par Régis Chamagne.
Après plus de huit mois d’Opération Militaire Spéciale (OMS), tout le monde évoque une guerre existentielle, pour les uns et les autres. Enfin ! La stratégie de Vladimir Poutine est donc payante. Et les résultats d’une stratégie se jugent à l’aune de ses objectifs.
Les objectifs
Il suffisait d’écouter les discours successifs de Vladimir Poutine depuis le début, ainsi que les interventions de Sergueï Lavrov et de Dmitri Medvedev, pour savoir que l’OMS n’avait pas pour objectif de simplement ramener les territoires du Donbass au sein de la Fédération de Russie, mais bien de promouvoir un nouveau paradigme géopolitique, un Nouvel Ordre Mondial si vous voulez.
Aujourd’hui, tout le monde finit par s’y accorder et surtout par le dire ouvertement, tel, récemment, le général Mark A. Milley, chef d’état-major des armées US. Il n’y a plus d’ambiguïté pour personne. Cette guerre est bel et bien une guerre existentielle.
La stratégie
Si la Russie avait opéré une guerre éclair, et elle en a les moyens, cela n’aurait rien changé fondamentalement aux règles du jeu des relations internationales, de la même façon qu’après le retour de la Crimée dans la Fédération de Russie. La classe médiatico-politicienne occidentale aurait poussé des hurlements d’orfraie pour dénoncer une vile agression du méchant ours russe contre un gentil pays souverain. On en serait resté là, pour un certain temps encore.
En choisissant une guerre d’usure, la Russie a décidé d’user les pays du Bloc Altantico-Occidental (BAO), sur les plans militaire, économique, et bientôt culturel.
Sur le plan militaire, à force de livrer des armes au régime de Zelensky, dont une bonne partie s’en vont directement dans des réseaux mafieux, les pays du BAO se sont épuisés. Ils n’ont plus suffisamment de ressources. Le virage vers une stratégie du faible au fort centrée sur des opérations de terrorisme, que j’évoque dans mon précédent article, en est un indicateur consistant. Aujourd’hui, l’évocation répétée d’une possible montée au nucléaire par les dirigeants et les médias occidentaux en dit long. Ils ne leur reste plus que cela, le nucléaire ; ils arrivent au bout du bout. Mais sur cette question, les classes dirigeantes occidentales n’ont pas encore saisi que la Russie dispose d’une forme de dissuasion intermédiaire, non nucléaire, contre laquelle ils ne peuvent rien : les missiles hypersoniques. Il suffirait d’une bordée de missiles hypersoniques pour pulvériser le pentagone et le centre de commandement de l’OTAN, même sans charge militaire, c’est-à-dire sans explosif à l’intérieur. La simple énergie cinétique de ces missiles serait suffisante [l’énergie cinétique est proportionnelle à la masse et au carré de la vitesse. Ainsi un missile Kinzhal qui est trois fois plus lourd et douze fois plus rapide qu’un Tomawak possède une énergie cinétique 432 fois supérieure]. Espérons toutefois que les militaires du pentagone, qui eux, savent de quoi il s’agit, tempéreront les ardeurs bellicistes et suicidaires des fous-furieux de Washington.
Sur le plan économique, l’effet boomerang des sanctions étasuniennes et européennes se met à produire des résultats au détriment des populations occidentales. Cette fois-ci, on ne peut pas dire que c’est la faute du méchant Poutine, mais plutôt à cause de la sublime intelligence autoproclamée et dévastatrice de nos propres dirigeants et experts en tout genre. Et cela ne fait que commencer. L’hiver sera rude !
Sur le plan culturel, il va s’agir du retour à la réalité pour nos propagandistes de plateau qui vivent dans un monde virtuel et idéologique fait de fantasmes et d’injonctions et qui formatent l’opinion, quoique de moins en moins. Avec la fin de cette Sainte Inquisition médiatico-politicienne qui a tenté d’imposer son nouvel ordre moral appelé « politiquement correct » en vouant aux gémonies tous les sceptiques, tous les curieux [Les mêmes ont jadis brûlé les sorcières], le nouvel obscurantisme qui s’est mis en place depuis trois décennies au moins va laisser la place à un nouveau réalisme en attendant le moment du GRAND DEBRIEFING. Je n’entrerai pas dans le détail de tout ce que contient le « politiquement correct », chacun y trouvera ce qu’il cherche.
Dernier acte, dernière scène
Le général Hiver arrive, et ce général est russe. Napoléon et Hitler l’on appris à leurs dépends, mais un peu tard. Ainsi, pour mettre l’OTAN à genoux et reconquérir la Novorussia, la Russie s’apprête à lancer l’offensive décisive, avec le soutien du général Hiver. Rappelons que la Novorussia inclut toute la côte de la mer noire et qu’elle va jusqu’à la frontière de la Transnistrie. Elle avait été conquise sous Catherine-II au cours des guerres contre l’empire ottoman, entre 1768 et 1774. Elle fut donnée à l’Ukraine par Lénine en 1920, mais restait au sein de l’URSS… jusqu’à l’éclatement de celle-ci.
