision s’inscrit dans la logique élyséenne. En décembre 2021, un décret impose que les journalistes doivent sortir d’une école de journalisme ou être détenteurs d’une carte de presse. Sous peine de voir cette précieuse manne des aides à la presse réduites comme peau de chagrin.
« C’est une mesure réellement discriminatoire, estime Richard de Seze, directeur de la rédaction de Politique magazine. Beaucoup de membres de notre rédaction n’ont pas leur carte de presse et n’ont pas fait d’école. Ça ne fait pas pour autant d’eux de mauvais journalistes. »
Frédéric Taddeï, Élise Lucet… Les exemples de Rouletabille qui ne remplissent pas lesdits critères sont pourtant légion.
« Il y a une dérive autoritaire de Macron, qui décide arbitrairement de qui peut être journaliste. Si Marine Le Pen avait fait ça, on aurait dit que la presse était muselée. »
L’essayiste Paul Melun lui préfère l’épithète d’« illibéral ».
« Macron est un imposteur du libéralisme. Il se prétend libéral comme Justin Trudeau ou Olaf Scholz, alors que l’histoire démontre qu’il tend vers l’illibéralisme. »
Car l’héritage macronien regorge de ce genre d’exemples. Nous sommes en juillet 2018. Le président est accusé d’avoir couvert Alexandre Benalla, ce chargé de mission à la présidence de la République ayant usurpé la fonction de policier et violenté des manifestants lors des mobilisations du 1er Mai, place de la Contrescarpe, à Paris. Le chef de l’État est acculé, coincé face à cette grosse polémique. La presse revêt les atours parfaits de la victime expiatoire. « Nous avons une presse qui ne cherche plus la vérité », proclame-t-il dans la cour de l’Élysée. Le Landerneau journalistique s’inquiète.
Un an plus tard, le chef de l’État réalise son rêve : la création d’un organe de déontologie. […] Son but ? Répondre « à la crise de confiance du public envers les médias et aux tentatives de manipulation de l’information », si l’on en croit le leitmotiv disponible sur son site. Mais qui se cache derrière cette instance ? Des régulateurs, répartis en trois collèges : les journalistes, les médias et le public. Votre magazine, Valeurs actuelles , en fait encore les frais. En 2020, le CDJM estime que le journal, « en plaçant et en représentant Mme Danièle Obono dans une situation dégradante, ne respecte pas la dignité humaine », après la parution du roman de l’été mettant en scène la députée de La France insoumise au temps de l’esclavage.
« Emmanuel Macron se sert de toute structure institutionnelle ou politique qu’il peut créer pour exercer une forme de contrôle sur tout ce qui émane des médias, ce contre-pouvoir fondamental , alerte Paul Melun. Or, la déontologie journalistique ne se décrète pas d’en haut : elle se confirme ou s’infirme selon la véracité des infos que vous donnez. Emmanuel Macron ne fait pas confiance à la main invisible du journalisme. »
Les décisions de ce type se multiplient. L’entretien de Juan Branco par Apolline de Malherbe dans le cadre de l’affaire Griveaux « témoigne d’une partialité envers l’interviewé qui dépasse la liberté d’investigation journalistique », tandis que la couverture de Paris Match montrant un Piotr Pavlenski menotté, allongé sur le sol et face contre terre « se justifie » et « ne porte pas atteinte à la dignité de la personne représentée » …
Valeurs actuelles n’est pas le seul à souffrir des leçons du CDJM. Selon les avocats Christophe Bigot, Basile Ader et Richard Malka, dans le Figaro, en 2020, « ce Conseil de déontologie est l’idiot inutile d’une vision qui ignore tout de la tradition française de la liberté d’expression. […] Ses décisions sont non seulement dépourvues de sens mais sont dangereuses. » L’histoire leur donnera raison. Le CDJM voit son rayonnement s’effriter. En cinq ans, il n’a rendu que 72 avis.
[…] Depuis septembre 2021, l’État dispose de sa propre instance de traque des fake news : la commission Bronner. Composé de 14 historiens, chercheurs, politologues, le comité fait la chasse aux « personnes qui ne vivraient pas dans le même monde mental », engendrant « des volontés de sécession avec la République ». Comprenez : les anti-vax représentent un danger pour la démocratie. « Cette instance a tous les atours d’une commission fantoche », dénonce Paul Melun. Fantoche, certes, mais pas anecdotique. Fin 2021, la commission Bronner remet son rapport au gouvernement, lui soumettant deux propositions. La première veut intégrer la responsabilité civile du diffuseur dans la loi sur la confiance dans l’économie numérique par la voie de l’amendement suivant :
« Toute diffusion par voie numérique d’une nouvelle que l’on sait être inexacte et qui porte préjudice à autrui engage la responsabilité civile de celui qui la commet ainsi que de toute personne qui la rediffuse en connaissance de cause. »
La seconde proposition prévoit la possibilité de saisir l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pour quiconque éprouve une « difficulté pour obtenir l’intervention et la coopération d’une plate-forme » au retrait d’un contenu. En d’autres mots, une loi Avia déguisée. Porté par la députée LREM Laetitia Avia, le texte ambitionnait, en 2020, de réguler « les contenus haineux sur Internet ». L’initiative portait déjà la patte Macron. […] La loi est largement censurée par le Conseil constitutionnel. La proposition phare du texte, qui contraignait les plates-formes à supprimer les contenus en moins de vingt-quatre heures ? Supprimée. […] Création d’un parquet spécialisé dans les messages de haine en ligne, simplification du signalement d’un contenu, naissance d’un observatoire de la haine en ligne auprès du CSA… Une poignée de mesures mineures survit à la guillotine du Conseil constitutionnel. Nicole Belloubet, ministre de la Justice, et Cédric O, chargé du texte, jurent de « retravailler le dispositif ».
La loi Avia, ou le symbole du rapport tempétueux de Macron avec la presse ?
« Emmanuel Macron n’a eu de cesse depuis cinq ans, par réflexe pavlovien, de museler une partie de l’opinion et des médias. La loi Avia le montre bien. Sous la présidence de François Hollande, force est de constater que la presse était beaucoup plus tranquille », estime Marc Baudriller. « Le rapport qu’entretenait François Hollande avec la presse était beaucoup plus sain , abonde Paul Melun. Contrairement à ses deux prédécesseurs à l’Élysée, Emmanuel Macron est plus redoutable dans son rapport aux médias, car il prend ses décisions au nom du bien et de la vérité. C’est la fourberie ultime du macronisme : vous faire avaler des couleuvres d’illibéralisme avec un sourire Colgate et une chemise blanche de cadre sup’. »
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https://www.lesalonbeige.fr/comment-macron-tente-de-controler-les-medias/