Les manœuvres préparatoires à l’offensive décisive ont lieu : mobilisation, entraînement et déploiement de 300 000 réservistes, bombardements stratégiques sur les arrières (système électrique, centres opérationnels et logistiques militaires, nœuds de communication…), nomination d’un nouveau commandant de théâtre, le général Sergueï Sourovikine qui a fait ses preuves en Syrie.
On peut même inclure dans ces manœuvres préparatoires la destruction du meilleur de l’armée de Kiev au cours des huit mois de guerre, mais il est vrai que cela a été grandement facilité par la stupidité et le cynisme des chefs militaires de l’OTAN à la manœuvre et de Zelensky lui-même.
Cette offensive aura lieu sur tous les fronts, avec probablement une manœuvre de déception et un emploi ad’hoc de la guerre électronique. Dans ce domaine on en sait peu, sinon que la Russie a atteint un très haut niveau en la matière, probablement le plus haut. Mais en matière de guerre électronique, il faut être prudent. Quand on a utilisé une certaine forme de brouillage, si l’adversaire en a les moyens, et l’OTAN les a, il peut écouter, enregistrer et analyser les signaux afin de développer des contre-mesures. Ainsi, l’usage de la guerre électronique doit être adapté (ce qui est nécessaire mais pas plus), ciblé et intelligent. Il est fort probable que pour l’offensive décisive, la Russie va employer des moyens qu’elle n’a pas encore utilisé.
Un monde s’effondre, un autre naît
Nous assistons peut-être à la fin d’un cycle de quatre siècles. Dans son ouvrage « Histoire secrète de l’oligarchie anglo-américaine » Carroll Quigley, s’appuyant sur d’importantes archives et grâce à un travail de bénédictin, explique comment les élites anglo-saxonnes ont élaboré, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, un plan de bataille afin de permettre à l’Empire britannique associé aux États-Unis d’asseoir une hégémonie complète sur le monde. Cette volonté de puissance et de domination a été l’œuvre d’une poignée d’hommes liés intimement à la haute finance de la City et de Wall Street. Elle a émergé dans un monde déjà préparé par un système financier et bancaire qui s’était développé depuis la fin du XIVe siècle afin, au départ, de financer les expéditions vers les Amériques. Ce long processus est très bien expliqué par Paul Grignon dans un film d’animation de 52 minutes « L’argent dette». C’est ce monde là qui est en train de disparaître, et avec lui la toute puissance du dollar et la fin de la domination anglo-américaine sur le monde, en particulier dans le domaine monétaire. La mission des portes-avions américains était d’imposer le dollar au reste du monde. C’est fini !
On peut même se poser des questions sur l’avenir de la monarchie britannique.
En parallèle, depuis 2017 véritablement, se construit à l’Est une volonté de développer de nouvelles relations internationales fondées sur la souveraineté des nations, et donc sur la garantie de sécurité pour toutes les nations.
Les chemins que prennent l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et les BRICS illustrent l’attrait de plus en plus grand des pays autres que ceux du BAO, c’est-à-dire plus de 80% de l’humanité, pour ces organisations et ce qu’elles proposent. La dernière réunion de Samarcande en est une illustration magistrale. Les exemples de cet attrait sont nombreux et plus ou moins furtifs. Du reste, moins ils deviennent furtifs, mieux ils illustrent la bascule en train de se produire. Pour ne citer qu’un exemple, l’attitude du roi d’Arabie saoudite envers le président des États-Unis en dit long ; cela n’aurait jamais pu avoir lieu il y a dix ans. En Afrique, en Amérique latine, au proche et moyen Orient, en Asie du sud-est, tous les peuples attendent leur libération. Il y a moult signaux faibles partout dans le monde, et depuis longtemps déjà. Si on les perçoit, on n’est alors pas surpris quand ils deviennent des signaux fort puis des actes. La fin est inéluctable, quelque soit le chemin suivi.
L’hiver sera rude pour nous, mais possiblement, l’été prochain sera lumineux.
Régis Chamagne
NB : j’écris peu sur mon blog. Certains me le reprochent. Mais j’ai choisi d’écrire sous l’angle du changement de paradigme géopolitique. Cela demande du temps de réflexion afin de présenter mes analyses de la façon la plus intelligible possible, et surtout, j’écris quand c’est utile, pour ne pas trop me répéter. Ainsi je ne commente pas les opérations militaires au niveau tactique ni même opératif ; certains le font excellemment bien et c’est tant mieux.
source : Régis Chamagne
https://reseauinternational.net/dernier-acte-derniere-scene/